« Les familles n’ont reçu aucune information suggérant qu’une enquête avait été menée » : en Arabie saoudite, les ouvriers étrangers morts au travail laissées dans l’oubli

Les ambitions démesurées de l’Arabie saoudite se révèlent être un broyeur en série de travailleurs précaires. Derrière les projets de mégalopoles, la diffusion d’un modèle capitalistique florissant et une stratégie pensée pour les décennies à venir (enjeux technologiques, environnementaux et historiques), le géant pétrolier d’Asie occidentale a construit son modèle sur le dos d’une masse d’ouvriers essentiellement venus de l’étranger.

Riyad n’hésite ainsi pas à délaisser leur sécurité, comme leurs conditions de travail, afin de combler ses ambitions. Un projet de longue date, notamment, s’avère être une catastrophe humanitaire : la Coupe du monde de football 2034. Deux rapports publiés le même jour, mercredi 14 mai, par Human Rights Watch (HWR) et FairSquare, mettent au jour un système où les travailleurs servent de chair à canon – à bas coût et sans accès à la justice.

Deux travailleurs sont morts dans leur sommeil

Cinq des neuf cas de décès documentés par Human Rights Watch, classés par les documents officiels comme non liés au travail, y compris de « causes naturelles », concernaient des travailleurs qui se sont effondrés sur leur lieu de travail et sont décédés plus tard. Deux autres travailleurs sont décédés des suites d’accidents du travail, l’un par électrocution et l’autre suite à un accident d’ascenseur. Deux autres travailleurs sont eux morts dans leur sommeil.

HWR donne pour exemple la mort tragique d’un ouvrier bangladais de 46 ans. « Selon ses collègues et le contremaître, il a remarqué un problème mécanique sur la machine qu’il utilisait, rapporte l’ONG. Il a éteint la machine pour la réparer et tentait de retirer une pierre coincée à l’intérieur lorsque quelqu’un l’a rallumée par inadvertance. Sa tête est restée coincée à l’intérieur et il est décédé sur le coup. » Lorsque son corps a été rapatrié au Bangladesh, « nous avons constaté que sa tête était séparée de son corps », a raconté sa conjointe à Human Rights Watch.

Toutes nationalités confondues, la grande majorité des décès de travailleurs ont été attribués à des « causes naturelles », révèle HWR. Une qualification trompeuse qui a, par exemple, représenté 74 % des 1 420 décès de travailleurs migrants indiens enregistrés rien qu’à l’ambassade d’Inde à Riyad en 2023 ; 80 % des 887 décès bangladais au cours des six premiers mois de 2024 ; et 68 % des 870 décès de travailleurs migrants népalais entre 2019 et 2022. « Les risques de décès et d’accidents du travail augmentent encore à mesure que le gouvernement saoudien accélère les travaux de construction pour la Coupe du monde 2034 et d’autres giga-projets », résume HWR, qui alerte sur la multiplication des morts de travailleurs issus de l’immigration.

FairSquare estime, de son côté, que la « main-d’œuvre migrante en Arabie saoudite a augmenté de 40 %, pour atteindre 13,2 millions, au cours des cinq années précédant 2024 ». Cette hausse est la conséquence des nombreux « giga-projets », comme la ville technologique futuriste NEOM, lancés ces dernières années par le pouvoir saoudien, explique l’ONG.

« Une augmentation de la capacité hôtelière de près de 500 % »

Or, « plusieurs centaines de milliers de travailleurs étrangers supplémentaires seront nécessaires pour construire les stades et les infrastructures de la Coupe du Monde masculine de la FIFA 2034, qui comprendra au moins huit nouveaux stades, 73 nouveaux centres d’entraînement avec leurs hébergements, une augmentation de la capacité hôtelière de près de 500 % en Arabie saoudite et une série de vastes projets d’infrastructures de transport », énumère FairSquare.

Pour mener à bien son enquête, Human Rights Watch s’est entretenu avec les proches de 31 travailleurs originaires du Bangladesh, d’Inde et du Népal. L’organisation non gouvernementale (ONG) a aussi rencontré deux « travailleurs sociaux basés dans les pays d’origine qui ont accompagné les familles dans leur rapatriement », et trois travailleurs migrants actuels qui ont été témoins du décès de leurs collègues.

FairSquare s’est quant à elle intéressée au sort de dix-sept travailleurs, âgés de 23 à 57 ans, qui « travaillaient tous dans des secteurs à faible revenu et à forte intensité de main-d’œuvre ». Cinq d’entre eux sont décédés dans des accidents du travail et les douze autres de maladies. « Dans les cinq cas de décès résultant d’accidents du travail, les familles n’ont reçu aucune information suggérant qu’une enquête avait été menée, malgré des preuves circonstancielles variables indiquant que la négligence de l’employeur pourrait avoir joué un rôle », révèle le rapport. Les familles de huit des douze autres victimes n’ont, de leurs côtés, jamais eu accès au dossier médical ni à aucune information sur la cause précise du décès de leur proche.

« Des centaines de milliers de jeunes hommes, dont beaucoup ont de jeunes familles, sont jetées dans un système de travail qui représente un risque sérieux pour leur vie, un système médical qui n’a pas la capacité de déterminer la cause de leur décès, et un système politique qui ne semble pas les protéger », fustige James Lynch, codirecteur de FairSquare. Selon une étude réalisée en 2019 par un pathologiste saoudien – qui a examiné tous les certificats de décès d’un hôpital de Riyad entre 1997 et 2016 -, dans 100 % des cas, la cause du décès était « soit incorrecte, soit absente ». Dans 75 % des cas, il n’y avait aucune cause de décès.

Or c’est dans ce contexte que la FIFA, l’organisation internationale de football, a attribué la Coupe du monde 2034 à l’Arabie saoudite. Le tout sans avoir procédé à une réelle vérification des droits humains et sans garantir une protection efficace des travailleurs. Un choix dont les conséquences seront désastreuses, regrettent les deux ONG. Des chaleurs extrêmes au manque de sécurité sociale pour les travailleurs, « la FIFA risque sciemment d’organiser un autre tournoi qui aura inutilement un coût humain considérable », fustige Human Rights Watch.

L’institution du football mondial s’est défendue auprès de HWR en annonçant prévoir de « mettre en place un système de protection sociale des travailleurs dédié aux normes obligatoires et aux mécanismes d’application pour la construction et la prestation de services liées à la Coupe du monde en Arabie saoudite »… mais sans fournir de détails sur les mesures concrètes.

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