Multiples rencontres, notes et rapports ignorés… comment le gouvernement a aidé Nestlé à enterrer le scandale des eaux traitées illégalement

Au gré des révélations, le rôle qu’ont tenu les gouvernements successifs de l’ère Macron dans l’affaire des eaux contaminées utilisées par la multinationale Nestlé a été mis en lumière. Le fait que les pouvoirs publics étaient informés depuis 2021 sur les pratiques frauduleuses du groupe (Vittel, Perrier, Contrex, Hépar) – les eaux puisées dans des puits français ont été traitées illégalement avec des procédés de filtration par UV, par charbon actif ou par la microfiltration à 0,2 micron – a par exemple été pointé dans un rapport du Sénat, mi-octobre 2024.

Mais c’est une nouvelle dimension qui apparaît avec l’enquête conjointe du Monde et de Radio France, publiée mardi 4 février. Selon le quotidien du soir et le service public, le géant de la consommation a usé d’un lobbying régulier auprès de différents ministères, à l’écoute malgré des rapports, des notes et des alertes, posés sur leurs bureaux année après année. Si le gouvernement avait, à sa disposition, toutes les informations nécessaires, il a détourné le regard pour satisfaire les demandes d’un grand groupe.

« Pas acceptable réglementairement »

Par exemple, c’est ce que dévoile une note du 20 janvier 2023, obtenue par le Monde et Radio France, signée du directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon. Rédigée à partir des travaux d’évaluation menés par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), puis présentés aux cabinets des ministres de la Santé et de l’Industrie le 9 janvier 2023, elle rappelle que l’utilisation de microfiltres inférieurs à 0,8 micromètre n’est « pas acceptable réglementairement » en raison de « l’impact sur le microbisme de l’eau ». Mais aussi que l’eau en sortie de puits n’est « pas microbiologiquement saine », et donc, qu’elle ne peut pas être considérée comme une eau minérale naturelle. En cause : la sûreté de la nappe souterraine, qui n’a « pas été tenue à l’abri de tout risque de pollution ».

Jérôme Salomon fait ainsi part, fin janvier, de ses recommandations sur le dossier, auprès de la ministre chargée de l’Organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo : « Compte tenu des enjeux sanitaires et réglementaires, la proposition de la DGS est de suspendre immédiatement l’autorisation d’exploitation et de conditionnement de l’eau pour les sites de Nestlé dans les Vosges. » Une alerte qui vaut alors aussi pour le site de Perrier, situé à Vergèze, dans le Gard.

La note met également en garde contre un futur conflit avec la Commission européenne. Céder aux demandes du numéro un mondial de l’eau en bouteille revient, selon Jérôme Salomon, à s’opposer aux recommandations de l’institution. « Nestlé Waters pourrait demander à poursuivre l’embouteillage, avec le maintien de la microfiltration à 0,2 µm, par dérogation, le temps de mettre en place un plan d’actions pour recouvrir la qualité de l’eau à l’émergence », anticipe-t-il dans sa note.

Surtout, il alerte le gouvernement qu’aucune procédure de dérogation n’est prévue par la réglementation française, rendant – en principe – non entendable la moindre manœuvre du groupe industriel pour échapper à une interdiction. Ce passage est d’ailleurs, racontent le quotidien et la station de radio, surligné en gras. C’est pourtant un risque qu’a pris le pouvoir français, dont les hautes sphères étaient au courant : cette même note avait été rendue au cabinet de la première ministre d’alors, Élisabeth Borne, dès le 24 janvier, révèlent le Monde et Radio France.

« Un risque de contentieux avec la Commission européenne »

Les deux médias révèlent aussi que de nombreuses rencontres entre les représentants de Nestlé et ceux de l’État ont été organisées ces dernières années, sans qu’une seule mesure à la hauteur du scandale soit enclenchée. Dès 2021, la multinationale est reçue par le ministère de l’Industrie. Le groupe était alors inquiet qu’une enquête visant son concurrent Alma (derrière Saint-Yorre et Cristalline) ait des répercussions sur ses pratiques. Nestlé demande alors clairement au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, alors ministre, de revoir les réglementations en vigueur, car Nestlé aura « toujours besoin de méthodes de microfiltration dont la validité n’est pas établie », résume un compte rendu de la réunion.

Puis durant l’été 2022, lorsque les représentants du groupe – par exemple Muriel Lienau, la présidente de Nestlé Waters, et Nicolas Bouvier, du cabinet de lobbying Brunswick – enchaînent les allers-retours entre Nestlé et les ministères de la Santé, de l’Industrie voire Matignon et l’Élysée. En cause : les résultats, alors confidentiels, d’un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui étrille les pratiques de l’entreprise. « Toutes les dénominations commerciales de Nestlé font l’objet d’un traitement non conforme », « (un) risque médiatique particulièrement fort », « un risque de contentieux avec la Commission européenne »… Tous les éléments sont mis à disposition du gouvernement, qui passe outre.

D’autres rendez-vous ont aussi été organisés, selon les informations du Monde et de Radio France, entre Nestlé et les conseillers des ministères concernés. Dans un mail datant du 24 août 2022, un des conseillers de François Braun, alors ministre de la Santé, fait le compte rendu d’échanges qu’il a eu avec Muriel Lienau et Nicolas Bouvier. « On y apprend que les représentants de la firme suisse ont déjà eu l’occasion de rencontrer les directeurs de cabinet du ministère de l’industrie et de l’économie mais aussi le secrétaire général de l’Élysée », résument les deux médias. Un conseiller du ministre évoque alors, de son côté, la contamination des puits Contrex, Hépar et Perrier : « Je pense que j’ai eu la moitié de l’histoire sur le risque réel… »

Lorsque l’affaire éclate au grand jour, en janvier 2024, le mal est fait depuis longtemps, malgré l’opération « mea culpa » de Nestlé en 2021, en prévenant les autorités. Une manœuvre qui « a, en réalité, été orchestrée par ses équipes de communication » avançaient alors franceinfo et le Monde, d’une enquête publiée mardi 30 janvier. Ces nouvelles informations démontrent que Nestlé, comme l’État, ont délibérément laissé des éléments dans l’ombre, quitte à provoquer un scandale sanitaire.

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