« Comme d’habitude, on nous laisse nous débrouiller » : le casse-tête des enseignants pendant la canicule

« Près de 34 °C dans une classe, c’est infernal ! On fait avec les moyens du bord. » Enseignante dans une classe de CE2 à Poitiers, dans la Vienne, l’un des seize départements en alerte rouge canicule, Solène* n’a qu’une priorité : prendre soin des enfants. Son mantra : « On s’adapte. »

« On aère dès 6 heures du matin. On travaille tranquillement jusqu’à 10 h 10 ; de toute façon, on n’est plus dans les apprentissages. Et on fait durer la récréation plus longtemps. On a sorti des jeux d’eau, des bassines, pour qu’ils se rafraîchissent. L’après-midi, en revanche, c’est long. Il n’y a de l’air nulle part, rien n’est possible. Heureusement qu’ils ne sont pas nombreux », relate la quadragénaire, qui a apporté des brumisateurs pour hydrater régulièrement les élèves.

« Il faisait 27 degrés dès 9 heures »

De nombreuses familles avaient en effet anticipé la vague de chaleur. « Dès vendredi, des parents nous ont informés qu’ils ne mettraient pas leurs enfants à l’école lundi et mardi », confirme Basile Ackermann, enseignant dans une classe de CM1-CM2 dans une école d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis. « Hier matin, j’avais 14 élèves sur 21. On a fait quelques petites révisions, puis on est allés dans un parc bien arboré. Il faut dire que l’école est située au cœur de la cité des 3000, un espace aussi densément peuplé que bétonné. » En milieu rural, la situation n’est pas meilleure.

« Il faisait 27 degrés dès 9 heures hier matin dans ma classe. On a pu faire quelques révisions. L’après-midi, on a regroupé les enfants dans une salle municipale », témoigne Frédéric Sergent, professeur des écoles dans une école dans un village du Loiret. D’après le ministère de l’Éducation, près de 1 350 écoles publiques étaient fermées mardi. Et dans les 16 départements passés en vigilance rouge (essentiellement d’Île-de-France et du Centre-Val de Loire), les familles qui le pouvaient étaient invitées à garder leurs enfants chez eux.

Comme partout, le bâti scolaire est systématiquement pointé du doigt ; souvent mal isolé, sans volets ou muni de stores parfois défectueux. « Nous avons de grandes baies vitrées exposées plein sud, pensées pour faire des économies de chauffage l’hiver, mais l’été, c’est un four », illustre Frédéric Sergent, par ailleurs représentant FSU-SNUipp 45.

Cosecrétaire du Snes-FSU du 93, Claire Fortassin évoque, elle, « avec colère » « la centaine de collègues qui corrigeaient hier le diplôme du brevet au collège Jean-Lurçat de Saint-Denis, où la moitié des fenêtres sont condamnées. Et certaines épreuves du grand oral du bac se déroulent dans des salles de classe où le thermomètre atteint les 43 °C ». Dans l’école où enseigne Annah, à Paris, il y a bien une clim, « mais elle est en panne depuis des mois »

« On a une ministre qui ne prend pas de décision en amont »

« Comme à chaque fois qu’il y a une crise dans l’éducation nationale, c’est la grande débrouille, résume Basile Ackermann, membre de la CGT Éduc’action 93. Il en va de la canicule comme du Covid, avec une ministre qui ne prend pas de décision en amont. Et on se retrouve avec des situations très différentes d’une ville à l’autre. Certaines ont tenté de mettre des moyens à disposition (climatisation dans les dortoirs des petits, distribution de ventilateurs, de bouteilles d’eau). Et d’autres, rien. À Aulnay, cela fait des années qu’en conseil d’école, on évoque les questions de chaleur et les solutions qu’on aimerait voir mises en place… En vain… »

A contrario, à Poitiers, des « choses » ont été faites, reconnaît Solène, même si cela reste insuffisant. « Dans mon école, des filtres ont été posés il y a deux ans. C’est efficace en cas de chaleur normale, mais pas en cas de canicule. Le ventilateur, c’est bien, mais ce n’est pas assez puissant pour toute une classe. La cour de l’école a également été végétalisée, mais cela date de novembre, trop récent pour en tirer des bénéfices. »

Au-delà du bricolage, tous se disent « étonnés », voire « en colère », que la situation n’ait pas été anticipée davantage. Alors que ces épisodes caniculaires vont se multiplier, « il devient urgent de lancer une véritable rénovation écologique du bâti scolaire public », ont plaidé lundi dans un communiqué commun des syndicats de l’éducation (FSU, CGT) et des associations environnementales (Greenpeace, Oxfam, Attac…). Problème : le coût de l’adaptation du bâti scolaire à la transition écologique est estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros, selon des rapports officiels.

« Nous sommes à la croisée des problématiques nationales et locales : nos conditions de travail dépendent du ministère, mais les moyens, de la municipalité », résume Solène. Or, les collectivités ne peuvent assumer de telles rénovations. Pour Basile Ackermann, il s’agit de « choix politiques et financiers ». « L’État est défaillant à tous les niveaux, s’emporte Claire Fortassin. Certes, ça coûte cher. Mais quand il s’agit de financer l’effort de guerre, on trouve de l’argent. En revanche, quand il s’agit de protéger la santé et le personnel, on ne fait rien faute de moyens. Et on nous dit d’aérer, de ventiler si on peut… C’est honteux. »

* Le prénom a été modifié.

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