Santé, espace, climat... Comment Donald Trump s'attaque consciencieusement à la science

Emmanuel Macron dénonce un "diktat" de Donald Trump. Le président français a fustigé la façon dont son homologue américain s'en prend à la science, lors de l'événement "Choose Europe for science" organisé à Paris, lundi 5 mai. Depuis l'arrivée du milliardaire républicain à la Maison Blanche pour son second mandat, la recherche académique est régulièrement dans son collimateur. "Personne ne pouvait penser que cette très grande démocratie du monde, dont le modèle économique repose si fortement sur la science libre", "allait faire une telle erreur", a jugé le locataire de l'Elysée.

"Les mots comme 'genre', 'climat', 'changement climatique', 'vaccin' ou encore 'infectiologie' sont des thématiques attaquées, voire interdites. Si vous les utilisez, vous pouvez être renvoyé", a résumé sur franceinfo Didier Samuel, président-directeur général de l'Institut national de la recherche médicale (Inserm). Les mots "femme" et "féminin" sont aussi prohibés. Face à cette situation, pour tenter d'attirer des scientifiques sur le vieux continent, la France a annoncé mettre 100 millions d'euros sur la table et l'Union européenne a débloqué une enveloppe de 500 millions d'euros. L'université d'Aix-Marseille, qui a été la première à lancer le mouvement en France, a reçu quelque 300 candidatures avec son programme "Safe place for science" ("Lieu sûr pour la science").

Des coupes désastreuses dans le domaine de la santé

Donald Trump s'est attaqué à la science dès sa prise de fonction. Le 21 janvier, à peine investi, il a signé de nombreux décrets pour retirer les Etats-Unis de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'accord de Paris, une décision en conformité avec son climatoscepticisme notoire. Depuis, le président n'a cessé d'enfoncer le clou, comme l'ont détaillé le New York Times ou encore le site américain Stat. Il a notamment chargé le milliardaire Elon Musk de réaliser de vastes coupes dans les dépenses publiques en le plaçant à la tête du Doge, pour "Department of Government Efficiency" (département de l'efficacité gouvernementale). 

Dans le domaine de la santé, l'administration Trump a brutalement coupé, en mars, 250 millions de dollars de crédits du National Institute of Health (NIH), l'agence américaine chargée de la recherche médicale. La première ébauche de budget du second mandat, présentée par l'exécutif américain le 2 mai, propose de presque diviser par deux le budget du NIH, passant d'environ 48 à 27 milliards de dollars. Derrière ces chiffres, une pluie de projets s'effondre. "C'est comme si tous les espoirs et rêves que j'avais m'étaient arrachés", a relaté dans les colonnes du magazine Science Katrina Jackson, qui devait travailler sur une maladie fongique infectieuse endémique aux Etats-Unis et qui tue chaque année des milliers de personnes.

De son côté, l'université Columbia a annoncé mardi 6 mai le licenciement d'environ 180 personnes après la suppression de 400 millions de dollars d'aides fédérales. "Cela représente environ 20% des personnes qui travaillaient sur les projets de recherche" affectés par les coupes de l'administration Trump, selon la direction de l'établissement, qui évoque des "choix difficiles" afin de "préserver" ses "capacités de recherche". Sarah Fortune, une chercheuse reconnue de la prestigieuse université Harvard, a été contrainte d'arrêter en avril ses recherches sur la tuberculose. "Mon programme coûte 60 millions de dollars, donc c'est possible qu'on se soit retrouvés en haut de la pile parce que l'on coûte beaucoup d'argent", a-t-elle estimé auprès de RFI.

"Je pense que mon programme n'est que le premier d'une longue série de programmes qui seront coupés."

Sarah Fortune, cheffe de la chaire d'immunologie et des maladies infectieuses d'Harvard

à RFI

Les conséquences de ces décisions risquent d'être désastreuses au niveau national mais également dans le monde entier, "parce que les Etats-Unis ont joué un rôle de plateforme internationale pour la recherche", a expliqué sur franceinfo Philippe Baptiste, ministre chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Les réductions affecteront de nombreuses bases de données couvrant des thèmes variés, allant "de la santé jusqu'à la biologie fondamentale", a-t-il prévenu.

Les organismes étudiant le climat dans le viseur

Du côté des sciences climatiques, les attaques se sont notamment concentrées sur la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Cette structure-clé dans l'observation et la connaissance du réchauffement climatique assure le suivi de l'océan et des écosystèmes marins et se trouve au cœur des alertes tsunami, entre autres. Donald Trump compte réduire son budget de plus de 1,6 milliard de dollars par rapport à l'année précédente. Mais des centaines de scientifiques et d'experts ont déjà été licenciés. Dans ce mouvement, le président américain a ainsi congédié les auteurs d'un rapport crucial sur le climat. Ce texte fait pourtant partie des outils essentiels pour les législateurs, les entreprises et les gouvernements dans la planification de mesures de résilience climatique. 

