Ce que l'on sait de l'action d'Elon Musk et de ses "Doge Kids", devenus le cauchemar des fonctionnaires aux Etats-Unis
Quatre lettres font trembler les fonctionnaires aux Etats-Unis : Doge, pour "Department of Government Efficiency" (département de l'efficacité gouvernementale). Cette commission a été confiée au milliardaire Elon Musk par Donald Trump pour tailler dans le budget de l'administration. Elle a mené son offensive dès les premiers jours du mandat du nouveau président des Etats-Unis. En appliquant aux agences fédérales les méthodes employées dans ses entreprises, l'homme le plus riche du monde et son équipe ont déjà eu la peau de l'agence humanitaire du gouvernement américain USAID. Ses effectifs vont en effet passer de plus de 10 000 personnes à moins de 300, a alerté jeudi 6 février un syndicat.
Contestées devant la justice, les opérations de la commission interrogent et inquiètent l'opposition démocrate. E-mails appelant les fonctionnaires à la démission, budgets d'administrations coupés du jour au lendemain, salariés jeunes et inexpérimentés acquis à la cause d'Elon Musk... Voici ce que l'on sait des méthodes de cette nouvelle entité qui passe les agences fédérales et les ministères à la moulinette "Maga" ("Make America Great Again", slogan de campagne de Donald Trump).
Des "Doge Kids" issus de la tech...
Le flou persiste sur cette nouvelle commission, créée par décret de la Maison Blanche le 20 janvier, jour de l'investiture de Donald Trump. Dépourvu de statut fédéral, l'organisme exerce ses prérogatives en dehors de tout contrôle du Congrès. Son patron, Elon Musk, n'est ni employé fédéral, ni fonctionnaire gouvernemental et ne doit donc rendre des comptes qu'au président américain, lequel a installé la toute jeune commission à un jet de pierre du Bureau ovale, dans le bâtiment Eisenhower.
La presse américaine, et notamment une enquête de Wired, a révélé l'identité de certains membres de l'équipe de cette nouvelle commission. Dans cette liste non exhaustive dressée par le magazine figurent des jeunes hommes âgés de 19 à 25 ans, brièvement passés par les différentes entreprises d'Elon Musk, en tant qu'ingénieurs ou simples stagiaires. Les médias leur ont trouvé un surnom : les "Doge Kids" (les "enfants du Doge")
Pour le journaliste et auteur américain Ryan Mac, qui a enquêté sur Elon Musk, ces recrutements sont cohérents avec "l'idée" selon laquelle "les ingénieurs doivent prendre les décisions" chères au milliardaire. "C'est la raison pour laquelle on commence à voir de jeunes ingénieurs arriver dans ces agences pour superviser des choses", estime-t-il dans un entretien accordé mercredi à l'AFP.
L'un d'eux a déjà fait l'objet d'une polémique. Marko Elez, 25 ans, a été contraint de démissionner jeudi après que des messages racistes qu'ils avaient postés sur les réseaux sociaux ont été exhumés. Elon Musk a toutefois demandé vendredi dans un sondage sur son réseau social X s'il devait faire revenir un employé.
Wired avait révélé mardi que le service chapeauté par le jeune homme avait pris le contrôle du système de paiements du Trésor américain. L'instance est chargée de distribuer des milliers de milliards de dollars de fonds fédéraux, dont 6 000 milliards de dollars destinés chaque année au fond de retraites publiques, aux salaires des fonctionnaires fédéraux et autres dépenses essentielles.
...qui ont la mainmise sur les agences fédérales (et leurs données)
Au nom de la lutte contre "la corruption et le gâchis" au sein des agences de l'Etat fédéral, selon les termes d'Elon Musk, la commission a déjà mis la main sur les données, parfois sensibles, des administrations qu'elle a dans le collimateur. Cette prise de contrôle sur le système de paiement du Trésor a été attaquée en justice par des syndicats et un groupe de défense des droits humains, dans une plainte déposée à Washington. Des avocats cités dimanche par Politico ont par ailleurs estimé que l'accès du Doge à ces données pourrait également violer les lois liées à la cybersécurité. Ces employés "ne respectent pas la loi, ils ne suivent aucune forme de bonnes pratiques, ils piratent et détruisent simplement les systèmes informatiques du gouvernement d'une manière qui menace la sécurité nationale et met tout le monde en danger", a dénoncé l'un d'eux.
Pour illustrer cette problématique, le site américain cite l'exemple d'employés du Bureau de gestion du personnel (OPM), une antenne du Trésor. Politico et Reuters affirment que certains fonctionnaires de ce service clé ont vu leur accès à des bases de données supprimé, au profit de membres du service d'Elon Musk.
Des scènes similaires se sont ensuite produites au ministère de l'Education où, selon le Washington Post, des agents du Doge "ont mis des données sensibles du ministère de l'Education dans un logiciel d'intelligence artificielle pour sonder les programmes et les dépenses de l'agence". Le Wall Street Journal rapporte pour sa part que ces membres "avaient infiltré les Centers for Medicare and Medicaid Services", un programme d'assurance santé, tandis que des élus démocrates déclaraient jeudi à la chaîne ABC qu'"au moins une personne du Doge a eu accès aux systèmes informatiques" de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l'agence fédérale chargée de la météo et du climat.
Une prise de pouvoir informatique, mais aussi physique, selon le quotidien britannique The Guardian qui se fait ici l'écho de fonctionnaires mis à la porte d'administrations sous la pression d'Elon Musk. Le journal a ainsi identifié trois appels passés par le milliardaire aux dirigeants de la sécurité de l'USAID, "dans lesquels il a exigé la suspension de dizaines de hauts responsables de l'agence, et a cajolé et menacé des hauts responsables pour qu'ils donnent à ses complices des données privées et un accès à des zones restreintes" allant jusqu'à "menacer d'appeler le US Marshals [agence de police gouvernementale]".
Des méthodes testées chez X
Pour couper le budget des agences fédérales, Elon Musk use des mêmes méthodes utilisées lors du rachat de Twitter, devenu X. Son bras droit Steve Davis, "venu chez Twitter pour réduire les coûts (...) fait maintenant partie du Doge", poursuit le journaliste Ryan Mac, cité par l'AFP. Selon lui, la méthode est la même qu'avec le réseau social : "Ils annihilent tel frais ou telle dépense, puis l'employé responsable du budget en question doit expliquer pourquoi il est nécessaire. Ils reconstituent le budget sur cette base en essayant de trouver au passage des économies à faire." Comme Elon Musk l'a fait chez Twitter, la commission a donné la possibilité aux personnes en place de partir, en cas de désaccord avec la nouvelle direction.
A la fin du mois de janvier, quelque deux millions de fonctionnaires ont reçu dans leur boîte mail un message leur proposant de démissionner sous neuf jours, avec l'équivalent de neuf mois de paye. Cette invitation a déjà été acceptée par "plus de 40 000" fonctionnaires, selon la porte-parole de la Maison Blanche, Karoline Leavitt, interrogée à ce sujet jeudi. Saisi par le principal syndicat de fonctionnaires fédéraux, l'AFGE, et d'autres organisations, un juge fédéral du Massachusetts a cependant suspendu cette date limite, jeudi après-midi, et programmé une nouvelle audience lundi, a annoncé le Washington Post alors que l'ultimatum touchait à sa fin. Un répit de quelques jours qui annonce de longues procédures à venir.