Retour au pouvoir de Donald Trump : que pourrait changer la désignation des cartels comme "organisations terroristes étrangères" par les Etats-Unis ?

La mesure fait partie des nombreux décrets annoncés par Donald Trump, lundi 20 janvier, au premier jour de son retour à la Maison Blanche. A peine investi, le 47e président des Etats-Unis a signé un texte proposant de désigner les cartels, "et d'autres organisations", comme des "organisations terroristes étrangères". "Les cartels internationaux représentent une menace pour la sécurité nationale, qui va au-delà de la criminalité organisée", défend le décret présidentiel

Pour l'administration républicaine, ces groupes "se sont engagés dans une campagne de violence et de terreur à travers l'hémisphère occidental (…) qui a inondé les Etats-Unis de drogues mortelles, de criminels violents et de gangs vicieux". En 2023, plus de 72 000 morts par overdose ont été causées par le fentanyl dans le pays, selon les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies. Les cartels mexicains jouent un rôle clé dans l'acheminement de cet opioïde de synthèse vers les Etats-Unis, rappelle l'administration chargée de la lutte contre la drogue*. 

La volonté de désigner ces cartels comme organisation terroriste est loin d'être une nouveauté outre-Atlantique. "Ce n'est pas une idée de Donald Trump. C'est une discussion en cours depuis plus de quinze ans, chaque fois que les cartels prennent pour cible des citoyens américains", pointe Maria Calderon, chercheuse associée à l'Institut du Mexique au cercle de réflexion Wilson Center, à Washington. La première administration Trump, en 2019, avait tenté d'enclencher cette mesure, avant de reculer face aux refus mexicains. Quels changements pourrait provoquer cette décision ? Quel impact pourrait-elle avoir ? Eléments de réponse. 

Les "soutiens matériels" des cartels davantage ciblés

Dans son décret, Donald Trump appelle son nouveau secrétaire d'Etat, Marco Rubio, "à prendre toutes les mesures appropriées" dans les deux prochaines semaines pour "formuler une recommandation" sur ce dossier, "en consultation" avec d'autres responsables tels que le secrétaire au Trésor ou le procureur général. 

Comme l'explique le Washington Post, les Etats-Unis disposent déjà d'un autre outil, le Kingpin Act, pour s'attaquer aux cartels de la drogue. Les organisations mises en cause par ce texte sont privées de tout accès au système financier américain, précise le quotidien. Il n'y a ainsi "rien de nouveau" dans le fait de les désigner comme entités terroristes, estime auprès d'Associated Press Mike Vigil, ancien directeur de l'administration de lutte contre la drogue. Pour ce dernier, il s'agit plutôt d'un coup politique de Donald Trump, un signal envoyé à sa base partisane. 

L'inscription sur la liste américaine des organisations terroristes étrangères implique toutefois plusieurs conséquences juridiques, rappelle Maria Calderon dans une étude dédiée au sujet*. Il est interdit de fournir "un soutien matériel ou des ressources" à une telle organisation, sous peine d'amende ou d'incarcération. Les étrangers soutenant une entité terroriste sont interdits d'entrer sur le territoire américain ou peuvent en être expulsés, poursuit la chercheuse. Enfin, des fonds "dans lesquels une organisation terroriste étrangère ou l'un de ses agents a un intérêt" aux Etats-Unis peuvent être conservés et gelés. "Le gel des avoirs ne serait pas un changement radical" par rapport aux outils actuels, note toutefois la spécialiste. 

"Un changement important serait cette clause sur le soutien matériel [aux organisations]. Elle inclut une longue liste d'aides, de l'hébergement aux instruments financiers, en passant par la formation." 

Maria Calderon, chercheuse à l'Institut du Mexique au Wilson Center

à franceinfo

Cette clause pourrait avoir des conséquences sur des institutions financières "qui ont des activités au Mexique, mais qui manquent de contrôle en matière de blanchiment d'argent", estime la chercheuse. Elle est aussi "un instrument pour garantir une compétence extraterritoriale" aux autorités américaines. Autrement dit, la possibilité de poursuivre à l'étranger des acteurs fournissant un soutien matériel aux cartels. Des entreprises locales et des communautés au Mexique pourraient être ciblées, tout comme des migrants payant ces groupes pour leur exil. "Certains estiment que cela pourrait toutefois aider des demandeurs d'asile dans leurs démarches, s'ils sont persécutés ou harcelés par des organisations désormais classées terroristes", souligne la chercheuse. 

Une telle désignation des cartels pourrait aussi toucher bon nombre d'Américains, impliqués de près ou de loin dans leurs activités. Environ 80% des personnes condamnées pour trafic de drogue aux Etats-Unis sont en effet des citoyens américains, selon la Commission américaine des peines. Tout comme une majorité des individus arrêtés avec du fentanyl à la frontière, ajoute le Washington Post.

La perspective d'un recours à la force

Avec cette décision présidentielle, Donald Trump pourrait-il lancer une opération des forces spéciales américaines à l'encontre des cartels au Mexique ? "Cela pourrait arriver. Des choses plus étranges encore se sont produites", a déclaré le dirigeant populiste lundi soir. 

"Nous insistons sur la défense de notre souveraineté et de notre indépendance", a répliqué sans attendre la présidente mexicaine, Claudia Sheinbaum. Les "autres organisations" évoquées par le décret et pouvant être ciblées, les gangs tentaculaires Tren de Aragua et La Mara Salvatrucha (aussi appelé MS13), forts de milliers de membres, sont quant à elles ancrées dans plusieurs pays d'Amérique centrale et du Sud.

Quelle autre forme pourrait prendre un éventuel recours à la force ? "A ce stade, des frappes ciblées sur des laboratoires de fabrication du fentanyl ne sont pas à exclure", analyse Maria Calderon. Le chercheur Carlos Pérez-Ricart, interrogé par le journal espagnol El Paisévoque quant à lui une forme d'"invasion en douceur". Les services de renseignement américain seraient alors davantage impliqués au Mexique. Une riposte américaine contre les cartels sur le sol mexicain provoquerait "une période de tension dans les relations bilatérales entre les Etats-Unis et le Mexique", de l'avis de Maria Calderon. Elles entraîneraient aussi une possible escalade de la violence.

"Il n'est pas réaliste de croire que les cartels ne riposteraient pas. Il s'agit de groupes lourdement armés, qui pourraient se radicaliser."

Maria Calderon

à franceinfo

Pour la chercheuse, cette réaction pourrait se traduire par des "tactiques brutales et des représailles, envers les forces de l'ordre ou des groupes rivaux". Des civils dans les zones affectées pourraient subir des abus ou des déplacements forcés, ajoute-t-elle dans son étude.

Auprès d'El Pais, Carlos Pérez-Ricart rappelle que la "demande venue des Etats-Unis" est au cœur du problème du trafic et des morts liées aux drogues. "Tant que la demande de drogues persiste, il est impossible de penser que le problème peut être attaqué à la source : le Mexique", pointe le chercheur. L'usage de la force pour enrayer le problème serait alors "voué à l'échec", prévient-il. Au contraire, si la désignation en tant qu'organisation terroriste produit une "perturbation ciblée et intelligente" des cartels et des acteurs les entourant, "je pense que c'est une bonne nouvelle".

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des documents PDF.