"Ce n'est pas bien embarqué" : François Bayrou peut-il faire adopter son budget 2026 et éviter la censure à l'Assemblée ?
"Je crois que ces annonces ne passeront pas l'hiver", s'amuse un sénateur des Républicains auprès de France Télévisions. Visage grave, François Bayrou vient de conclure, mardi 15 juillet, à Matignon, un discours de plus d'une heure où il a présenté ses orientations budgétaires pour le pays. Pour le Premier ministre, le défi est immense : il s'agit de réaliser en 2026 près de 44 milliards d'euros d'économies sur le budget pour résorber une dette qui s'envole, et ce dans un contexte politique immensément tendu.
La configuration de l'Assemblée nationale, divisée en trois blocs irréconciliables, est un casse-tête insoluble qui a déjà coûté sa place à Michel Barnier. "Le gouvernement n'a pas de majorité (...), il sait qu'il est à la merci des oppositions et ici ou là des doutes de ses soutiens. (...) Il ne cherche pas à se préserver, à durer, il veut changer les choses et qu'importe le risque", a assuré, bravache, le patron du MoDem. Il ne s'y est pas trompé : les oppositions ont immédiatement critiqué son plan, brandissant pour une grande partie d'entre elles la menace de la censure.
Il faut dire que les annonces présentées ne sont pas "des mesurettes", selon un proche du maire de Pau. Suppression de deux jours fériés, année blanche, réduction de nombre de fonctionnaires... La gauche mais aussi le Rassemblement national n'ont pas eu de mots assez forts pour dénoncer la copie du Premier ministre centriste.
"Que chacun assume ses responsabilités"
Pour tenter de déjouer le piège des oppositions, François Bayrou a d'abord abattu sa première carte : l'opinion publique. "Nous avons le devoir de prendre nos responsabilités, c'est la dernière station avant la falaise. L'écrasement par la dette est un danger mortel pour un pays", a mis en garde le chef du gouvernement, citant le destin funeste de la Grèce, soumis à une cure d'austérité drastique en 2010. "Il prend à témoin l'opinion publique, en se la jouant Pierre Mendès-France. Il explique que la dette est un fléau et qu'on va tous mourir", décrypte Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Panthéon-Assas.
"Il dit : 'Si les forces politiques veulent m'accompagner, on y va et on construit. Si elles ne veulent pas jouer mon jeu, elles seront comptables de l'effondrement du pays'."
Benjamin Morel, constitutionnalisteà franceinfo
"Nous sommes à un moment où il faut que chacun assume ses responsabilités. Le gouvernement assumera les siennes", confie ainsi un ministre. "Les parlementaires ont un devoir de responsabilité qui est capital. C'est à eux de voir", prévient encore un proche du Premier ministre.
"Censurer en moins de huit mois deux fois le budget, c'est l'abaissement de la note de la France, c'est l'affolement des marchés financiers et l'intérêt de la dette qui explose. Et on va se retrouver dans une situation à la grecque."
Un proche de François Bayrouà franceinfo
Mais dramatiser la situation pour embarquer l'opinion publique et contrer le jeu politique est-il réaliste ? "François Bayrou est très impopulaire, contrairement à Pierre Mendès-France. Si l'opinion publique reste à ce niveau, le PS et le RN censureront", anticipe Benjamin Morel.
"Ce sont des réactions à chaud"
Le débat à venir sur la censure ou non devrait dépendre, une nouvelle fois, des votes de ces deux groupes clés à l'Assemblée. En appuyant sur le bouton début décembre 2024, le groupe de Marine Le Pen avait fait chuter le gouvernement Barnier. A contrario, le Parti socialiste a passé l'an dernier un pacte de non-censure avec François Bayrou, lui permettant de poursuivre sa route à Matignon. Mais les deux camps ont réagi très fraîchement aux propositions budgétaires de Français. "Sur les bases actuelles, la seule perspective possible est la censure", a prévenu Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, sur BFMTV. "Si François Bayrou ne revoit pas sa copie, nous le censurerons", a aussi averti Marine Le Pen. "C'est normal, ce sont des réactions de politiques politiciennes à chaud, on va garder le calme des vieilles troupes", relativise un proche du Palois.
