Canicule : « On construit des parkings inutiles plutôt que d’aménager des espaces pour respirer », dans la cité des Francs-Moisins, des habitants abandonnés à leur sort

« Pourquoi y a-t-il des casquettes par terre ? Je rappelle qu’elles doivent rester sur la tête ! » Il est 10 heures quand une maîtresse de l’école René-Descartes rappelle à l’ordre une dizaine d’élèves venus chercher un peu d’ombre et de fraîcheur dans le parc de la cité des Francs-Moisins, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Le thermomètre frôle déjà les 36 °C. Sous la vigilance des enseignantes, les enfants investissent l’aire de jeux. Comme de nombreux départements, la Seine-Saint-Denis est placée en vigilance rouge canicule ce mardi 1er juillet. Pour se rafraîchir, une seule solution : une petite fontaine à eau nichée au milieu des arbres, vite prise d’assaut.

Cette situation alimente la colère et la lassitude de plusieurs mères de famille, rassemblées au pied d’un immeuble pour partager leur quotidien éprouvant. Ce quartier compte près de 8 000 habitants et 1 800 logements sociaux. « On ne peut pas rester à la maison, il fait trop chaud », confie Zahra, en s’essuyant le front. « C’est insoutenable », ajoute Kébé, longue robe légère et foulard pour se protéger du soleil. En France, 38 % des locataires de logements sociaux ont souffert de la chaleur durant l’été 2024, selon l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols).

Sentiment d’abandon général

Zahra et Kébé dénoncent l’absence de réponse concrète de la municipalité face à cette détresse récurrente. « On a réclamé plusieurs fois des chaises à l’ombre pour les personnes âgées, mais rien », soupire Zahra en levant les yeux au ciel. Kébé plaide pour davantage d’espaces avec de l’eau pour les enfants, citant en exemple les installations des quartiers voisins de La Courneuve, Aubervilliers ou Pierrefitte-sur-Seine. « L’an dernier, ce sont les jeunes du quartier eux-mêmes qui ont dû cotiser pour acheter une piscine », fustige-t-elle par de grands gestes.

Ce constat est partagé par les acteurs associatifs. Présente dans le quartier depuis plus de trente ans, la ludothèque les Enfants du jeu illustre les effets concrets du manque d’infrastructures adaptées. « Nous sommes dans des locaux provisoires sans ventilation donc nous avons dû annuler les accueils de la journée, témoigne son directeur, Cédric Barraud. C’est invivable pour l’équipe, mais aussi dangereux pour les enfants et parents» L’équipe envisage d’organiser des activités en extérieur lorsque la température le permet, mais le quartier ne dispose « que d’un seul espace vert », et l’aire de jeux y est exposée « en plein soleil ». « On s’adapte au jour le jour, mais on espère rouvrir très vite et recevoir les habitants. Nous, on ne les oublie pas»

Aux Francs-Moisins, la chaleur aggrave un sentiment d’abandon général. « La mairie a abandonné le quartier, martèle Zahra, installée dans la cité depuis vingt-cinq ans, il n’y a que poussière, rats, cafards et punaises chez nous» La mère de cinq enfants dénonce la bétonnisation croissante : « On construit des parkings inutiles plutôt que d’aménager des espaces pour respirer» Kébé abonde dans un long soupir : « De toute façon, on s’habitue à force»

Malgré ce fatalisme, la solidarité demeure. Une dizaine d’habitants ont trouvé refuge à la Place Santé, centre médico-social au cœur du quartier. « On est là pour les écouter et les sensibiliser aux bons gestes avec cette chaleur, surtout pour les personnes âgées », explique Sofia1, médiatrice santé. Même engagement chez les pharmaciennes : « On prend soin d’eux, et eux prennent soin de nous, confie Marie1, souriante derrière son comptoir. Certains nous apportent de l’eau fraîche et profitent de la climatisation. Comme dans tous les quartiers populaires, on est avant tout une famille»

  1. Les prénoms ont été modifiés ↩︎
  2. Les prénoms ont été modifiés ↩︎

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