« Une personne sur trois n’a pas accès à une alimentation saine et durable », selon Karine Jacquemart, directrice de Foodwatch France
Dans votre livre « les Dangers de notre alimentation », qu’entendez-vous dénoncer ?

Karine Jacquemart
Directrice générale pour la France de l’association de défense des consommateurs Foodwatch
Un système agroalimentaire verrouillé, avec une production intensive dépendante et qui nous rend dépendants de pesticides de synthèse, d’engrais de synthèse et de ses importations. Et ce au détriment de la biodiversité, des sols, des eaux souterraines, y compris les plus profondes censées être les eaux minérales et les eaux de source, dont les récents scandales de Nestlé Waters ont montré que certaines étaient contaminées par des résidus de pesticides et des Pfas.
L’impact est négatif, sur la santé des agriculteurs en premier lieu, mais aussi sur celle des consommateurs. Il est impossible de s’en protéger, à part en mangeant bio. Il y a ensuite un problème de prix, avec un système qui met sous le seuil de pauvreté un agriculteur sur cinq. À l’autre bout de la chaîne, des millions de consommateurs se trouvent dans une insécurité alimentaire. Une personne sur trois en France n’a pas droit à une alimentation saine et durable.
Comment inverser la tendance ?
Il faut exiger de la transparence sur les marges par produit alimentaire et une modération des prix sur les produits les plus sains et durables. Les cinq plus grandes enseignes de la grande distribution contrôlent 80 % du marché alimentaire. Elles déterminent quels produits vont être accessibles ou pas dans les rayons des supermarchés et à quel prix. Il faut déverrouiller la partie agricole et ce contrôle de quelques multinationales et dénoncer les marges abusives.
Foodwatch a démontré que les grandes enseignes ont tendance à « surmarger » sur les produits les plus sains et bio, et à faire des appels du pied sur les produits les moins chers. Des prix qui attirent les consommateurs les plus modestes vers les aliments les moins sains et les moins durables. Une double peine inacceptable.
On entend beaucoup parler de souveraineté alimentaire…
Oui. Mais son sens est détourné par ceux qui ne veulent surtout pas changer le système. Selon eux, il ne faudrait pas de normes environnementales, ni freiner la production intensive. Comprenez : continuer, voire intensifier l’utilisation de pesticides chimiques. C’est un double mensonge. D’après les Nations unies, la vraie définition de la souveraineté alimentaire, c’est le droit des peuples à définir ce qu’ils veulent manger et comment le produire. Il s’agit certes d’être autosuffisant, mais d’une façon souveraine et démocratique.
Prétendre qu’il faut garder le système tel qu’il est avec une agriculture intensive biberonnée aux pesticides de synthèse pour nous permettre d’être autonomes est totalement faux, car notre agriculture intensive est largement dépendante de l’importation de ces substances chimiques. Réduire l’utilisation des pesticides passe par la publication au niveau international d’un rapport qui montre comment on peut en sortir en Europe, en trente ans, céréale par céréale. Encore faut-il en avoir la volonté politique et arrêter d’opposer production agricole et normes environnementales, agriculteurs et consommateurs.
Comment peut-on être un consommateur responsable ?
C’est très difficile. Plusieurs barrières empêchent cette alimentation saine et durable pour tous : le prix, la désinformation… La mobilisation citoyenne, les actions de contre-pouvoirs indépendants comme Foodwatch sont fondamentales face à un vent ultralibéral qui ne veut surtout pas entendre parler de réglementation d’intérêt général.
Ces sujets nécessitent une action publique des États à l’échelle européenne pour renforcer la réglementation, interdire les substances dangereuses pour la santé, assurer une meilleure qualité des produits et un accès aux aliments les plus sains. Il est nécessaire d’accompagner les agriculteurs, mais encore faut-il avancer dans cette transition.
Commençons par apporter plus de transparence sur les prix et les marges, ce qui automatiquement réduira les pratiques abusives. L’argent public doit aussi soutenir des alternatives sur le terrain – nombreuses – afin de ne pas dépendre autant des supermarchés et des enseignes.
Les dangers de notre alimentation. Dérives et conséquences du système agroalimentaire sur nos vies, de Karine Jacquemart, éditions Payot. En librairie le 5 mars.
Avant de partir, une dernière chose…
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