Car, en annonçant aussi tôt dans l'année ses pistes pour le budget 2026, François Bayrou, qui navigue dans les eaux troubles de la politique depuis plus de quarante ans, se garde une marge de négociation. "Ce plan est perfectible", a-t-il dit, assurant que "toutes les idées seront examinées d'où qu'elles viennent", tant que l'objectif des 43,8 milliards d'euros d'économies est atteint. "Il ne donne pas les gages qu'on attend donc ce n'est pas bien embarqué", assure Arthur Delaporte, le porte-parole du groupe socialiste. "Mais le chemin est encore long", ajoute-t-il, ne fermant pas d'entrée de jeu la porte aux négociations.
De son côté, le Rassemblement national a immédiatement embrayé sur la suppression des deux jours fériés, possiblement le lundi de Pâques et le 8-Mai. "Aucun député RN n'acceptera cette mesure, qui relève de la provocation", a averti Jordan Bardella, le président du parti d'extrême droite. "La bombe du 8-Mai ressemble beaucoup à un outil de négociation à blanc", remarque une députée écologiste. François Bayrou pourrait-il lâcher sur ce point pour s'acheter la non-censure du RN ? "Le RN a tout de suite embrayé dessus car c'est quelque chose que tout le monde comprend. Politiquement, ça peut être une excellente idée de François Bayrou", observe Benjamin Morel.
"Il agite un chiffon rouge qu'il est prêt à jeter. Le RN pourra l'afficher à son tableau de chasse et aura du mal à dire qu'il n'a rien obtenu."
Benjamin Morel, constitutionnalisteà franceinfo
Il est encore trop tôt pour avoir une idée claire du jeu politique à la rentrée parlementaire. Surtout qu'il ne faudrait pas oublier dans l'équation les principaux soutiens du gouvernement, le bloc central et Les Républicains. Le camp présidentiel devrait soutenir les annonces de François Bayrou, tout en amendant certains points. "Le débat parlementaire devra alléger la facture fiscale mais il faut soutenir l'effort de redressement sans réserve, soutient le député macroniste Mathieu Lefèvre. C'est un point de départ, pas un point d'arrivée."
"L'heure n'est plus au 'en même temps'"
Mais du côté de de LR, les choses s'annoncent plus compliquées. "Deux jours fériés en moins, c'est 'travailler plus pour gagner... pas plus', rappelle le député Antoine Vermorel-Marques, en référence au célèbre slogan de Nicolas Sarkozy. Et ce n'est pas dans l'ADN de la droite populaire qui défend les gens qui bossent. Sans parler du fait qu'il y a zéro euro sur l'immigration."
"C'est un projet de loi de finances qui doit être fortement amendé pour être ajusté."
Antoine Vermorel-Marques, député des Républicainsà franceinfo
"Nous avons dit et redit que l'heure n'était plus au 'en même temps'", renchérit le député Florian Di Filippo, qui ajoute que son camp défendra "plus que jamais" son programme de réduction de la dépense publique.
"Nous n'accepterons aucune mesure faisant peser les efforts sur le travail et la création de richesse plutôt que sur les dépenses de l'Etat ou sur l'assistanat."
Florian Di Filippo, député des Républicainsà franceinfo
Face à ce terrain miné à l'Assemblée et à sa forte impopularité, François Bayrou pourrait choisir une troisième voie, suggère Benjamin Morel : faire adopter le budget par voie d'ordonnance en s'appuyant sur l'article 47 de la Constitution. "Si le Parlement ne s'est pas prononcé dans un délai de soixante-dix jours, les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance", dispose cet article.
"Les oppositions pourront dire qu'il a tué la démocratie mais il aura donné un budget à la France. Il serait censuré mais il partirait en étant un bouc émissaire glorieux", imagine Benjamin Morel. Avec cette procédure, le gouvernement finirait par tomber, mais la France serait dotée d'un budget. La France s'épargnerait ainsi un nouveau débat budgétaire début 2026 en pleine campagne pour les élections municipales. La proximité de cette échéance électorale dictera sans nul doute la stratégie des différents groupes politiques à l'automne.