"Cet affrontement avec la Russie et les Etats-Unis peut nous rassembler", estime Jean Viard
"Économie de guerre", "patriotisme". Emmanuel Macron a appelé cette semaine les Français à faire preuve de courage face la menace russe. Dans le même temps, l'Europe s'organise pour renforcer sa défense militaire et apporter son soutien à l'Ukraine.
franceinfo : Est-ce qu'on vit la fin d'une période d'insouciance, une sorte de réveil européen ?
Jean Viard : Oui, on peut le dire comme ça. Toute l'Europe en parle. On a longtemps cru que la guerre était derrière nous. Qu'elle ne concernait que des pays touchés par des problèmes identitaires, comme l'explosion de la Yougoslavie, etc. On pensait que dans les grandes démocraties comme la nôtre, à l'intérieur de l'Otan, le risque de guerre avait disparu.
ll faut d'abord que l'on accepte que ce risque soit à nouveau présent. Il y a un travail mental à faire pour reconnaître que la guerre fait partie de nos sociétés, elle n'est plus derrière nous. Nous sommes dans une époque où le monde se réorganise autour d'une nouvelle économie, de nouveaux systèmes de valeurs, de nouveaux systèmes d'alliances. On est au début d'un travail intellectuel, économique et technologique.
Comment cela peut-il toucher les générations qui n'ont pas connu la guerre ?
Il n'y a plus beaucoup de Français qui ont connu la guerre, mais ma génération et celle d'après a été élevée dans le souvenir des guerres. Cependant, quand on discute avec les jeunes, on voit bien qu'ils se disent qu'ils vont peut-être devoir aller à la guerre, même si aujourd'hui la guerre est de plus en plus technologique. On a besoin des gens qui sont au front, on a besoin de toute une société qui produit de la recherche. Il y a aujourd'hui autour de 200 000 soldats "d'active" et 120 000 de réserve. On va monter la réserve autour de 200 000. Moi-même, j'ai du mal à croire que l'on parle de ça.
Le président de la République a fait appel cette semaine au patriotisme des Français, dans un moment où la société est très fracturée. Quel écho cela peut-il avoir ?
Quelque part, ça peut nous rassembler. L'Europe va se construire. Entre Poutine et Trump, si on ne se construit pas comme une Europe forte, on va être découpé en tranches. La France ne sera pas en guerre toute seule. Il faut défendre une zone qui va des pays baltes au sud de la Sicile. Est-ce qu’on va réussir à se dire qu'il faut se battre pour la France ? C'est une bataille, une grande bataille culturelle qui est menée et je pense qu'en Europe, on est attaché à l'assurance, on est attachés à l'humanisme et qu'on va se rassembler autour de ça.
Mais est-ce que les Français sont prêts à faire de nouveaux sacrifices au nom de ce fameux devoir patriotique dont on nous parle ?
Moi, je pense que oui, mais à condition que cela soit bien expliqué, que cela soit juste et que chacun contribue en fonction de ses ressources. Si vous demandez aux plus pauvres de contribuer alors qu'ils ont déjà du mal à finir leurs fins de mois, c'est assez insupportable. Sans oublier que certains vont aussi s'enrichir grâce à la guerre.