TNT : les dernières heures de C8 et NRJ 12 après un long bras de fer avec l’Arcom

Les cris d’orfraie des patrons et animateurs de C8 et NRJ 12, soutenus par le chœur des droites et extrêmes droites (Jordan Bardella, Laurent Wauquiez…), ont accompagné l’arrêt de NRJ 12 et surtout de C8, propriété de Canal Plus. Mais la mise en scène de ce que la maison Bolloré appelle une « atteinte à la liberté d’expression » cache une réalité beaucoup plus simple.

Pourquoi C8 et NRJ 12 arrêtent-elles d’émettre ?

Il faut tout d’abord dire que les canaux de la TNT n’appartiennent pas aux chaînes, mais au « domaine public », comme l’a rappelé le président de la République récemment. Leur occupation est soumise à autorisation, délivrée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui se base sur un cahier des charges précis. Y figurent, entre autres, des quotas de programmes inédits à respecter, le « pluralisme des courants de pensée et d’opinion », le respect de la dignité…

Or NRJ 12 et C8 proposent peu de directs, de programmes inédits et d’offre culturelle, et beaucoup de rediffusions. C’est encore ce qu’a répété le représentant du Conseil d’État, le 14 février, lors de l’examen du recours des deux chaînes. Pour NRJ 12 (qui a, selon le Parisien, décidé de contester la fermeture « au niveau européen »), il note un « manque de viabilité économique » et la « place prépondérante » du téléachat et des rediffusions.

C8 pâtit, elle, de nombreux manquements en matière de maîtrise de l’antenne ou de respect des droits de la personne. Le régulateur est dans son rôle quand il rappelle que non, on ne peut pas forcer un chroniqueur à se mettre des nouilles dans le slip. Il l’est aussi quand, après de multiples signalements et sanctions (à lui seul, Cyril Hanouna est responsable de 7,6 millions d’euros d’amende), il décide de ne pas renouveler la convention avec la chaîne.

L’Arcom, cible des délires des complotistes

« C’est magouille et compagnie », lançait Hanouna, le 19 février, dans son émission On marche sur la tête, sur Europe 1, la radio de Bolloré. Selon lui, « des gens qui sont un peu dans le truc » l’avaient prévenu : le Conseil d’État, « fortement à gauche » (sic) ne pouvait que trancher en défaveur de la chaîne. L’animateur fait remonter la décision jusqu’à l’Élysée, accusant Alexis Kohler, son secrétaire général, d’avoir « monté un dossier » avec l’Arcom.

Mais le procès en censure ne tient pas. Si l’autorité avait voulu atteindre Bolloré politiquement, CNews aurait été une cible plus indiquée, c’est le navire amiral de Bolloré sur la TNT qui mène la bataille idéologique à plein temps.

C8 a été sacrifiée par le groupe Bolloré sur l’autel de la propagande d’extrême droite. Si la chaîne était aussi indispensable, on se demande pourquoi Canal Plus ne l’a pas « repêchée » comme elle l’a fait pour celles qu’elle a décidé de retirer de la TNT, désormais « disponible selon d’autres modes de diffusion », assure le groupe. Sans doute une rapide étude de marché leur a indiqué que personne n’était prêt à payer pour regarder C8. Le militantisme a ses limites.

L’offensive de Vivendi

Ou pas. Car, avant de jeter l’éponge, Vivendi a mené une opération de communication agressive sur les réseaux sociaux pour tenter de déstabiliser un nouvel entrant sur la TNT, OFTV, comme l’a révélé l’Œil du 20 heures sur France 2 en janvier. Sur X, un compte au nom des Corsaires accusait : « Jamais la censure n’avait autant sévi dans notre pays. » Reporters sans frontières (RSF) les a reliés à Progressif Media, une boîte de communication dont Vivendi est actionnaire, et qui œuvre pour toute la galaxie Bolloré.

Le 22 février, le Journal du dimanche, propriété du milliardaire, a publié une « enquête », rapportant une discussion dans un restaurant entre trois membres supposés de l’Arcom se réjouissant d’avoir fait fermer la chaîne. L’information se révélera fausse, « aucun des membres » de l’Arcom « ne se trouvait dans le quartier mentionné », assure l’agence.

Du journalisme de haut vol. Dimanche 23 février, c’est le média identitaire Frontières qui a pris le relais, interrogeant en caméra cachée le nouveau président de l’Arcom, Martin Ajdari, à propos de l’arrêt de C8. La fachosphère ne lâche pas l’affaire…

Que vont devenir les créneaux de diffusion d’ici à juin ?

L’Arcom a désigné les deux nouveaux projets qui prendront place sur les canaux libérés. Le 6 juin sera lancé celui du groupe de Daniel Kretinsky, CMI France. La chaîne s’appellera T18, comme le canal qu’elle occupera. CMI France s’est engagé par ce biais à « participer au pluralisme et à la qualité du paysage médiatique » et à « contribuer positivement à l’affermissement de la démocratie ».

À surveiller, quand on connaît le nom de deux éditorialistes chargés d’ossifier la chaîne : Raphaël Enthoven et Caroline Fourest, chantres du Printemps républicain qui officient actuellement dans les colonnes de Franc-Tireur.

OFTV doit être lancé en septembre sur le canal 19. Sur sa chaîne, Ouest-France entend porter « ce que vivent les Français » et « un regard à la fois divertissant et ancré dans le réel » à base de talk-show, documentaires sur l’histoire, JT centré sur la vie quotidienne et la ruralité, fiction…

Des centaines d’emplois en jeu

Selon son président, Jean-Paul Baudecroux, l’arrêt de NRJ 12 pourrait remettre en question l’existence de Chérie 25 : « Privée de l’effet d’entraînement de NRJ 12 et de la mutualisation des charges », elle pourrait être vendue, plan social à la clé pour sa centaine de salariés. À C8, « 120 à 130 personnes en CDI, CDD et temps partiel » sont concernées, plus les intermittents, soit 150.

La maison mère de C8, Canal Plus, a annoncé en décembre un plan social qui entraînera la suppression de 250 postes. Parmi les « prestataires » concernés, la société H2O de Cyril Hanouna. Sur le plateau de Touche pas à mon poste, il a fait défiler les salariés de son émission pour illustrer cette dure réalité… sans que jamais sa responsabilité dans ce qui les touche ne soit évoquée.

« On est pour la plupart persuadés qu’on sera au chômage en mars », confiait mi-décembre, sous couvert d’anonymat, un membre de la société au Parisien. Selon un autre collaborateur de H2O, Hanouna, connu pour ses promesses non tenues, raconte « des bobards du matin au soir sur ce sujet ».

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