Prisons : 38 organisations dénoncent la surenchère carcérale de Gérald Darmanin

Jamais on aura autant légiféré sur la prison. Entre l’annonce, début avril, par Gérald Darmanin, de la création de « prisons de haute sécurité », la proposition de loi de Gabriel Attal « visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs délinquants et de leurs parents » et qui prévoit de renforcer les peines de prison pour les enfants (en partie retoquée par le Conseil constitutionnel), l’appel à interdire toute activité « ludique » ou « provocante » en prison et la suppression du vote par correspondance des détenus pour les élections municipales et législatives votée par les députés mercredi 4 juin, gouvernement et Parlement semblent bien décidés à agir main dans la main pour radicaliser le paysage pénal et pénitentiaire.

Et ce n’est pas fini ! D’autres mesures se profilent, telles que le fichage des personnes étrangères détenues à la faveur de transferts et d’expulsions, la location de places de prison à l’étranger, la création d’une police pénitentiaire, la contribution des personnes détenues aux frais pénitentiaires, la diminution du recours aux aménagements de peine. Ou encore la suppression de la peine de prison avec sursis alors même que, selon la Cour des comptes, le taux de récidive après un sursis simple serait de 36 % dans les cinq ans contre 63 % après une peine de prison ferme inférieure ou égale à deux ans.

Un taux moyen de suroccupation de 160 % dans les maisons d’arrêt

« Il s’agit d’une surenchère incessante pour punir toujours plus, exclure et faire souffrir les personnes sous main de justice en oubliant consciencieusement de parler du sens de la peine », constate Prune Missoffe, responsable des analyses et du plaidoyer à l’Observatoire international des prisons (OIP). Elle s’exprime au nom des 38 organisations qui ont décidé de lancer l’alerte quant à « la dérive assumée d’une politique pénale et pénitentiaire inhumaine et insensée » et aux « discours démagogiques qui asphyxient l’espace politique et médiatique ».

Pour le Syndicat de la magistrature, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, la CGT, le Syndicat des avocats de France (SAF), Emmaüs France ou encore la Cimade, il s’agit de rétablir quelques vérités et de faire des propositions de bon sens en lien avec leur expérience de terrain.

La réalité de la prison, c’est un taux moyen de suroccupation de 160 % dans les maisons d’arrêt où sont incarcérés près de 70 % des personnes détenues. Parmi elles, plus de 5 000 étaient contraintes de dormir sur un matelas à même le sol, dans des cellules vétustes de 9 m2 souvent infestées de nuisibles où cohabitent trois ou quatre personnes. Avec un record de 84 600 personnes détenues en mai 2025, soit 10 000 supplémentaires en moins de deux ans. À ce rythme, on pourrait atteindre 90 000 personnes fin 2025.

Les personnes étrangères ou perçues comme telles sont particulièrement ciblées par la répression et le risque d’enfermement. Fanélie Carrey-Conte, la secrétaire générale de la Cimade, association qui accompagne des personnes étrangères incarcérées dans leur accès aux droits dans 70 prisons, déplore un acharnement de la justice sur les étrangers. « Ils ont plus de risque d’être placés en détention provisoire, puis de passer en comparution immédiate et donc d’être condamnés à une peine plus sévère. Pour les personnes étrangères, les sorties sèches de prison restent souvent synonymes d’un nouvel enfermement en centre de rétention administrative. »

Pire, précise-t-elle, « un cap a été franchi avec un texte publié par le garde des Sceaux le 21 mars 2025, qui dit clairement que « notre arsenal répressif doit en particulier être mobilisé à l’encontre des personnes de nationalité étrangère ». Pour lui, l’expulsion de toutes les personnes étrangères détenues serait un moyen de résoudre la surpopulation carcérale, au mépris de la situation personnelle, familiale ou encore médicale des quelque 20 000 personnes qui sont ainsi visées ».

Le passage en comparution immédiate augmente de huit fois la probabilité de voir prononcer une peine de prison ferme

Hugo Partouche, membre du bureau national du SAF, verrait bien un moyen bien plus efficace pour résoudre le problème : limiter le recours à la comparution immédiate. « Il y a eu une augmentation de 30 % des jugements en comparution immédiate en dix ans alors que le nombre d’affaires poursuivables était stable, détaille-t-il. Or le passage en comparution immédiate augmente de huit fois la probabilité de voir prononcer une peine de prison ferme. »

Si toutes les études démontrent qu’il faut travailler sur l’emploi, l’insertion et le suivi de la famille en prévention de la délinquance, et que la réinsertion, quand elle est menée dans de bonnes conditions, fait ses preuves, ces éléments semblent totalement occultés du débat public.

Quant aux états généraux de l’insertion et de la probation, opportunément inaugurés ce 24 juin, les syndicats des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) n’en attendent pas grand-chose de bon. « Il est question de créer une police pénitentiaire pour contrôler les personnes sous probation alors même que cela fait partie des missions des Spip. Permettre à des agents armés et en uniforme d’aller vérifier si une personne sous main de justice est bien au travail ou d’effectuer des visites impromptues à domicile va rompre le lien de confiance qui nous permet d’amener des personnes vers une réinsertion durable », déplore Estelle Carraud, secrétaire générale du syndicat Snepap-FSU. Et de conclure : « On veut faire de nous des supplétifs de la politique répressive. »

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