Vote de confiance du 8 septembre : comment François Bayrou tente "un pari audacieux, mais très risqué"

Son discours a débuté sur un air connu, avant de prendre une tournure plus inattendue. Lors de sa conférence de presse de rentrée, lundi 25 août, François Bayrou a d'abord alerté sur le "danger" de l'endettement de la France, une rengaine qu'il avait déjà entonnée dans ses allocutions du 15 juillet et du 15 avril. Mais le Premier ministre a ensuite abattu une carte surprise, en annonçant qu'il convoquerait un vote de confiance lundi 8 septembre à l'Assemblée nationale, qui "consacrera la dimension de l'effort" de près de 44 milliards d'euros de réduction du déficit public. Le chef du gouvernement tente ainsi de devancer les oppositions et de trouver un moyen de faire adopter son budget 2026 à l'automne, condition de sa survie politique.

Les parlementaires, qui ne devaient reprendre leurs travaux que fin septembre, vont devoir rentrer à Paris plus tôt que prévu. Pour provoquer ce vote, François Bayrou a obtenu du président de la République qu'il convoque une session extraordinaire anticipée. Lundi 8 septembre, le Palois prononcera donc un discours devant les députés, qui pourront ensuite lui répondre avant de voter pour ou contre ses orientations politiques ou de s'abstenir. "Y a-t-il ou pas urgence nationale à rééquilibrer nos comptes publics et à échapper, parce que c'est encore possible, à la malédiction du surendettement ?", a lancé le Premier ministre.

"Torpiller le 10 septembre" et la motion de censure LFI

En déclenchant ce vote, François Bayrou coupe l'herbe sous le pied de la contestation sociale. Avec pour slogan "Bloquons tout", de nombreux internautes appellent à une large mobilisation un peu partout en France, le 10 septembre, pour protester contre les mesures budgétaires présentées par le Premier ministre, avec le soutien des partis de gauche et d'une majorité de l'opinion, selon un sondage Toluna-Harris Interactive pour RTL. "C'est un moyen assez efficace de torpiller le 10 septembre, on va plus parler du 8 que du 10, maintenant", veut croire un cadre macroniste.

Le Palois devance une autre échéance : celle de la motion de censure que le groupe de La France insoumise avait annoncée pour "le premier jour" de la rentrée parlementaire, initialement prévue fin septembre. "Bayrou fait du Macron : il prend tout le monde de vitesse, comme le président l'avait fait en annonçant la dissolution après les élections européennes", juge Olivier Costa, directeur de recherche CNRS au Cevipof. "C'est une stratégie pour provoquer un sursaut".

"La ficelle est probablement un peu grosse"

Ce recours à l'article 49.1 de la Constitution, qui permet d'engager la responsabilité du gouvernement sur une déclaration de politique générale, est traditionnellement utilisé par des exécutifs désireux d'asseoir leur légitimité en montrant qu'ils disposent d'une majorité à l'Assemblée. Edouard Philippe et Jean Castex ont été les derniers chefs de gouvernement en date à jouer cette carte.

"Normalement, on utilise l'article 49.1 pour montrer ses muscles. Mais François Bayrou tente un coup d'éclat, car il l'utilise alors que, sur le papier, il est quasiment sûr de ne pas avoir de majorité."

Olivier Costa, politologue au CNRS et au Cevipof

à franceinfo

Le calcul du Premier ministre repose sur l'hypothèse que certains députés hésiteront à le renverser. Il a d'ailleurs annoncé que le vote ne porterait pas sur le contenu du budget, qui ne sera pas détaillé avant un Conseil des ministres prévu le 1er octobre, mais sur "la nécessité du plan d'ensemble", qu'il a présenté le 15 juillet. Une manière de demander aux députés de répondre à une question de principe générale, plutôt que sur des pistes concrètes, comme l'année blanche fiscale et la suppression de deux jours fériés, désapprouvées par l'opinion selon plusieurs sondages.

