Pourquoi la hausse des droits de douane américains met en péril l'économie des pays en développement

Du Bangladesh au Lesotho, en passant par Madagascar ou encore la Birmanie, de nombreux pays asiatiques ou africains, déjà fragiles économiquement, sont particulièrement touchés par les nouveaux droits de douane annoncés par le président américain Donald Trump mercredi 2 avril. Risque de décroissance, dévaluation des monnaies ou encore fuite des investisseurs... Pouvant atteindre 50% sur certains produits, ces tarifs douaniers risquent d'avoir des conséquences alarmantes sur les économies émergentes.

Car la guerre commerciale américaine remet en question des accords commerciaux essentiels de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), selon les économistes interrogés par franceinfo. Arnaud de Nanteuil, professeur de droit international à l'université Paris-Est Créteil, désigne à ce titre "le principe selon lequel on peut appliquer des droits de douane moins importants aux pays en développement". Ces derniers bénéficiaient ainsi jusqu'ici de taux réduits pour faciliter leur accès aux marchés des grandes puissances économiques.

Mais cette règle essentielle du multilatéralisme est désormais "neutralisée" par les droits de douane de Donald Trump. La mesure a d'ailleurs poussé le ministre du Commerce sud-africain, Parks Tau, à plaider pour une réforme et un renforcement de l'OMC. "Ces nouveaux droits de douane perturberont considérablement les échanges commerciaux", avertit-il, soulignant qu'ils remettent en cause l'African Growth and Opportunity Act (AGOA), un accord commercial entre les Etats-Unis et pour plusieurs pays africains.

"Vous avez quand même plusieurs pays en développement qui doivent désormais faire face aux mêmes droits de douanes que ceux développés. C'est une remise en cause totale et absolue du principe de traitement différentiel de l'OMC."

Arnaud de Nanteuil, économiste

à franceinfo

Dans les faits, la nouvelle grille tarifaire américaine impose des taxes pouvant grimper jusqu'à 50% sur certains produits en provenance d'Asie ou d'Afrique (comme le Lesotho), rapporte la chaîne américaine CNBC. Une mesure qui vient mettre fin à toute distinction entre pays développés et pays en développement.

Comment compenser ces pertes ? 

Pour de nombreux pays émergents, les répercussions seront brutales. Le Bangladesh, où l'exportation de textile représentait un levier de développement, se voit frappé de droits de douane de 37%, rapporte l'AFP. Madagascar, exportateur de vanille, verra ses produits taxés à 47%. Au Cambodge, où 17,8% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, selon la Banque asiatique de développement, le taux de droits de douane atteint 49%. "Avec de telles taxes douanières, c'est quasiment une interdiction d'importer", s'alarme Arnaud de Nanteuil.

"Le problème, c'est que ces pays sont très spécialisés et leur économie dépend souvent des exportations d'un petit nombre de secteurs. Quand on impose 47% de taxes à la vanille malgache, forcément, ça va affecter l'économie nationale", analyse de son côté Pauline Wibaux, économiste au Centre français d'études et de recherches en économie internationale (Cepii).

Arnaud de Nanteuil anticipe lui "une spirale de la récession" qui "promet d'être rude" dans les pays concernés. Baisse de la consommation, fermeture d'usines, chômage et augmentation de la pauvreté...

"Quand vous n'avez pas une forte consommation locale, faute de pouvoir d'achat, et que votre survie dépend des exportations, vous n'avez aucun levier pour amortir le choc."

Arnaud de Nanteuil, économiste

à franceinfo

Derrière les répercussions économiques, une question reste en suspens : que feront ces pays pour compenser ces pertes ? "Ces pays peuvent se tourner vers d'autres partenaires commerciaux et aller signer des accords de libre-échange avec des pays développés, dont les économies peuvent absorber leur production, comme dans l'Union européenne", estime Arnaud de Nanteuil.

L'application de cette stratégie reste néanmoins complexe, selon Pauline Wibaux. Car des géants comme la Chine, aussi frappée de plein fouet par la guerre commerciale américaine, vont chercher à rediriger leurs exportations vers d'autres marchés. Les plus petites économies, elles, "risquent d'avoir des difficultés" pour s'imposer à la table des négociations, estime l'économiste du Cepii. "Peut-être que l'on va aussi voir une sorte de renouveau du libre-échange sans les Etats-Unis", anticipe Arnaud de Nanteuil.