Soumya Bourouaha : « Loin d’être neutre dans sa ligne éditoriale, C8 a progressivement basculé dans une volonté manifeste de manipuler l’opinion »

Dans la foulée de la décision du Conseil d’État de rejeter les recours de C8 et de NRJ12, la droite et l’extrême droite sont montées au créneau. Comment analysez-vous ces réactions ?

Je suis très inquiète de l’instrumentalisation idéologique et politique des notions de liberté d’expression et de pluralisme qui par ailleurs ont pour effet d’effacer les réelles raisons de la fermeture de ces chaînes (non-respect du cahier des charges fixé par l’Arcom et problèmes de rentabilité). La liberté d’expression ne peut justifier les nombreux dérapages homophobes, sexistes, insultants et humainement dégradants auxquels les amendes et mises en garde de l’Arcom n’ont jamais mis fin. C’est pourtant de la responsabilité d’une chaîne de réguler son contenu.

Par ailleurs, on ne peut pas non plus prôner le respect du pluralisme lorsque les thèses de l’extrême droite sont mises en avant pour systématiquement dénoncer celles et ceux qui s’y opposent. Loin d’être neutre dans sa ligne éditoriale, C8 a progressivement basculé dans une volonté manifeste de manipuler l’opinion et de servir l’idéologie de son propriétaire : Bolloré. L’extrême droite et la droite reprennent des combats de la gauche pour inverser les rôles et nous faire passer pour les extrémistes. Les médias qui sont concentrés aux mains des milliardaires leur servent la soupe. Nous vivons un moment dangereux. La gauche apparaît bien faible face à ce pouvoir financier, le combat dans cette bataille idéologique va être dur mais nous ne cesserons de le mener.

L’Arcom a été directement attaqué par les journalistes des médias Bolloré au premier rang desquels Cyril Hanouna. Ces accusations ont été reprises par des figures de la droite. Qu’en pensez-vous ?

L’idée d’un complot visant Cyril Hanouna ne m’étonne pas de la part du groupe Bolloré, mais j’ai été révoltée par les propos de Laurent Wauquiez qui s’attaquent directement à l’Arcom. Il est allé jusqu’à la qualifier d’« autorité administrative obscure ». La dérive de la droite républicaine pour des raisons purement électorales est très préoccupante sur ce sujet mais là encore une fois, pas nouvelle. Finalement, cette position s’aligne sur celle de l’extrême droite à travers la voix d’Éric Ciotti qui propose, lui, de supprimer purement et simplement l’Arcom.

Pourtant, l’Arcom protège notre démocratie et le pluralisme, nous la défendrons toujours. Ses pouvoirs pour pénaliser les chaînes qui contreviennent aux cahiers des charges devraient au contraire être renforcés pour mieux défendre le pluralisme. Les amendes ne sont à ce jour pas assez hautes pour contraindre les groupes aux mains de milliardaires à se plier aux règles fixées. Par ailleurs je peux comprendre la méfiance des citoyens quant au mode de nomination de la gouvernance de l’Arcom. Il faudrait sans doute plus de transparence et que le président de la République n’ait plus à sa charge de nommer le président de l’institution. En cela nous donnerions certainement aux citoyens plus de gage de neutralité.

Sur la TNT face aux médias privés l’audiovisuel public est-il assez fort ?

Très sincèrement, je crains que non. La concentration des médias dans les mains de quelques milliardaires s’accentue et contraste douloureusement avec le désinvestissement chronique de l’État vers l’audiovisuel public. Défendre ce service public c’est défendre l’indépendance des médias face aux intérêts du capital. C’est pourquoi je travaille justement à la préparation d’une proposition de loi sur le financement de l’audiovisuel public.

Depuis la suppression de la redevance par Emmanuel Macron, ce service public s’est trouvé considérablement affaibli, son modèle de financement est même resté un temps en suspens à cause de la dissolution. L’audiovisuel public a craint de se retrouver sans budget. La solution a finalement été celle d’une ponction sur la TVA qui reste l’impôt le plus injuste. Par ailleurs, l’audiovisuel public subit des coupes budgétaires de plus en plus drastiques qui menacent à terme ses missions. Il faut que les citoyens se réapproprient les services de l’audiovisuel public et cela doit passer par un retour au modèle de financement par redevance. Elle devra être universelle et proportionnelle bien évidemment aux revenus. Un service public de qualité est le gage de démocratie et de pluralisme.

Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !

C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.

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