Pourquoi augmenter l’élevage intensif est une « erreur stratégique »

Accroître l’élevage intensif ne résoudra pas les enjeux de souveraineté alimentaire, estime le Réseau Action Climat dans un rapport paru ce 19 février. À quelques jours de l’ouverture du Salon de l’agriculture, le 22 février, et alors que le projet de loi d’orientation agricole vise à favoriser ce type d’élevage, Ronan Groussier, responsable agriculture de l’ONG, décrypte les conséquences de cette bascule stratégique.

Dans quel contexte a été réalisé ce rapport ?

Nous avons voulu mettre en évidence un paradoxe qui nous semble important. Dans les débats autour des questions agricoles, on constate une focalisation forte sur la notion de souveraineté alimentaire par les pouvoirs publics et les sphères agricoles, et même une instrumentalisation de cette notion.

Avec, par ailleurs, des déstabilisations géopolitiques qui s’accentuent et qui risquent de nous percuter de plus en plus. Dans ce contexte, nous avons identifié une petite musique qui monte : à savoir que la souveraineté de l’élevage est de plus en plus souvent mise en avant pour justifier son intensification, et le fait qu’il faudrait produire davantage face aux importations de viande. Il nous paraît important de dire que ce n’est pas la solution que nous préconisons. Au contraire, c’est faire fausse route.

Le rapport indique qu’augmenter l’élevage intensif pour viser la souveraineté alimentaire est une « erreur stratégique ». En quoi est-ce le cas ?

L’élevage intensif dépend lui-même d’importations très importantes pour nourrir les animaux. Par exemple, on importe plus de 3 millions de tonnes de soja par an sur le territoire, dont plus de 90 % sont fléchés vers de l’alimentation animale, pour un coût de 1,5 milliard d’euros en 2022. Ce n’est pas rien !

Par ailleurs, 44 % des surfaces cultivées françaises servent à nourrir les animaux d’élevage. C’est un chiffre significatif qui pose la question de son accroissement éventuel. Et cela implique également la dépendance du pays aux importations d’engrais pour ces cultures, 80 % d’entre eux étant importés, et de gaz, provenant notamment de Russie.

Ces importations étant originaires majoritairement de pays non européens, il s’agit d’une source de fragilité importante. Ce sont les services du ministère de l’Agriculture qui le disent ! On sait que le déclenchement de la guerre en Ukraine a eu des conséquences en cascade sur les marchés agricoles mondiaux, avec l’augmentation du coût de l’alimentation animale.

Pourquoi des importations de viande si importantes ?

Les données disponibles, sur les sites étatiques ou d’observatoires, indiquent que le problème d’importation provient davantage d’une hausse spectaculaire de la consommation de certaines viandes et d’une évolution des habitudes de consommation vers des produits davantage transformés, prédécoupés, comme la viande hachée ou les blancs de poulet, que du fait d’un déficit de production des filières animales.

La consommation de poulet a doublé en proportion par rapport aux autres viandes en vingt ans. Surtout, la part de la consommation de poulet est passée de 8 % à 35 % dans la restauration hors domicile. C’est dans cette consommation hors domicile, comme les plats préparés, fast-food ou restaurant, que se concentrent les viandes importées. 60 % à 75 % du poulet servi en restauration hors domicile sont importés. Cela concerne 55 % des viandes bovines.

Quelle serait la stratégie à adopter ?

Le problème, c’est le traitement politique de la souveraineté de l’élevage. Les pouvoirs publics et les sphères agricoles font comme si on ne pouvait agir que sur le seul levier de la production. Il faudrait certes soutenir davantage les formes d’élevage plus durables qui sont plus autonomes sur leurs approvisionnements et résilientes dans leur production.

Les importations de viande sur nos territoires sont réelles et dommageables. Mais on ne pourra pas résoudre ces enjeux sans une action résolue sur la consommation. Nous préconisons une réduction de la consommation globale de viande et une réorientation vers des viandes françaises de qualité.

Cela ne signifie pas culpabiliser le consommateur en tant qu’individu. Les choix de consommation sont faits dans un environnement alimentaire largement façonné et structuré par l’offre alimentaire proposée par certains acteurs tels les industriels de l’agroalimentaire, la grande distribution et la restauration commerciale. Pour s’emparer politiquement de la consommation, c’est en priorité sur ces acteurs qu’il faut agir.

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