Droits de douane américains : comment les Etats-Unis mènent leur guerre commerciale avec l'arme des taxes

C'est une offensive économique d'envergure. Avec son "Liberation Day", Donald Trump a lancé mercredi 2 avril une nouvelle étape de sa guerre commerciale sous la forme de droits de douane, en particulier contre l'Asie et l'Union européenne. "Notre pays a été pillé, saccagé, violé et dévasté par des nations proches et lointaines, des alliés comme des ennemis", a justifié le président américain depuis la Maison Blanche. 

Au cœur du plan : une nouvelle vague de droits de douane planchers de 10% sur toutes les importations et des majorations pour les pays jugés hostiles en matière commerciale. Donald Trump avait déjà annoncé la mise en place de droits de douane de 25% sur les importations d’automobiles et leurs composants à partir de mercredi, qui s’ajoutent aux 25% sur l’acier et l’aluminium, et aux 20% supplémentaires sur toutes les marchandises en provenance de Chine.

Ces mesures, dont l'objectif est de réindustrialiser les Etats-Unis et renflouer les caisses publiques, servent aussi d'arme diplomatique, pour contraindre, selon la communication officielle de la Maison Blanche, certains pays à lutter contre l'immigration clandestine et le trafic de Fentanyl. Des taxes douanières qui s'ajoutent à celles déjà en place depuis janvier sur les importations chinoises, l'acier, l'aluminium et certains produits mexicains et canadiens.

"Œil pour œil, droits de douane pour droits de douane"

"Je dis toujours que 'droit de douane', est pour moi le plus beau mot du dictionnaire", claironnait en janvier le président américain lors d'une interview à Bloomberg. Mais concrètement, en quoi consiste ce levier d'action dont Donald Trump fait l'éloge ? Les droits de douane "sont perçus au moment de l'importation. Quand un produit franchit une frontière, il faut le déclarer, et payer une taxe afin qu'il puisse être commercialisé sur le territoire", explique Alexandre Maitrot de la Motte, professeur de droit fiscal à l'université Paris-Est. Cet instrument existe notamment afin de "réguler le commerce", complète Arnaud de Nanteuil, professeur de droit international à l'université Paris Est. "Quand les Etats veulent faire entrer beaucoup de marchandises, ils baissent les droits de douane, et quand ils veulent limiter les importations, ils les augmentent", explique l'économiste.

Cette taxe qui pèse directement sur le coût des produits importés influence ainsi la demande.

"Si vous êtes un consommateur américain et que vous achetez un véhicule fabriqué aux Etats-Unis, il n'y a pas de droit de douane. Mais si vous achetez un véhicule allemand, et que la taxe sur les produits importés est de 20%, votre voiture coûtera 20% plus cher. Résultat : vous optez pour le modèle américain."

Alexandre Maitrot de la Motte, professeur de droit fiscal

à franceinfo

"La marchandise ne peut entrer sur le marché national qu'une fois que la taxe a été payée", précise Arnaud de Nanteuil. Ainsi, lorsqu'un pays dépend fortement de ses exportations, une augmentation des droits de douane sur ses produits peut gravement nuire à son économie. 

Outre ces droits de douane unilatéraux, Donald Trump joue aussi sur le levier des droits de douane réciproques. "Œil pour œil, droits de douane pour droits de douane, exactement le même montant. S'ils nous font payer, on les fait payer", expliquait notamment Donald Trump pendant sa campagne, rapporte l'AFP. Pour chaque produit importé aux Etats-Unis, les droits de douane seront ajustés pour correspondre à ceux appliqués par le pays d'origine, en tenant également compte de réglementations ou de taxes intérieures, comme la TVA en France.

Le risque d'un "effet domino"

Mais quelles seront les conséquences de l'augmentation de ces droits de douane ? Les Etats-Unis assument de mener une guerre commerciale, c'est-à-dire "un affrontement des Etats avec des outils économiques dont l'objectif est de soutenir son économie nationale", explique Arnaud de Nanteuil. En d'autres termes, c'est un bras de fer où un pays décide unilatéralement d'augmenter les taxes sur des produits étrangers, dans le but de protéger son industrie nationale. Pour Donald Trump, cela signifie encourager le made in USA, rapatrier les industries délocalisées, rendre les Etats-Unis plus concurrentiels. Le pays accusait un déficit commercial de 235 milliards de dollars avec l'Union européenne en 2024, selon le bureau des représentants américains au commerce.

Si les relations économiques entre Etats ont toujours été marquées par des hausses et baisses des droits de douane, rappelle Arnaud de Nanteuil, la guerre commerciale de Donald Trump pourrait "paralyser l'importation de certains produits". "En moyenne, les droits de douane sont de 4 à 5%. Mettre en place des droits de douane à 25%, c'est colossal", observe le professeur de droit international. 

A cela s'ajoute le risque d'un "effet domino". L'Union européenne, "prête à la guerre commerciale" avec les Etats-Unis, envisage, en riposte, "d'attaquer les services numériques" américains, a déclaré jeudi sur RTL la porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas. L'UE a notamment annoncé de nouveaux tarifs douaniers "avant la fin du mois d'avril". "Chaque pays risque de monter ses droits de douane, rendant l'importation de plus en plus coûteuse", confirme Alexandre Maitrot de la Motte. Résultat : "Des milliards de dollars de marchandises resteront bloqués aux frontières, les entreprises n'auront plus les moyens d'exporter et les investisseurs seront refroidis", souligne de son côté Arnaud de Nanteuil. 

"A terme, cette guerre commerciale aura des conséquences désastreuses, car l’augmentation des droits de douane vient freiner le commerce international."

Alexandre Maitrot de la Motte, professeur de droit fiscal

à franceinfo

Cette politique protectionniste aura également des conséquences pour le consommateur. La politique tarifaire imposée par Donald Trump pourrait coûter entre 1 600 et 2 000 dollars par an aux ménages américains, d'après un rapport publié en mars par le Budget Lab de l'université américaine Yale.

Vers une réorganisation du commerce mondial

Selon les experts interrogés, les droits de douane réciproques risquent enfin de mettre tacitement fin à une règle essentielle du commerce international, fondée sur un principe de non-discrimination entre les pays en voie de développement et les pays développés. "Donald Trump demande le même effort pour tous. C'est un choix politique fort, mais qui va à l'encontre du soutien au développement", analyse Arnaud de Nanteuil.

Pour Sébastien Jean, professeur d'économie au Cnam et directeur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri), cette posture protectionniste représente même "une sortie de facto de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)" et "une violation des engagements fondamentaux des Etats-Unis" auprès de l'institution, dont "le principe est justement d'éviter que chacun ne se fasse justice". "La logique de Donald Trump est une logique unilatérale. C'est la loi du plus fort et chacun suivra ses limites. C’est un moyen pour les Américains de mettre fin au multilatéralisme", ajoute Alexandre Maitrot de la Motte.

Pour faire face à ces nouvelles taxes, le Vietnam a déjà annoncé réduire ses droits de douane. D'autres pays, comme la Chine, le Japon et la Corée du Sud, ont choisi d'accélérer leurs négociations pour un accord de libre-échange. Une solution intéressante, selon Alexandre Maitrot de la Motte, qui appelle à un renforcement des coopérations internationales. "Si les Européens étaient malins, ils signeraient, même symboliquement, un accord de libre-échange avec le Canada et le Mexique pour donner une priorité à leurs produits", conclut l'expert.