L’Union Européenne dans le tourbillon de la guerre commerciale de Donald Trump
Les Européens ont la mémoire courte et une capacité presque inégalée à voir le monde avec des œillères. Les Vingt-Sept semblent en effet tomber de leur chaise face au rapport de force engagé par Donald Trump depuis son retour au pouvoir. Ils sont en réalité devant une Amérique qu’ils n’avaient pas voulu voir.
Le bloc continental avait beau avoir les yeux de Chimène pour Barack Obama (2009-2017), ce dernier laissait déjà préfigurer une remise en cause de l’ordre établi depuis 1945. Effarés par le verbe de Donald Trump, ils auraient tout autant dû l’être lorsque l’ancien président états-unien les avait qualifiés de « profiteurs » de la puissance américaine.
Qu’on le veuille ou non, Donald Trump poursuit le match engagé par son prédécesseur démocrate au nom de la défense des seuls intérêts de Washington. Cette fois, le bras de fer est sérieux.
Langue trumpienne
Le 26 février, le locataire de la Maison-Blanche – qui ne perd décidément aucune journée de son nouveau mandat – a annoncé que les produits européens, après les Canadiens et les Mexicains, feraient eux aussi l’objet de droits de douane à hauteur de 25 %.
Dans une langue toute trumpienne, il explique que l’Union européenne (UE) a « été conçue pour entuber les États-Unis ». C’est aller un peu vite en besogne tant ces derniers ont pesé dans l’orientation de la construction européenne et d’un grand marché privé de protection commerciale et financière après la Seconde Guerre mondiale.
S’il n’a pas précisé l’étendue exacte des mesures douanières, Donald Trump a néanmoins laissé entendre que ces sanctions pourraient frapper le secteur automobile déjà en crise. Pour la seule Allemagne, la transformation de l’industrie, traditionnelle pourvoyeuse de croissance, pourrait entraîner la suppression de 186 000 emplois au cours des dix prochaines années ; 46 000 ont déjà disparu. À l’échelle du continent, ce sont 86 000 postes qui ont été sacrifiés chez les équipementiers.
L’UE entend réagir
Protectionnistes, les États-Unis avaient déjà mis en place l’« Inflation Reduction Act » sous Joe Biden afin de favoriser leur industrie. L’idée que la libéralisation des échanges doit en premier lieu être bénéfique aux États-Unis traverse les administrations. Ulcéré par un déficit commercial qu’il estime à « 300 milliards de dollars », Donald Trump accélère le tournant unilatéraliste.
La Commission européenne conteste d’ailleurs ce montant qu’elle évalue à 150 milliards d’euros (157 milliards de dollars) sur les biens, et seulement à 50 milliards une fois pris en compte l’excédent commercial états-unien dans les services.
Malgré cette bataille de chiffres, Donald Trump entend achever la saignée. Dans une autre allocution, il suggérait que les pays qui appliquent un impôt visant les géants du numérique, comme c’est le cas de la France à hauteur de 3 % du chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone, pourraient être visés par des droits de douane supplémentaires.
« L’Union européenne est le plus grand marché de libre-échange au monde. Et elle a été une aubaine pour les États-Unis », a rétorqué un porte-parole de l’exécutif européen. Avant d’avertir : l’UE réagira « fermement et immédiatement ». « Ils ne le feront pas », tranche le locataire de la Maison-Blanche. « Nous sommes la corne d’abondance, ce que tout le monde veut », assure-t-il. « Il suffit que nous n’achetions plus rien, et si c’est ce qui se produit, nous gagnerons. »
Vers une diversification des relations européennes
Bruxelles a de fait peu de cartes en main pour redéployer ses alliances. Les Vingt-Sept ont laissé entendre qu’ils pourraient se rapprocher de la Chine, dont ils sont déjà le premier partenaire commercial. Le revirement serait toutefois de taille alors que Pékin était jusqu’alors présenté comme un « rival systémique » et que des différends commerciaux persistent sur les véhicules électriques et les produits laitiers.
L’UE envisage également de renforcer ses liens avec le Mexique et le Canada également mis sous pression par le président états-unien. Ce 27 février, l’hyperprésidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se rendait également en Inde dans le cadre de son nouvel agenda stratégique. Une diversification des relations qui vise à assurer des débouchés à la production continentale.
