Incendies dans l’Aude : « N’oublions pas que la canicule elle-même a un impact sur la santé humaine », soulignent deux chercheurs spécialistes de la pollution de l’air
La France suffoque chaque été un peu plus. Ce jeudi 7 août, 11 nouveaux départements ont été placés en alerte orange canicule alors qu’un incendie spectaculaire ravage l’Aude depuis trois jours.
En cause : des vagues de chaleur appelées à s’intensifier avec le dérèglement climatique. Ces épisodes caniculaires soulèvent une autre inquiétude, moins visible mais tout aussi préoccupante : la pollution atmosphérique, notamment les pics d’ozone qui se concentrent en période estivale.
Quelle est l’ampleur du phénomène ? Quels sont ses origines et ses impacts sur la santé ? Quelles solutions pour y remédier ? Éléments de réponse avec Gilles Foret et Matthias Beekmann, chercheurs au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA) à l’université Paris Est Créteil.
Quel état des lieux dressez-vous de la qualité de l’air en France ?
Gilles Foret : Quand on parle de qualité de l’air, on parle de polluants – gaz ou particules – qui ont un impact direct sur la santé. En France, leurs valeurs moyennes ont presque toutes chuté en 30 ans, sauf pour l’ozone. C’est le résultat de mesures françaises et européennes pour rendre voitures et industries plus propres. Mais une part de notre industrie a été délocalisée en Asie et ailleurs, déplaçant le problème.
Matthias Beekmann : La gravité de la pollution de l’air s’évalue selon des seuils fixés pour les principaux polluants – particules fines, ozone, oxydes d’azote. Ces seuils ne sont toujours pas respectés pour les oxydes d’azote et les particules fines. Or ces dépassements ont un impact sanitaire : environ 40 000 morts prématurées chaque année en France.
La pollution de l’air reste une cause de mortalité importante. Malgré la baisse des émissions globales, les niveaux actuels restent dangereux pour la santé publique. Le problème est loin d’être réglé.
Comment la canicule influe-t-elle sur la pollution ?
Matthias Beekmann : La chaleur favorise l’accumulation de polluants dans l’atmosphère, en particulier l’ozone. Sous l’effet du soleil, des polluants « précurseurs » – issus des activités humaines – réagissent et forment de l’ozone. Avec la multiplication des canicules, on pourrait s’attendre à une hausse des pics d’ozone. Mais la baisse des émissions de précurseurs compense en partie cet effet. Résultat : la fréquence des pics d’ozone est légèrement en baisse.
Gilles Foret : On observe une sorte d’équilibre : les efforts sociétaux de réduction des émissions limitent les pics d’ozone, mais les canicules répétées, favorables à sa formation, freinent cette baisse.
Matthias Beekmann : Une étude basée sur les projections du GIEC montre qu’avec + 3 °C en 2050, sans changement climatique il y aurait une baisse plus forte de la concentration d’ozone dans l’air.
Autrement dit, le changement climatique annihile l’effet positif qu’on aurait grâce à la baisse des émissions des « précurseurs ». Et si les pics diminuent légèrement, la concentration moyenne d’ozone augmente, ce qui reste préoccupant.
Gilles Foret : Cette hausse a aussi un impact sur la végétation à long terme : l’ozone altère les fonctions des plantes, freine leur croissance et peut entraîner leur dépérissement. Pour la santé humaine, les pics sont les plus problématiques ; pour la végétation, c’est l’exposition prolongée.
Comment les feux de forêt, eux aussi plus fréquents, impactent la qualité de l’air et la santé ?
Gilles Foret : Les incendies augmentent fortement les concentrations de particules fines, déjà très présentes dans la pollution de l’air. Le changement climatique pourrait aggraver cette tendance.
Matthias Beekmann : Ces particules affectent directement les voies respiratoires et le système cardiovasculaire. À plus long terme, elles peuvent provoquer des maladies chroniques.
Gilles Foret : Respirer l’air d’un incendie, c’est comme être derrière un pot d’échappement : les particules pénètrent dans les poumons, provoquent un stress oxydant et des inflammations, entraînant des pathologies graves, voire la mort chez les plus fragiles. On estime aujourd’hui que c’est le polluant le plus dangereux pour la santé.
Matthias Beekmann : N’oublions pas que la canicule elle-même a un impact sur la santé humaine et qu’il est parfois difficile de déceler les responsabilités des différents polluants. En 2003, elle a causé 15 000 décès en France : 10 000 attribués à la température, 5 000 à l’ozone.
Cet été, la canicule de fin juin – début juillet aurait causé 2 300 morts dans 12 villes européennes, dont 1 500 seraient liées au changement climatique. Autrement dit, sans celui-ci, la vague de chaleur aurait été moins intense et moins meurtrière.
Quelles solutions pour limiter ces effets ?
Matthias Beekmann : Réduire la combustion des fossiles est essentiel pour agir à la fois sur le climat et la pollution de l’air. Techniquement, cela passe par un basculement vers les énergies renouvelables. Économiquement et socialement, à titre personnel, je pense qu’il faut un changement de consommation. Le système actuel, qui favorise l’achat de véhicules polluants et où les grandes compagnies pétrolières minimisent la crise, ne favorise pas la prise de mesures en faveur de la sobriété.
Gilles Foret : La priorité reste de couper les émissions à la source : c’est le seul moyen d’agir simultanément sur le climat et la qualité de l’air.
La pollution de l’air est-elle suffisamment prise en compte par les pouvoirs publics ?
Gilles Foret : Des efforts importants ont été faits pour mieux prévoir les épisodes de pollution. Mais face aux pics, les mesures ponctuelles relèvent souvent plus de la communication politique que de l’efficacité réelle. L’enjeu est d’agir sur le long terme, à plus grande échelle.
Matthias Beekmann : La circulation alternée a des effets, mais n’empêche pas les pics car elle n’agit pas sur toutes les sources. Ces mesures arrivent souvent trop tard ou n’interviennent pas suffisamment sur le fond. De la même façon, dans la discussion politique, il faut rappeler le lien existant entre changement climatique et qualité de l’air : quand on combat le changement climatique avec des baisses d’émissions, on améliore la qualité de l’air.
D’où l’importance de comprendre le backlash écologique auquel nous assistons : des élus proposent d’assouplir les mesures écologiques, arguant d’une demande de l’opinion publique. Pourtant, la qualité de l’air ou la pollution par les pesticides restent des préoccupations majeures pour les citoyens.
La polémique autour des zones à faibles émissions (ZFE) illustre ce dilemme : plutôt que de les supprimer, il aurait fallu les rendre socialement plus justes. Car justice environnementale et justice sociale sont indissociables.
Gilles Foret : En effet, les populations les plus vulnérables au changement climatique sont aussi les plus précaires. Leur exposition accrue, combinée à d’autres facteurs comme un accès limité aux soins, aggrave les inégalités.
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