Aysu Bankoglu (CHP) : « l’arrestation d’Ekrem Imamoglu est une tentative délibérée de manipuler le processus politique en Turquie »
Avocate, Aysu Bankoglu est depuis 2018 députée du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste social-démocrate) de Bartin, région de la mer Noire. Lorsque nous l’avons jointe, dimanche matin, elle se trouvait au tribunal pour assister à l’audience qui a abouti à l’incarcération du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu.
Comment réagissez-vous à l’arrestation d’Ekrem Imamoglu ?
Le maire de la métropole d’Istanbul et candidat à la présidentielle, Ekrem Imamoglu, ainsi que 106 personnes ont été arrêtés. Il a été formellement placé en détention ce dimanche 23 mars. Ce même jour, l’accès à Internet a été restreint, les routes et le métro ont été fermés, l’accès aux réseaux sociaux a été limité et les retransmissions en direct des chaînes de télévision ont également été bloquées par le RTÜK (le Conseil supérieur de l’audiovisuel turc).
Depuis le coup d’État militaire du 12 septembre 1980, c’est la première fois que le maire d’Istanbul est arrêté de cette manière. Ce qui s’est passé par la suite ne s’était jamais produit, même lors d’un coup d’État. Et pourtant la Turquie en a connu plusieurs. C’est dire la gravité de la situation.
Quelle est la stratégie du président turc et de sa formation politique, le Parti de la justice et du développement (AKP) ?
Le président Erdogan a utilisé la justice pour emprisonner notre candidat à la présidentielle, qui, rappelons-le, bénéficiait d’un large soutien social, par le biais de complots, de calomnies et de fausses preuves. D’ailleurs, l’accusation ne dispose d’aucune preuve légale. L’enquête a été ouverte à partir de « témoins clandestins » et de déclarations calomnieuses qui ne sont que des rumeurs.
Ainsi, ils veulent s’emparer de la municipalité métropolitaine d’Istanbul et interdire officiellement à notre candidat de participer à l’élection présidentielle. Comme on le sait, Ekrem Imamoglu est un candidat déjà élu à trois reprises par des millions de Stambouliotes. Le moment choisi pour procéder à ces arrestations ne laisse planer aucun doute sur leurs intentions véritables. Ekrem Imamoglu est non seulement un dirigeant élu, certainement l’une des personnalités politiques les plus en vue en Turquie aujourd’hui, mais aussi et surtout un candidat de premier plan à la prochaine élection présidentielle, qui doit se dérouler en 2028.
Le prendre pour cible à un moment aussi crucial témoigne d’une tentative délibérée de manipuler le processus politique et de limiter le choix des électeurs. Le droit de participer aux élections, en tant que candidat comme en tant qu’électeur, doit être protégé, car il est un pilier de la gouvernance démocratique.
Quels sont les buts réels recherchés par Recep Tayyip Erdogan ?
L’objectif d’Erdogan est clairement de diriger le pays jusqu’à sa mort. Pour cela, il ne se prive pas d’ignorer toutes les pratiques, règles et normes démocratiques. Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est notre République et notre démocratie. Des millions de citoyens, notamment les jeunes, se mobilisent sur les places publiques de Turquie pour défendre leur pays. Alors que le gouvernement perd son soutien social, il tente de survivre grâce à des outils répressifs, en recourant à la détention, à la force contre l’opposition.
Comment comptez-vous empêcher Erdogan et ses alliés de parvenir à leurs fins ?
La place Sarachane d’Istanbul, siège de la municipalité de la ville, est devenue un lieu symbolique. Dans toutes les villes de Turquie, les citoyens sont dans la rue pour revendiquer leurs droits, réclamer justice et défendre la démocratie. Depuis des jours, des dizaines de milliers de personnes scandent le poème de Brecht contre le fascisme hitlérien, devenu un slogan mondial : « Personne ou tout le monde ! Tout ou rien ! Un homme seul ne peut pas sauver sa peau. »
Par ailleurs, ce dimanche s’est tenue l’élection présidentielle anticipée de notre parti. Des millions de personnes ont voté dans les urnes pour le seul candidat, Ekrem Imamoglu. Dès l’ouverture du scrutin que nous avons organisé pour cette primaire, nous avons vu des milliers et des milliers de personnes aller voter dans leurs quartiers.
Ce geste marque le soutien populaire à Ekrem Imamoglu. Nous savons que nous ne pourrons vaincre la dérive autoritaire que par notre lutte pour la démocratie. Quoi qu’il arrive, nous continuerons d’être sur les places et dans les rues aux côtés de notre peuple.
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