Bien que Narendra Modi partage nombre d’options idéologiques avec Donald Trump, il a en commun avec l’UE une certaine vision du multilatéralisme. Perçu par le Nord global comme une puissance d’équilibre face à la Chine, l’Inde était déjà au cœur de la stratégie « Global Gateway », en 2021, sorte de nouvelles routes de la soie concurrençant le projet chinois de construction d’infrastructures.
Au-delà des États-Unis, le monde se détourne de l’Europe
Il y a néanmoins quelque chose qui pèche dans la stratégie européenne. Au prétexte de demeurer concurrentielle face aux États-Unis, elle accentue en réalité la dérégulation tous azimuts. Le 26 février, elle simplifiait ainsi trois textes emblématiques du pacte vert sur l’environnement via la directive « Omnibus », répondant ainsi aux supplications du patronat.
En même temps que la protection des citoyens et travailleurs, l’UE abandonne ainsi une part de ce qui la caractérisait en tant que puissance normative. « L’idée de puissance normative a été développée comme une alternative à la puissance traditionnelle militaire et économique », explique, pour l’Humanité, Pierre Haroche, maître de conférences, et auteur du livre Dans la forge du monde. Comment le choc des puissances façonne l’Europe (Fayard, 2024).
Le modèle attractif qu’elle prétendait construire en imposant des règles communes est en crise, dans un monde où le rapport de force domine. À cet égard, l’Europe n’est pas seulement bousculée par Washington, mais également par l’émergence du Sud global qui entend s’émanciper de toutes les dominations.
Sérieux revers pour le Vieux Continent
« L’idée que le reste du monde n’a d’autre ambition que de suivre le phare européen et d’attendre que les Européens fassent rayonner leurs valeurs est battue en brèche. Il y avait un côté eurocentrique, ethnocentrique même, à considérer que le monde avait vocation à suivre le modèle européen », poursuit Pierre Haroche.
Au-delà de l’obsession tarifaire, le rapport de force engagé par Donald Trump exclut également l’UE des négociations sur la fin du conflit en Ukraine et donc sur l’avenir de la sécurité continentale. C’est un sérieux revers y compris pour Emmanuel Macron qui se faisait fort, le 24 février, de mettre en garde son homologue à Washington contre une « capitulation » forcée de l’Ukraine.
Les coups pleuvent de tous les côtés et, en un ultime affront, la cheffe de la diplomatie de l’UE, Kaja Kallas, n’a pas pu rencontrer le secrétaire d’État Marco Rubio à Washington, officiellement « pour des raisons d’agenda ». Faucon en chef, la dirigeante estonienne est précisément à la pointe de la stratégie guerrière contre la Russie qui cadre mal avec le retournement d’alliances de Washington. Un rapprochement avec la Russie qui vise avant tout à sortir cette dernière de sa dépendance à la Chine afin d’empêcher Pékin de prendre le leadership mondial.
« Une alliance qui repose sur une division du travail »
Le 12 février, à Bruxelles, le secrétaire états-unien à la Défense, Pete Hegseth, avait déjà donné sa vision de la nouvelle répartition de l’ordre mondial. « Selon lui, la sécurité européenne relève essentiellement des Européens. Les États-Unis, eux, doivent se tourner vers d’autres directions et, en particulier, le continent américain, le Pacifique et l’Asie. Il évoque ainsi une nouvelle ère. Pour lui, ce n’est pas la fin de l’Alliance atlantique, comme on le dit parfois, mais une alliance qui repose sur une division du travail. Les Européens s’occupent de la sécurité européenne, les Américains s’occupent du Pacifique. C’est une conception complètement différente de l’alliance construite à partir de 1949-1950 », souligne Pierre Haroche.
Pour exagérées qu’elles soient, les démonstrations tactiles d’Emmanuel Macron et Donald Trump n’ont pas produit les effets escomptés. Rattrapés par la crise de l’ordre néolibéral, les Européens sont contraints de repenser leurs alliances. En vertu de leurs impératifs sécuritaires, les États-Unis entendent contraindre les marchés, ériger des barrières aux échanges et contrôler les investissements. Pour mieux préparer la guerre.
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