François Bayrou a d'ailleurs pris soin, à la fin de sa conférence de presse, de répéter à destination de ses oppositions, comme de ses alliés, que "tout" était "amendable" et "discutable". "Il peut espérer obtenir le soutien d'une majorité de députés qui partageraient son constat sur le désendettement, c'est sa tactique, observe Bruno Cautrès, chercheur au CNRS, au Cevipof et enseignant à Sciences Po. Mais la ficelle est probablement un peu grosse pour que les socialistes la saisissent"

"Ça va se jouer à quelques voix près"

Car le groupe de 66 députés du Parti socialiste détient peut-être, une nouvelle fois, la clé de la survie de François Bayrou, qui a déjà surmonté huit motions de censure. A gauche, La France insoumise, Les Ecologistes et les communistes ont immédiatement réagi et annoncé qu'ils voteraient contre la politique du centriste. De l'autre côté de l'hémicycle, le Rassemblement national en a fait de même, tout comme son allié de l'Union des droites pour la République. Les socialistes ont attendu lundi soir pour préciser leur position. "Il est évidemment inimaginable que les socialistes votent la confiance au Premier ministre", a lâché le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, dans Le Monde. Sur TF1, il a déclaré craindre que "malheureusement, nous nous dirigions très vite vers le départ de François Bayrou le 8 septembre prochain" et annoncé la présentation d'"un projet de budget alternatif" sur lequel il attend que le gouvernement se positionne. Mais ces positions semblent déjà sceller le sort du Palois et de ses ministres.

Les députés ne devraient pas avoir de scrupules à voter contre un chef du gouvernement largement impopulaire. "Sa cote de popularité est très basse, c'est le Premier ministre le moins bien évalué de toute la Ve République, rappelle Bruno Cautrès. C'est un pari audacieux, mais très risqué."

"François Bayrou tente un coup, mais la probabilité pour que ça se retourne contre lui est assez forte".

Bruno Cautrès, chercheur en sciences politiques au CNRS et au Cevipof

à franceinfo

Si l'Assemblée nationale n'accorde pas sa confiance à François Bayrou le 8 septembre, entraînant la chute de son gouvernement, Emmanuel Macron pourrait avoir de nouveau à se poser la question d'une dissolution de la chambre basse, dans l'espoir d'en voir émerger une majorité pour gouverner. Le chef de l'Etat avait toutefois écarté ce scénario dans une récente interview à Paris Match, au nom du "besoin de stabilité" de la France. Mais c'était avant que son Premier ministre ne remette son sort entre les mains des députés. 

La perspective d'une dissolution pourrait refroidir certains groupes politiques, selon Olivier Costa. "Ça va se jouer à quelques voix près, et sur un malentendu, il a peut-être une chance de tirer son épingle du jeu", avance le politologue. Interrogé par les journalistes à l'issue de sa conférence de presse lundi, François Bayrou a semblé écarter une nouvelle dissolution, tout en renvoyant les députés à leur "responsabilité".

"Ce discours a ses limites"

La responsabilité, c'est justement la qualité que François Bayrou souhaite incarner en déclenchant ce vote. Il a rappelé lundi qu'il n'avait cessé de mettre en garde sur la dette publique et s'est également adressé aux Français, bénéficiaires selon lui de cet endettement. "Il joue la gravité de l'homme responsable qui a alerté sur le déficit avant tout le monde, ce qui correspond à l'ADN politique de son parti. Il y a une volonté de dramatiser les enjeux pour semer le doute chez certains députés", analyse Olivier Costa. "Ce discours a ses limites, car il est membre de la majorité macroniste depuis plus de huit ans", pointe néanmoins Bruno Cautrès. 

Si François Bayrou est parvenu lundi à redevenir maître du tempo, il a aussi enclenché un compte à rebours pour son gouvernement : il lui reste deux semaines pour convaincre une majorité de députés de le soutenir. Le Palois devrait à nouveau organiser des consultations avec les groupes politiques d'opposition, et en particulier avec les socialistes. "C'est sa dernière cartouche", résume un macroniste.