Allemagne : la CDU brise le cordon sanitaire avec l’AfD en faisant voter des textes anti migrants juste avant les élections

Friedrich Merz, le candidat de la droite chrétienne-démocrate à la chancellerie à l’élection anticipée du 23 février, s’est délibérément affranchi du cordon sanitaire qui empêchait toute adoption d’un texte au Bundestag avec le soutien de l’extrême droite.

Pour faire passer en urgence un durcissement des textes contre l’immigration, celui qui mène la course pour accéder au fauteuil de chancelier n’a pas hésité à torpiller cette règle considérée outre-Rhin, depuis des décennies, comme élémentaire pour préserver la démocratie.

« Vous prenez une terrible responsabilité »

Mercredi 29 janvier, il a fait passer une motion, censée présenter un plan en cinq points, qui n’hésite pas à mettre au même niveau « un besoin de réduction et de contrôle de l’immigration » avec la nécessité de « renforcer la sécurité intérieure et aux frontières allemandes ».

Ce texte, de dimension surtout symbolique, a été adopté d’une courte tête avec le soutien de toutes les droites, les députés CDU/CSU et du parti libéral FDP mêlant leurs voix à celles de l’AfD. Plus grave, une proposition de loi visant à une réduction drastique du regroupement familial devrait être examinée et adoptée ce 31 janvier de façon encore plus nette. Aux voix des droites se joindraient en effet celles des 10 députés de l’Alliance de Sahra Wagenknecht, qui s’étaient abstenus lors de l’examen de la motion de mercredi.

À trois semaines du scrutin, « le cordon sanitaire est brisé : vous prenez une terrible responsabilité », s’est indignée Heidi Reichinnek, députée et tête de liste de Die Linke à la prochaine élection, dans un discours fort et plein d’émotion à la tribune du Bundestag, faisant remarquer que l’on ne pouvait manier pire symbole au moment où le Bundestag célébrait la fin du IIIe Reich et de ses camps de concentration.

Instrumentalisation d’un fait divers commis par un jeune afghan

Un horrible fait divers dans lequel est impliqué un jeune afghan en situation irrégulière est à l’origine de l’initiative du patron de la droite allemande. Le jeune homme, suivi pour des problèmes psychiatriques graves, a attaqué au couteau dans un parc d’Aschaffenburg en Bavière des bambins en promenade, tuant un enfant de 2 ans et un passant qui cherchait à s’interposer.

Face à l’immense émotion soulevée par ce crime, Friedrich Merz a voulu se montrer d’une intransigeance exemplaire, lui dont les affiches électorales scandent « le retour du droit et de l’ordre », comme s’il s’agissait de court-circuiter la prompte instrumentalisation de la tragédie par l’AfD. La méthode Merz de la surenchère a toutes les chances de s’avérer totalement contreproductive, puisqu’elle légitime, de fait, les pires allégations de l’extrême droite.

L’expérience aurait pourtant dû inciter Merz à faire preuve de davantage de prudence. Les nombreuses concessions faites à la démagogie de l’AfD par le gouvernement tripartite sortant d’Olaf Scholz – qu’il s’agisse de l’accélération des procédures d’expulsions, ou du récent rétablissement des contrôles de police aux frontières en dépit des accords de Shengen – se sont soldées finalement, à chaque fois, par de nouvelles poussées électorales de l’AfD.

Le retournement de veste de Friedrich Merz

Les dirigeants de l’extrême droite, autour d’Alice Weidel, ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, célébrant bruyamment l’événement dans les tribunes du Bundestag comme une « victoire historique ».

Olaf Scholz a pu s’en prendre à juste titre à l’engagement trahi de Merz, qui avait solennellement déclaré en novembre exclure toute forme d’alliance avec l’AfD. Le candidat de la CDU à la chancellerie prétend « ne pas avoir changé de ligne » à l’égard de l’AfD, tout en maintenant sa décision de présenter des textes qui ne pouvaient recevoir de majorité qu’avec le soutien de l’extrême droite. Avant d’ajouter, sur la défensive, et comme poussé dans ses retranchements, cette étrange formule : « S’il y a eu une telle majorité, je le regrette. »

Plusieurs associations de défense des droits humains, dont Amnesty international, ont pointé les dangers de cette fin du cordon sanitaire envers l’extrême droite. Des milliers de manifestants se sont rassemblés dès mercredi soir devant la « maison Adenauer », le siège de la CDU/CSU à Berlin, pour protester.

Angela Merkel sort de sa réserve

Plusieurs dirigeants des Églises catholique et protestante d’Allemagne ont déploré « une coopération avec l’extrême droite » comme le début d’une « atteinte à la démocratie du pays ». Une position qui pourrait ébranler la stratégie de Merz, au sein même d’un parti qui se revendique lui-même chrétien. D’autant que l’ex-chancelière Angela Merkel est sortie de sa réserve pour dire combien tout rapprochement avec l’extrême droite constituait « une faute ».

Le regard tourné vers le projet de loi visant à limiter le regroupement familial qui doit être examiné ce vendredi 31 janvier, le chef du groupe SPD au Bundestag, Rolf Mützenich, a supplié le candidat de droite à la chancellerie de « renoncer à pactiser une nouvelle fois avec l’AfD ». Sans obtenir de réponse.

La tentation de rapprochement de Friedrich Merz avec l’extrême droite apparaît d’autant plus forte que chrétiens démocrates et AfD affichent des programmes économiques très voisins. Comme le sont dans l’Autriche voisine les projets du FPÖ et de l’ÖVP (Parti populaire).

Proximité avec la ligne de l’AfD

Ce que n’a pas manqué de souligner Herbert Kickl, le très probable futur chancelier autrichien à la tête d’un attelage extrême droite/droite en cours d’élaboration, qui était invité dimanche à Halle avec Elon Musk à la grand-messe de la campagne de l’AfD.

Alice Weidel et Friedrich Merz n’ont-ils pas fréquenté les mêmes écoles, avant de s’investir plus fortement dans le débat politique ? Les deux ne jurent que par la dérégulation, selon eux mère de retours flamboyants à la compétitivité. Lui est l’auteur du livre Oser plus de capitalisme, quand elle ne jure que par son alignement sur la vision libertarienne de l’oligarque, propriétaire de Tesla, Space X et du réseau X.

Avant d’entrer dans la cour des grands du monde politique, elle fut la représentante en Allemagne de la méga banque états-unienne Goldman Sachs. Et lui fut le chef outre-Rhin du conseil de surveillance de BlackRock, le numéro un mondial du placement financier à Wall Street.

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