En pleine trêve à Gaza, Israël intensifie sa guerre contre les Palestiniens de Cisjordanie occupée

Des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants avançant sur un chemin boueux, quelques affaires entassées dans un sac, avant l'arrivée de l'armée israélienne. La scène a été photographiée par les journalistes, jeudi 23 janvier, aux abords du camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée. Elle rappelle les images d'autres Palestiniens fuyant l'avancée de soldats israéliens, à Gaza cette fois, au cours de 15 mois de conflit entre l'Etat hébreu et le Hamas. Les combats se sont interrompus dans l'enclave, dimanche, à la faveur d'un fragile accord de trêve. Mais en Cisjordanie, la guerre à bas bruit menée par Israël a redoublé d'intensité.

Tel-Aviv a lancé une vaste opération militaire dans le camp de réfugiés de Jénine, mardi 21 janvier. Baptisée "Mur de fer", elle vise à "éradiquer le terrorisme" dans cette ville palestinienne, affirme Benyamin Nétanyahou. Jénine est régulièrement la cible de raids de l'Etat hébreu, qui dit y traquer les combattants de groupes armés comme le Hamas et le Jihad islamique. "Une fois que nous avions reconnu que le camp était devenu une plaque tournante pour ceux qui planifient des attaques ou cherchent un refuge après en avoir commis, c'était la bonne décision que d'y entrer par la force", a expliqué un chef d'état-major israélien.

Des "tactiques létales et guerrières"

Mardi après-midi, des dizaines de véhicules blindés et de bulldozers ont donc encerclé le camp de réfugiés de Jénine. En trois jours de combats, dix Palestiniens y ont trouvé la mort, selon le ministère de la Santé de l'Autorité palestinienne. L'opération ne semble pas près de s'arrêter. Jeudi, de nombreux réfugiés ont quitté le camp "après que l'armée israélienne, via des haut-parleurs fixés sur des drones et des véhicules militaires, leur a ordonné d'évacuer", rapporte le gouverneur local, Kamal Abou al-Roub.

Des véhicules blindés de l'armée israélienne s'apprêtent à entrer dans Jénine, en Cisjordanie occupée, le 22 janvier 2025. (GIL COHEN-MAGEN / AFP)

"Mur de fer" s'appuie sur "des frappes aériennes et d'autres tactiques létales et guerrières, qui semblent dépasser le cadre d'une intervention policière", dénoncent les Nations unies auprès de franceinfo. Selon le gouverneur de Jénine, "toutes les routes menant au camp ont été rasées" par des bulldozers. "De plus en plus de personnes sont contraintes de partir à cause de l'opération israélienne et du manque d'eau", et l'hôpital local, "coupé des réseaux d'eau et d'électricité", ne dispose plus que "de réserves qui s'amenuisent", ajoute l'ONU.

"L'opération des forces israéliennes à Jénine menace la sécurité et le bien-être de la population, tout en détruisant des infrastructures essentielles comme les routes, le réseau électrique et les canalisations d'eau."

Une responsable des Nations unies

à franceinfo

Ces raids s'accompagnent "de nombreuses arrestations" de Palestiniens, dont on ignore le sort, révèle Shai Parnes, porte-parole de B'Tselem, une organisation israélienne de défense des droits humains dans les territoires palestiniens occupés. "Ces derniers jours, il y a aussi eu de nouveaux barrages de l'armée ou de colons installés sur les routes, et des raids militaires dans d'autres villes de Cisjordanie."

Nétanyahou "cherche à ne pas perdre la face"

Cette opération militaire s'ajoute à plusieurs mois de violences dans le territoire palestinien occupé. Depuis les attaques du 7 octobre 2023 en Israël, au moins 848 personnes ont été tuées par des colons ou l'armée israélienne en Cisjordanie, selon le ministère de la Santé de l'Autorité palestinienne. Au cours des 15 derniers mois, l'Etat hébreu a aussi "totalement paralysé l'économie locale, en restreignant la liberté de mouvement au point que les éleveurs ne peuvent pas déplacer leurs troupeaux et que la récolte d'olives n'a pas eu lieu, pour la deuxième année consécutive", constate Shai Parnes.

Les funérailles d'Ahmed Rushdi, un Palestinien de 15 ans tué lors d'un raid israélien, ont lieu à Naplouse (Cisjordanie occupée), le 20 janvier 2025. (NASSER ISHTAYEH / MAXPPP)

Si les violences et restrictions de ces derniers jours n'ont donc "rien de nouveau", l'humanitaire "s'inquiète de la nouvelle phase qui s'ouvre". Comme lui, certains observateurs pointent le timing de l'offensive "Mur de fer", lancée deux jours après le début de la trêve à Gaza. Le 15 janvier, Benyamin Nétanyahou a fini par accepter un accord avec le Hamas qu'il refusait depuis plus de sept mois, ayant juré de "détruire" le groupe islamiste. Désormais, le Premier ministre israélien "cherche à ne pas perdre la face" en intensifiant les opérations militaires en Cisjordanie, estime Thomas Vescovi, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire d'Israël et des territoires palestiniens occupés.

