« C’est notre responsabilité historique de descendre dans la rue » : la révolte se poursuit en Turquie, malgré la violence des autorités

Pour le septième soir consécutif, des dizaines de milliers de manifestants ont convergé devant l’hôtel de ville d’Istanbul, mardi 25 mars. Alors que la politique autoritaire du dirigeant turc Recep Tayyip Erdogan est de nouveau mise en exergue par l’arrestation de son principal rival, Ekrem İmamoğlu, la contestation populaire – d’une ampleur inédite depuis le mouvement de Gezi, parti de la place Taksim d’Istanbul, en 2013 – se maintient.

Malgré une répression toujours plus forte et la mise sous séquestre des réseaux sociaux, des milliers d’étudiants – la plupart le visage masqué de peur d’être identifiés par la police – ont également défilé sous les applaudissements de riverains dans un arrondissement de la ville. Des étudiants ont aussi défilé par milliers à Ankara, la capitale, selon les images diffusées par les médias turcs.

« Quiconque commet un crime devra rendre des comptes »

Suite à l’arrestation de l’élu d’opposition, comme d’une douzaine de collaborateurs, par des centaines de policiers, mercredi 19 mars, le cabinet du gouverneur d’Istanbul a émis une interdiction de toute forme de marche et de rassemblement dans la métropole. De même pour Ankara et Izmir, les deux autres plus grandes villes de la Turquie, où des interdictions sont entrées en vigueur, respectivement jusqu’au 1er avril et jusqu’au 29 mars.

Un total de 1 418 personnes a été « arrêté lors de manifestations illégales organisées depuis le 19 mars 2025 », a ainsi annoncé le ministre de l’Intérieur turc, Ali Yerlikaya. 979 manifestants se trouvaient en garde à vue, tandis que 478 personnes avaient été déférées devant des tribunaux, mardi 25 mars.

Le ministre de la Justice, Yılmaz Tunç, a de son côté promis que les organisateurs des manifestations devront faire face aux autorités. « Dans un État de droit, la défense juridique n’est pas assurée dans la rue, a-t-il ainsi lancé le même jour. Les vandales qui ont semé la zizanie sont identifiés un par un. Quiconque commet un crime devra rendre des comptes devant la justice. Nous continuerons à préserver l’ordre public. »

Le chef de la force politique d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP), Özgür Özel, est directement visé par ces menaces, lui qui a alerté la communauté internationale lors d’un entretien accordé au groupe de télévision états-unien CNN, lundi 24 mars. « Déclarer sur une plateforme médiatique étrangère que le pouvoir judiciaire en Turquie n’est pas indépendant ne constitue rien de moins qu’une campagne de désinformation pernicieuse », a affirmé Yılmaz Tunç.

Un appel à la « libération rapide » de Yasin Akgül

C’est aussi dans ce contexte tendu pour le pouvoir qu’un tribunal d’Istanbul a ordonné, mardi, le placement en détention provisoire de sept journalistes turcs, dont le photographe de l’Agence France-Presse (AFP) Yasin Akgül, le photoreporter indépendant Bülent Kiliç, le reporter de la chaîne Now Haber Ali Onur Tosun, ainsi que le journaliste indépendant Zeynep Kuray. Le pouvoir turc les accuse d’avoir participé à des rassemblements illégaux.

Le directeur général de l’AFP, Fabrice Fries, a appelé la présidence turque à la « libération rapide » du reporter : « Yasin Akgül ne manifestait pas, il couvrait comme journaliste l’un des nombreux rassemblements organisés dans le pays depuis le mercredi 19 mars. »

Même stratégie pour Recep Tayyip Erdogan, qui affirme que, « si vous aviez commis dans un pays occidental le millième des actes de vandalisme que vous avez commis dans notre pays, vous ne savez pas ce qu’il vous serait arrivé », dans une attaque visant les manifestants. Le dirigeant, dont l’exercice du pouvoir est au centre du mouvement de contestation, les accuse d’attaquer la police et de « brûler les rues et les cours des mosquées ».

« C’est notre responsabilité historique en tant que jeunes de descendre dans la rue », a rétorqué Kerem Gümre, un étudiant âgé de 23 ans. Au moins 55 des 81 provinces du pays ont été théâtres d’actions et de rassemblements, selon un décompte de l’AFP. « Si vous frappez un jeune avec une matraque ou le visez avec du gaz lacrymogène ou une balle en caoutchouc ce soir, je vous demanderai des comptes », a de son côté appuyé, mardi soir, le chef du CHP à l’endroit de la police.

Özgür Özel s’était rendu plus tôt à la prison de Silivri, en lisière d’Istanbul, où sont incarcérés depuis dimanche le maire de la ville et 48 coaccusés, parmi lesquels deux maires d’arrondissements également membres du CHP. « J’ai rencontré trois lions à l’intérieur. Ils sont debout, la tête haute », a-t-il déclaré.

Le CHP, qui a investi dimanche 23 mars Ekrem İmamoğlu comme son candidat à la prochaine élection présidentielle prévue en 2028, a aussi appelé au boycott d’une vingtaine d’enseignes turques réputées proches du pouvoir. « Serez-vous au grand rassemblement de samedi pour soutenir Ekrem Imamoglu, pour vous opposer à [sa] détention (…) et dire que nous voulons des élections anticipées ? », a ensuite questionné Özgür Özel à une foule réunie pour le septième soir consécutif devant la mairie d’Istanbul. L’élu politique a précisé que ce rassemblement aurait lieu à la mi-journée du samedi 29 mars, sur un vaste terrain du quartier de Maltepe, sur la rive asiatique d’Istanbul, et non devant l’hôtel de ville. Le tout afin de maintenir la pression sur un gouvernement déterminé à conserver le pouvoir.

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