Trêve à Gaza : pourquoi le cessez-le-feu entré en vigueur entre le Hamas et Israël reste extrêmement fragile

Un faux départ et des tensions qui illustrent la fébrilité ambiante. L'entrée en vigueur du cessez-le-feu, dimanche 19 janvier, censée ouvrir la première phase de l'accord entre le Hamas et Israël, a été retardée de près de trois heures. Raison invoquée par Tel Aviv : le Hamas n'avait pas remis dans les temps la liste des noms des premières otages devant être libérées dans la journée. Le mouvement islamiste palestinien a reconnu un retard "pour des raisons techniques sur le terrain". L'armée israélienne a alors mené des frappes sur le nord de la bande de Gaza, où huit personnes ont été tuées, selon la Défense civile locale.

Arraché par les médiateurs mercredi, sous fortes pressions internationales à quelques jours de l'investiture du nouveau président américain Donald Trump, l'accord actuel nourrit les espoirs de paix durable dans la région. La situation reste cependant précaire. Franceinfo vous explique pourquoi.

Parce que l'accord comporte trois phases encore floues

La première phase de l'accord, qui doit durer six semaines, prévoit un cessez-le-feu, la libération de 33 otages israéliens contre un échange de détenus palestiniens et l'augmentation de l'aide humanitaire. Ensuite, cela "reste relativement flou", assure à Public Sénat Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d'études stratégiques (FMES). "Les détails concernant les phases deux et trois seront finalisés lors de la mise en œuvre de la première phase", avait reconnu le Premier ministre qatari, médiateur dans les négociations.

"Lorsque la phase deux commencera, il y aura un échange pour la libération des otages restants encore vivants, y compris les soldats hommes, et toutes les forces israéliennes restantes se retireront de Gaza. Le cessez-le-feu temporaire deviendra alors permanent", avait de son côté affirmé le président américain Joe Biden. La troisième et dernière étape sera consacrée à la reconstruction de Gaza et à la restitution des corps des otages morts en captivité.

Autre point qui reste à préciser : l'acheminement de l'aide humanitaire. "Les détails risquent de poser problème", soulève Pierre Razoux. "La logique veut que l'aide humanitaire passe par Rafah, ce qui pose la question de connaître la position d'Israël sur les négociations avec l'Egypte pour savoir qui contrôlera la frontière sud de Gaza", précise ce spécialiste. Or, "Israël ne fait pas confiance aux Egyptiens sur cette question", rappelle-t-il.

Parce que la fin du Hamas reste un objectif primordial pour Israël

L'Etat hébreu se réserve "le droit de reprendre la guerre" contre le Hamas à tout moment "avec le soutien des Etats-Unis", a prévenu le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, samedi. Le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, Mike Waltz, a en effet assuré, mercredi sur la chaîne américaine Fox News, que les Etats-Unis soutiendraient la reprise des combats par Israël "si le Hamas ne respectait pas les termes de l'accord". "Il s'agit d'un cessez-le-feu provisoire", a encore insisté le chef du gouvernement israélien dans son allocution télévisée, menaçant de riposter "avec plus de force" en cas de reprise des hostilités.

"Le président Trump leur a tordu le bras alors que l'objectif principal n'a pas été complètement atteint. Le Hamas est très affaibli, diminué militairement, il ne jouera plus le rôle qu'il a joué précédemment, mais il existe toujours", a rappelé sur franceinfo Dominique Moïsi, géopolitologue, conseiller spécial à l'Institut Montaigne. "Si le Hamas reste au pouvoir, l'instabilité régionale qu'il provoque risque de perdurer", a d'ailleurs mis en garde, dimanche, le ministre des Affaires étrangères israélien, Gideon Saar. "Il n'y a pas d'avenir de paix, de stabilité et de sécurité pour les deux parties si le Hamas reste au pouvoir dans la bande de Gaza."

En clair, la fin du Hamas reste un objectif militaire pour l'Etat hébreu. "Il y a un besoin d'afficher un résultat positif pour l'instant, mais on peut imaginer qu'à la première difficulté, Israël reprenne les frappes, décrypte Pierre Razoux sur Public Sénat. Israël ne va pas laisser le Hamas se reconstituer et devrait continuer de frapper les objectifs militaires du Hamas à Gaza de la même manière que Tsahal continue de toucher des objectifs militaires du Hezbollah au sud Liban."

Parce que la survie de la coalition de Benyamin Nétanyahou dépend de la poursuite du conflit

L'accord avec le Hamas ne satisfait pas les alliés les plus radicaux du Premier ministre israélien. Certains l'ont fait savoir, avant même l'entrée en vigueur de la trêve. Le parti d'extrême droite Force juive du ministre de la Sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, a ainsi annoncé dimanche matin quitter la coalition au pouvoir, qualifiant l'accord de trêve de "scandaleux". Cette annonce ne fait néanmoins pas chuter le gouvernement, qui bénéficie toujours d'une courte majorité au Parlement.

Mais, écrit le journal israélien Haaretz, "si Trump contraint Nétanyahou à poursuivre vers la seconde phase, la coalition risque d'éclater". Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, lui aussi d'extrême droite, est opposé à cet accord et son Parti national religieux a prévenu qu'il se maintenait au gouvernement durant la première phase, mais qu'il en partirait si les combats ne reprenaient pas ensuite. Sur X, le ministre est catégorique : l'accord est "mauvais et dangereux pour la sécurité nationale de l'Etat d'Israël".

"Après la fin de la première phase, au cours de laquelle les femmes, les personnes âgées, les malades ou les otages blessés seront libérés, une excuse sera trouvée pour reprendre les combats parce que le Hamas ne tiendra pas ses promesses, anticipe Haaretz. Les soldats israéliens retourneront dans la bande de Gaza, et cette fois, ils détruiront complètement le Hamas, comme annoncé."