Car le Hamas tente de profiter du cessez-le-feu pour montrer qu'il résiste encore, alors même que Tel-Aviv le décrit comme décimé. Dimanche, les combattants du mouvement islamiste palestinien ont ressurgi dans les rues de Gaza. "Ils ont aussi mis en scène la libération des otages israéliens", prévue dans le cadre de la trêve, souligne Thomas Vescovi. "Elle a eu lieu dans le nord de Gaza", où s'est concentrée l'offensive de l'Etat hébreu, "comme un pied de nez" à Tel-Aviv. "Le Hamas est affaibli mais veut donner l'image d'une organisation résiliente, loin de la capitulation, et c'est une humiliation pour l'armée israélienne et Benyamin Nétanyahou", décrypte l'historien.

Des colons toujours plus violents

Pour certains observateurs, l'opération militaire en Cisjordanie résulterait aussi d'une entente avec le nouvel exécutif américain. Benyamin Nétanyahou a cédé à la pression de Donald Trump sur la trêve, mais en ayant obtenu des contreparties du milliardaire, avançaient des experts interrogés par franceinfo dès la signature de l'accord. Lundi 20 janvier, au premier jour de son mandat, le président des Etats-Unis a en effet levé les sanctions prises par son prédécesseur contre les colons violents.

Le même jour, des groupes masqués ont brûlé et caillassé des voitures et des maisons dans plusieurs communes de Cisjordanie occupée, relate la chaîne Al-Jazeera. A Al-Funduq, village du nord-ouest du territoire palestinien, des commerces ont été incendiés en pleine nuit. Les colons cagoulés se sont montrés si virulents qu'un policier israélien les a pris pour des "terroristes", ouvrant le feu sur deux d'entre eux, détaille le quotidien Haaretz.

Un commerce brûlé par des colons israéliens à Al-Funduq, en Cisjordanie occupée, le 21 janvier 2025. (QAIS OMAR DARWESH OMAR / ANADOLU / AFP)

Depuis les attentats du 7 octobre en Israël, "on assiste à une explosion des actes de violence des colons en Cisjordanie", relève Thomas Vescovi. Selon Shai Parnes, ces Israéliens sont "souvent accompagnés par l'armée" lors de leurs expéditions violentes dans les villages palestiniens. "Les soldats les laissent faire sans intervenir", assure l'humanitaire.

"Les attaques des colons sont une forme officieuse de violence menée par l'Etat hébreu."

Shai Parnes, porte-parole de B'Tselem

à franceinfo

Pour Haaretz, ces violences sont perpétrées par des "terroristes juifs", désormais "encouragés" par la levée des sanctions américaines. "Les incidents d'Al-Funduq sont un avant-goût de ce qui risque de se produire sous [la gouvernance] (...) d'un Premier ministre qui cherche uniquement à préserver sa coalition gouvernementale", alerte le quotidien israélien.

"Alors qu'il avait réussi à redorer son image avec les morts des leaders du Hamas, Ismaïl Haniyeh et Yahya Sinouar, et de celui du Hezbollah, Hassan Nasrallah, Benyamin Nétanyahou est de nouveau en difficulté dans les sondages", confirme Thomas Vescovi. Or le Premier ministre joue sa survie politique sur sa gestion de l'après 7-Octobre. Après le départ du gouvernement d'un des partis suprémacistes israéliens, opposé à la trêve à Gaza, "Benyamin Nétanyahou a tout intérêt à resserrer les liens avec l'extrême droite", insiste le chercheur.

"Israël n'arrête pas son offensive, il la déplace"

La nouvelle opération en Cisjordanie permettrait ainsi de donner des gages aux ultranationalistes. Mardi, le ministre d'extrême droite Bezalel Smotrich a déclaré que la "sécurité" dans le territoire palestinien avait été ajoutée aux "buts de guerre" israéliens, rapporte la chaîne américaine CNN. "Après Gaza et le Liban, (...) nous avons commencé aujourd'hui à faire évoluer notre approche de la sécurité en [Cisjordanie] et de l'éradication du terrorisme dans la région", a précisé le suprémaciste juif.

Des Palestiniens inspectent une maison détruite lors d'un raid israélien à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 23 janvier 2025. (ISSAM RIMAWI / ANADOLU / AFP)

Au point de faire craindre à certains experts une accélération de la colonisation, voire une annexion de la Cisjordanie, avec l'aval de Washington. "Ce qui se passe depuis dimanche n'est que la suite de la politique du gouvernement israélien : tenter de coloniser un maximum de terres, d'en chasser les Palestiniens, de rendre misérables ceux qui restent", s'emporte Shai Parnes. Le contrôle exercé par Tel-Aviv sur la bande de Gaza, soumise à un blocus depuis 2007, et en Cisjordanie, occupée par l'armée depuis 1967, "revient déjà, de fait, à avoir un seul Etat hébreu de la rivière à la mer", s'insurge l'humanitaire, en référence au slogan notamment utilisé par les ultranationalistes pour désigner les territoires s'étendant du fleuve Jourdain à la Méditerranée.

"On assiste à un report du conflit en Cisjordanie, qui renforce l'idée qu'Israël ne mène pas une guerre contre le Hamas, mais contre le peuple palestinien et toute forme de résistance qu'il pourrait manifester."

Thomas Vescovi, historien

à franceinfo

"Malgré la trêve, Israël n'arrête pas son offensive, il la déplace", martèle Thomas Vescovi. Pour l'historien, le temps est donc compté. "Une conférence sur la création d'un Etat palestinien doit se tenir en juin prochain, sous l'égide de la France et de l'Arabie saoudite, rappelle-t-il. Mais que restera-t-il de la Palestine d'ici là ?"