Il y a dix ans, l’accord de Paris était signé. Mais son principal objectif – contenir le réchauffement climatique sous la barre de 1,5 °C supplémentaire – est déjà enterré. À l’heure où l’écologie est de plus en plus invisibilisée et où elle subit les attaques coordonnées des libéraux et de l’extrême droite partout dans le monde, la Fête de l’Humanité entendait la remettre au cœur de la scène publique.
Pour échanger autour de ce sujet essentiel, quatre invités : Lucie Pinson, fondatrice de l’ONG Reclaim Finance et spécialiste des questions de finance, Robert Vautard, climatologue et coprésident du Giec, Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France et ancienne ministre du Logement et Camille Étienne, militante écologiste.
Quel est l’état du monde aujourd’hui, alors que l’on commence à ressentir les effets du changement climatique et que les phénomènes extrêmes s’accélèrent ?
Robert Vautard
Climatologue et coprésident du Giec
Robert Vautard Force est de constater que ça ne va pas très fort… Nous sommes aujourd’hui à un réchauffement moyen d’environ 1,3 à 1,4 degré. Il existe des concentrations de CO2 dans l’atmosphère comme jamais il n’y en a eu depuis des millions d’années. Sur le climat global, la vitesse de réchauffement est inédite depuis au moins deux mille ans. Elle menace les équilibres de la vie sur Terre.
Plus de chaleur veut dire davantage de sécheresses et de pluies extrêmes occasionnant des inondations. Le gaz carbonique, le fameux CO2, s’accumule dans l’atmosphère du fait de la combustion des énergies fossiles. L’élimination naturelle des émissions que l’humanité va envoyer pendant ce siècle, et qu’elle a envoyées les siècles précédents, mettra des centaines de milliers d’années à disparaître. C’est un processus irréversible et nous avons une responsabilité historique.
L’accord de Paris a dix ans et la COP30 va s’ouvrir début novembre à Belém, au Brésil. Que peut-on encore en attendre ?
Camille Etienne
Militante écologiste
Camille Étienne J’ai grandi avec l’accord de Paris. Quand j’ai commencé mon activisme il y a dix ans, j’avais cette idée naïve que les adultes allaient enfin prendre le sujet en main. Et puis il y a eu la désillusion. J’ai décidé, pour la première fois, de participer à une COP parce que je pense que nous sommes dans un moment particulier, où le climatoscepticisme augmente. Rien que ces six derniers mois, le Réseau Action Climat a comptabilisé 43 reculs environnementaux.
Donald Trump a ouvert la voie à une série de mouvements qui se disent fiers d’être anti-écologistes. De plus en plus de lobbies de l’énergie, du plastique, de la pollution chimique, sont présents dans les COP. Nous désirons y participer pour trois raisons : d’abord exposer qu’il n’est pas normal que ces COP prennent des décisions qui nous affectent.
Il s’agit aussi de soutenir ceux qui sont en première ligne des conséquences du dérèglement climatique et, enfin, d’arrêter la politique de la chaise vide, en allant là où d’autres ne veulent pas que l’on soit.
Lucie Pinson
Fondatrice de l’ONG Reclaim Finance et spécialiste des questions de finance
Lucie Pinson Il faut replacer les COP dans leur contexte : elles ne sont que des moments dans l’agenda climatique. La lutte se gagne avant, pendant et après. Ce sont des espaces à investir car des décisions y sont prises, mais elles ne sont que l’aboutissement d’un rapport de force. Il est donc très important de se mobiliser, chaque jour, pour influencer l’agenda des COP.
Trois enjeux marquent la prochaine : d’abord la responsabilité des pays riches envers les pays les plus affectés par le réchauffement climatique. Ensuite, la France et l’Union européenne doivent prendre des engagements forts en matière de baisse de leurs émissions de gaz à effet de serre. Enfin, ces baisses seront-elles réellement atteintes à travers des politiques de sobriété ou, arithmétiquement, en achetant des crédits carbone ?
Cécile Duflot
Directrice générale d’Oxfam France
Cécile Duflot C’est peut-être la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons un problème de Terriens. En débattre et tenter de trouver des solutions à l’échelle de l’ensemble de la planète semble pertinent. Les pays du Sud sont les principales victimes du changement climatique, sans en être responsables : 51 % des émissions sont le fait des 10 % les plus riches de la planète. Il y a nécessité de réparation. Et aussi de justice générationnelle.
Ceux qui vont devoir faire avec les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas responsables, soit parce qu’ils n’étaient pas nés, soit parce qu’ils viennent de pays qui ont très peu contribué à la situation dans laquelle nous nous trouvons. En ce sens, remettre de la pression sur la COP est une bonne chose.
Robert Vautard Entre aujourd’hui et 1990, l’Union européenne a baissé ses émissions de 35 % – mais si l’on tient compte des délocalisations, c’est plutôt 20 %. Certes, nous sommes très loin de l’objectif d’une réduction de 55 % d’ici à 2030. Mais les COP ont permis à une soixantaine de pays de baisser leurs émissions. Et il n’y a pas d’autres mécanismes que celui-là permettant de réunir tous les pays pour discuter ensemble de la question climatique.
Les ennemis du climat s’organisent avec des moyens financiers conséquents. Ils disposent de relais pour contribuer à façonner l’opinion publique. La question n’est-elle pas de dénoncer l’arnaque du capitalisme vert ?
Lucie Pinson L’écologie est forcément anticapitaliste. Le mot écologie est utilisé aujourd’hui y compris par ses ennemis, au risque de le galvauder et de le rendre inutile dans le combat quotidien. Peut-être gagnerions-nous à resserrer les discussions sur des combats extrêmement précis, qui touchent directement la vie de la majorité de la population. Quant à la finance, elle découvre le climat en 2015.
