La "détoxification" de la Russie, simple comme un coup de fil entre Poutine et Trump ?

Ce devait être le coup de fil du "cessez-le-feu" en Ukraine ou du moins un grand pas dans cette direction. Et… ils ont parlé de hockey. Certes, le président américain Donald Trump et son homologue russe Vladimir Poutine ont évoqué la guerre en Ukraine durant leur très attendue discussion téléphonique, mardi 18 mars. Mais, sur ce point, l’appel semble avoir accouché d’une souris d’après la plupart des commentateurs. Vladimir Poutine a refusé le cessez-le-feu de 30 jours, acceptant simplement un arrêt des attaques contre les infrastructures énergétiques.

Plus surprenant peut-être, l’évocation au cours de cette conversation de sujets sans rapport avec la guerre. Vladimir Poutine et Donald Trump se sont ainsi entretenus d'un futur match de hockey entre les stars russes et celles d’Amérique du Nord.

Les deux dirigeants semblent également s’être mis d’accord sur le principe d’une coopération russo-américaine dans d’autres régions du monde comme le Moyen-Orient, avec un accent particulier sur le dossier iranien.

"L'Ukraine, un point parmi d'autres"

Quelques heures avant l’entretien entre les deux chefs d’État, le fonds souverain russe a aussi annoncé "discuter avec Elon Musk" d'une éventuelle collaboration pour une mission sur Mars.

Cette accumulation de sujets divers et variés venus s’amalgamer autour des négociations en vue d’un cessez-le-feu "ont donné l’impression que l’Ukraine n’était qu’un point parmi d’autres à aborder entre les deux chefs d’État", souligne Stephen Hall, spécialiste de la Russie à l’université de Bath.

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Vladimir Poutine a tout à gagner à ce mélange des genres. "Tout ce qui permet de parler moins de l’Ukraine et plus d’autre chose est bon à prendre pour le président russe", assure Natasha Lindstaedt, spécialiste des régimes autoritaires à l’université d’Essex (Royaume-Uni).

Surtout quand il s’agit de hockey, "qui est un sport que Vladimir Poutine pratique et apprécie", note Stephen Hall.

Vladimir Poutine a dû également se réjouir de cette parenthèse sportive au sein de négociations au plus haut niveau car il a mal digéré "le fait que la Russie ait été mise sur le banc des nations dans tous les sports après le début de l’invasion de l’Ukraine", explique Natasha Lindstaedt.

Un match de hockey contre les États-Unis représenterait une victoire diplomatique pour le maître du Kremlin. À ses yeux, ce serait un pas sur le chemin de la normalisation diplomatique.

Nucléaire iranien et voyage sur Mars

Pour Moscou, ce coup de fil avec Donald Trump avait moins à faire avec la recherche d’une solution en Ukraine qu’avec la "détoxification de la Russie", indique le site indépendant d’information russe Meduza.

L’objectif pour les stratèges du Kremlin était de démontrer que Vladimir Poutine n’était pas que le foudre de guerre qu’il faut isoler à tout prix. Avec l’aide de Donald Trump, il a cherché à se présenter aussi comme un homme de solutions dans d’autres domaines.

C’est tout l’intérêt du projet de coopération américano-russe dans le Moyen-Orient qui a été abordé durant l’entretien téléphonique. Vladimir Poutine joue là le jeu de Donald Trump, "cherchant à mettre en scène les deux superpuissances travaillant ensemble à sauver le monde et trouvant des solutions à certaines des situations les plus épineuses, comme le nucléaire iranien ou la crise au Moyen-Orient", décrypte Stephen Hall.

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Il en va de même de la proposition du fonds souverain russe de collaborer avec SpaceX pour donner corps au rêve d’Elon Musk d’aller sur Mars. "C’est une autre manière de prouver à Donald Trump que la Russie est dans son camp, que Moscou veut bien aider l’un des principaux alliés politiques du président des États-Unis", souligne Jenny Mathers, spécialiste de la Russie à l’université d’Aberystwyth. Autrement dit, le Kremlin fait tout pour convaincre Donald Trump que le seul obstacle sur le chemin de cette coopération fructueuse entre les deux pays s’appelle Volodymyr Zelensky, le président ukrainien.

Washington toujours plus toxique ?

"Vladimir Poutine s’est probablement mis un 7 ou un 8 sur 10 pour sa prestation lors de cet échange téléphonique", évalue Jenny Mathers. "Il est le seul vrai gagnant dans cette affaire", confirme Natasha Lindstaedt. Il a réussi à réduire à la portion congrue les concessions faites dans le dossier ukrainien, et a pu faire miroiter des avantages concrets à Donald Trump afin de le rallier autant que faire se peut à sa cause. "Depuis le départ, Vladimir Poutine est convaincu que si l’Ukraine réussit à se défendre aussi bien, c’est parce qu’elle est une marionnette de Washington, et que s’il réussit à mettre l’administration américaine dans sa poche, l’Ukraine s’effondrerait", explique Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics. Et avec cet appel, le président russe "estime avoir fait des progrès dans cette direction", poursuit ce spécialiste.

Vladimir Poutine a également fait une autre victime collatérale : l’Europe. "Les efforts européens de continuer à chercher à isoler Moscou sur la scène internationale risquent d’être vains si la première puissance mondiale, les États-Unis, œuvre activement à normaliser sa relation avec la Russie", estime Natasha Lindstaedt.

Si cette conversation téléphonique a contribué à "détoxifier" Moscou, elle a en contrepartie "rendu les États-Unis plus toxiques aux yeux d’une partie du monde", estime Jeff Hawn. Les alliés traditionnels de Washington – les pays européens mais aussi le Japon et la Corée du Sud en Asie – ont pu constater à quel point les États-Unis de Donald Trump ont été prompts à lâcher l’Ukraine, "ce qui en fait un allié de moins en moins fiable à leurs yeux", estime Jeff Hawn.

Moins fiable et peut-être aussi moins puissant ? Jenny Mathers conclut : "Donald Trump semble engagé dans une grande entreprise de sabordage de l’influence – diplomatique et économique – américaine sur la scène internationale. Et s’il continue comme ça, avoir les États-Unis à ses côtés deviendra beaucoup moins intéressant pour Vladimir Poutine."