Ces premières mesures visant le climat ont déjà des conséquences directes : les données provenant des ballons météorologiques, des sondes flottant dans l'air qui mesurent notamment la température, la vitesse du vent et l'humidité, "ont diminué d'environ 10%", a rapporté mi-avril Florence Rabier, directrice générale du Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme.

Donald Trump s'est également attaqué à l'USDA, l'agence fédérale chargée de l’agriculture, lui interdisant notamment de poursuivre des travaux sur le réchauffement climatique. Il a aussi visé la National Science Foundation (NSF), la Fondation nationale pour la science, que la revue scientifique Nature présente comme "l'un des plus grands bailleurs de la recherche fondamentale au monde". Le glaciologue Etienne Berthier, directeur de recherche au CNRS, relate à franceinfo que son équipe vient de perdre l'accès à des informations du Polar Geospatial Center, le centre polaire géospatial, qui en dépend. "Ce sont des bases de données satellitaires importantes pour le suivi des régions polaires, notamment les glaciers et les calottes", explique-t-il. Est-il étonné de cette restriction ? "Sincèrement, on s'attend à tout. Je ne l'avais pas pressentie mais je ne suis pas surpris non plus." 

Des programmes spatiaux abandonnés

"On sape ici la production de connaissance, alors que la recherche américaine joue un rôle de leader", avait déclaré à franceinfo la climatologue française Valérie Masson-Delmotte en lançant l'initiative "Stand up for science" ("Défendons la science"), début mars. "L'impact sur les générations futures, sur la biodiversité et la santé de la planète va se révéler catastrophique. Les dégâts causés en si peu de temps seront beaucoup plus longs à réparer", a estimé l'Académie des sciences française, dès janvier, condamnant l'"obscurantisme" qui gagne les Etats-Unis.

La Nasa n'est pas épargnée. Le budget prévisionnel présenté par l'exécutif américain prévoit une réduction d'environ 24% du budget de l'agence spatiale américaine. Les départements les plus touchés sont les programmes dédiés aux sciences de l'espace et de la Terre, dont certains programmes de surveillance satellitaire servant à l'étude du changement climatique.

Mais les branches environnementales de la Nasa ne sont pas les seules touchées. Le programme Artemis, qui vise l'installation d'une base lunaire, est frappé de plein fouet par les changements majeurs, avec l'abandon progressif de la fusée SLS et de la capsule Orion alors qu'elles étaient développées pour lui. La Lunar Gateway, future station placée en orbite de la Lune, développée par la Nasa et plusieurs autres agences spatiales internationales, devrait être abandonnée. En résumé, le satellite naturel de la Terre ne fait plus partie des priorités : c'est maintenant la planète rouge qui arrive en tête. Donald Trump a même déclaré lors de son discours d'investiture qu'il souhaitait lancer "des astronautes américains pour planter la bannière étoilée [le drapeau américain] sur la planète Mars". Cet objectif est également cher à Elon Musk, le patron de SpaceX, qui entend faire de l'Homme la première espèce interplanétaire et vise en premier lieu la cousine de la Terre.

Un bras de fer avec les universités

Au-delà des agences fédérales, les prestigieuses universités américaines, jugées trop progressistes par Donald Trump, sont également dans le viseur. Harvard "enseigne la haine et l'imbécillité", et "ne devrait plus recevoir de fonds fédéraux", a écrit le président américain sur son réseau Truth Social, mi-avril, après avoir coupé 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales pluriannuelles. Des représailles aux propos du président de l'université, Alan Garber, qui avait déclaré : "Aucun gouvernement, quel que soit le parti au pouvoir, ne doit dicter aux universités privées ce qu'elles doivent enseigner, qui elles peuvent enrôler et embaucher, ni sur quelles matières elles peuvent mener des recherches."

La fronde de Harvard tranche avec le positionnement de Columbia, à New York, qui a accepté d'engager de profondes réformes. Un choix considéré par certains comme une capitulation devant l'administration Trump. Face à l'acharnement du président américain, des dizaines d'universités américaines ont manifesté, fin avril, contre l'"interférence politique" du gouvernement. "Nous sommes ouverts à des réformes constructives et ne sommes pas opposés à une supervision légitime du gouvernement", ont écrit dans une déclaration commune une centaine de personnes, dont des responsables d'associations et des présidents d'université. Parmi ces derniers figurent les présidents de Brown, Cornell, Harvard, Princeton et Yale, des universités membres de l'Ivy League, qui regroupe huit des universités les plus réputées du pays.

Cette résistance ne convainc pas un scientifique français installé aux Etats-Unis depuis de longues années. Les universités des Etats-Unis vont devenir des "coquilles vides", prédit auprès de franceinfo celui qui souhaite garder l'anonymat. "Le modèle des universités américaines va être détruit et je ne vois pas de modèles alternatifs émerger", déplore-t-il. Pour lui, il règne aux Etats-Unis un climat "hostile" à la science. Et le problème, toujours d'après cette source, ne se cantonne pas à Donald Trump, mais à toute la galaxie qui gravite autour de lui, "des forces beaucoup plus fortes" avec, notamment, "tout le milieu de la tech qui a basculé".