À partir de là, les banques, les investisseurs promettent les uns après les autres de contribuer à la limitation du réchauffement climatique, d’abord à moins de 2 °C, puis à moins de 1,5 °C, après que les travaux du Giec ont démontré qu’il est intolérable de viser autre chose. Sauf que le cœur de la finance n’a pas été transformé. On va seulement se contenter d’ajouter de nouveaux produits financiers qui vont étiqueter ce qui est vert ou responsable.
Mais le produit est-il réellement vert lorsque BNP Paribas participe à une obligation pour l’extension d’un aéroport à Hongkong ? Est-on vraiment sur une transaction verte quand il s’agit ni plus ni moins d’augmenter le trafic aérien et que cette extension se situe en mer, là où vivent les derniers dauphins blancs d’Asie ?
On ne fait qu’ajouter un nouvel étage au gratte-ciel et on ne touche pas aux fondations de la finance, ancrée dans un modèle fondé sur l’exploitation des humains et des ressources des écosystèmes. Des acteurs vont passer entre les gouttes des impacts du dérèglement climatique, tout en continuant eux-mêmes d’aggraver la situation. Le meilleur exemple, ce sont les assurances Axa.
Aujourd’hui, les dommages liés aux événements climatiques coûtent de plus en plus cher : on passe chaque année la barre des 100 milliards d’euros. Dans ce contexte, Axa continue d’assurer le dérèglement climatique en rendant possibles de nouveaux projets fossiles mais en augmentant, en parallèle, ses primes d’assurances liées aux dommages.
En 2024, l’entreprise a engrangé ainsi le plus grand bénéfice de son histoire mais, en France, 1 500 collectivités ont du mal à s’assurer et un nombre croissant de personnes, notamment les agriculteurs, peinent à faire face au dérèglement et à trouver une assurance pour en couvrir les conséquences. En même temps, Axa a fui certains risques, comme aux États-Unis où, lorsque vous habitez sur la côte californienne, vous ne trouvez plus d’assureurs.
Comment faire front ?
Camille Étienne Nous sommes nombreux, de la génération climat, à s’être politisés et à nous rendre compte qu’il ne s’agit pas uniquement de sauver les dauphins dans la Méditerranée, alors que des exilés y meurent. Que nous n’allons pas pouvoir nous atteler à la question climatique de façon sérieuse si on n’en fait pas une affaire de justice sociale. Certains médias adorent mettre les agriculteurs, ou les gilets jaunes, contre les écologistes.
Nous devons leur tordre le bras en faisant des alliances. Ce qui a été puissant, lors de la loi Duplomb, c’est que nous avons rencontré des agriculteurs, pas forcément en bio. Nous avons tellement de choses en commun que nous pouvons défendre ! Le 10 septembre, avec le mouvement Bloquons tout !, nous étions ensemble sur les piquets de grève. Dans le même sens, le 18 septembre doit être une grande journée de lutte. Le climat est viscéralement une question de justice sociale.
Cécile Duflot Il ne faut évidemment pas baisser les bras. Dans les années 1970, André Gorz a très bien expliqué à quel point le système capitaliste produit de la crise écologique. Nous pouvons désormais affirmer que ce système engendre des inégalités. Il est incapable de s’autoréguler. Aujourd’hui, des multimilliardaires concurrencent la démocratie par l’accumulation de richesses dont ils ont fait preuve.
Dans l’histoire, les moments d’inversion de tendance se sont toujours traduits par de grands mouvements populaires non violents, extrêmement massifs, et par un débouché politique qui, sous la pression de ces mouvements, a été capable de mettre en œuvre des régulations, des transformations démocratiques. Il faut que des régulations extrêmement puissantes à l’égard des acteurs privés existent, car il faudra bien faire avec eux.
Que diriez-vous pour convaincre les sceptiques ?
Robert Vautard C’est l’amélioration de notre cadre de vie qui est en jeu, et aussi la justice sociale. Attention à la polarisation des débats. Actuellement, c’est dans l’intérêt des politiques, des médias, de le faire. Mais la transition n’est pas un effort colossal, ni punitif. Ce n’est pas non plus un chemin facile. Il faudra des réorganisations. À la fin, nous bénéficierons tous d’améliorations en termes de justice, de santé…
Lucie Pinson J’ai beaucoup dit que le climat était la bataille du siècle. Je n’en suis plus sûre aujourd’hui. Je pense que tout le monde doit avoir en tête qu’il ne s’agit pas seulement de se mobiliser pour le climat. Que les ennemis du climat sont aussi ceux des libertés civiles, de nos droits à la mobilisation, d’expression, de liberté de religion…
Ces attaques sont massives. Si nous ne voulons pas que l’histoire se répète, nous avons intérêt à nous mobiliser et à prendre conscience que les adversaires du climat sont aussi en première ligne contre les personnes racisées, contre les droits civils.
Cécile Duflot Aujourd’hui, je ne veux plus résister, ne rien lâcher, me mobiliser… J’en ai assez. Je veux qu’on s’organise et qu’on gagne.
Camille Étienne Nous ne sommes pas condamnés à ce qui nous arrive. La mobilisation du 18 septembre doit être un grand début.
La Terre de nos batailles
La justice climatique, c’est notre bataille. Celle qui relie luttes environnementales et sociales pour contrer un système capitaliste faisant ventre de tout. Du vivant, de la planète, de notre humanité.
Il n’y a pas de fatalité.
- Nous démasquons les manipulations des lobbies.
- Nous battons en brèche les dénis climatiques mortifères.
- Nous mettons en valeur les initiatives visant à réduire les inégalités environnementales et les fractures sociales.
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