Plan de paix de Donald Trump pour l'Ukraine : comment Kiev et les Européens entendent faire évoluer le projet d'accord américain

"Nous ne voulons pas une paix qui soit une capitulation." Emmanuel Macron a redit, dans une interview à RTL, mardi 25 novembre, la détermination de l'Ukraine et de ses alliés européens à obtenir un accord de paix avec la Russie qui reflète leurs intérêts. Car l'inquiétude était grande chez Volodymyr Zelensky et ses soutiens sur le Vieux Continent, après la révélation, jeudi 20 novembre, du plan américain pour mettre fin à plus de trois ans de conflit avec Moscou. Un texte reprenant de nombreuses exigences du Kremlin, et contraignant Kiev à d'importantes concessions, territoriales notamment.

Le projet résumait, en 28 points succincts, la feuille de route à suivre pour parvenir à la paix en Ukraine. Parmi les propositions les plus critiquées : une cession à la Russie des territoires occupés du Donbass et de la Crimée, une limitation des forces armées de Kiev à 600 000 militaires (contre environ un million aujourd'hui), ou encore l'interdiction pour l'Otan de "s'étendre". "Cette interdiction ne concernerait pas seulement l'Ukraine, mais aussi des pays comme l'Autriche, la Moldavie ou la Bosnie-Herzégovine, déjà candidate à une adhésion", note Jana Kobzova, codirectrice du programme sur la sécurité européenne du groupe de réflexion indépendant Conseil européen pour les relations internationales (EFCR).

Le plan américain prévoyait aussi de "démilitariser le Donbass, l'une des plus importantes lignes de défense de l'Ukraine (...), ce qui préparerait le terrain pour une nouvelle invasion", avance la chercheuse. Autre point contentieux, la résolution de "toutes les ambiguïtés" sur la sécurité européenne, ce qui reviendrait, selon Jana Kobzova, à "limiter les infrastructures et les troupes de l'Otan sur le flanc est". "Il ne s'agit pas seulement de démilitariser l'Ukraine, mais aussi une partie de l'Europe et de l'Otan, insiste la chercheuse. C'est, en résumé, 28 étapes vers une nouvelle guerre."

Les Européens unis au côté de l'Ukraine

Emmanuel Macron s'est interrogé à ce sujet en évoquant le plan américain, mardi matin sur RTL. "Est-ce que la Russie est prête à faire une paix qui soit durable ? C'est-à-dire une paix où ils ne vont pas, six mois, huit mois plus tard, deux ans plus tard, réenvahir l'Ukraine." Le président a ainsi rappelé qu'après l'annexion de la Crimée en 2014, les Russes avaient déjà "trahi leur parole et tous leurs accords" en lançant une nouvelle offensive en Ukraine, en février 2022.

Le plan des Etats-Unis a d'autant plus alarmé Kiev et ses alliés européens qu'aucun d'entre eux n'a participé à sa rédaction. Le texte prévoit pourtant que l'UE investisse "100 milliards de dollars d'actifs russes gelés" dans la reconstruction de l'Ukraine. Il propose également "un dialogue entre l'Otan et la Russie modéré par les Etats-Unis, ce qui montre que Washington ne se voit pas nécessairement comme partie prenante de l'Otan, mais comme une force médiatrice", relève Gesine Weber, chercheuse au Centre pour les études sur la sécurité de l'Ecole polytechnique fédérale (ETH) de Zurich. Un positionnement qui s'inscrit dans le désengagement de l'Alliance transatlantique opéré par les Etats-Unis depuis le retour au pouvoir de Donald Trump.

Or, ce n'est pas la première fois que le président américain court-circuite Kiev et ses alliés sur la question du conflit en Ukraine. Mi-août, il avait rencontré Vladimir Poutine en tête-à-tête lors d'un sommet en Alaska, pour discuter d'un éventuel plan de paix. Le coup de pression avait poussé Volodymyr Zelensky et une dizaine de dirigeants européens à se rendre ensemble à Washington, pour faire entendre leurs exigences.

Résister à la pression américaine sans froisser Donald Trump

Lorsque les Etats-Unis ont présenté le plan élaboré avec la Russie, jeudi, Kiev et ses soutiens se sont à nouveau rapidement mis en ordre de bataille. Vendredi, ils se sont concertés lors d'appels et de visioconférences, avant une rencontre en marge du G20 en Afrique du Sud, samedi, rapporte Le Monde. A la clé, une même réponse : le plan américain est une "base de travail", une proposition nécessitant d'être retravaillée pour mieux prendre en compte leurs intérêts. Pour le quotidien, l'objectif était pour les Européens d'éviter de froisser Donald Trump, tout en posant leurs limites.

(De gauche à droite) Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Friedrich Merz, lors du sommet du G20 à Johannesburg (Afrique du Sud), le 22 novembre 2025. (MICHAEL KAPPELER / DPA / AFP)
(De gauche à droite) Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Friedrich Merz, lors du sommet du G20 à Johannesburg (Afrique du Sud), le 22 novembre 2025. (MICHAEL KAPPELER / DPA / AFP)

"Depuis l'incident entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à la Maison Blanche, les Européens ont compris qu'ils doivent envoyer un message uni" aux Etats-Unis, constate Gesine Weber. Elle évoque une "importante coordination européenne" ces derniers jours. De Kiev à Bruxelles, en passant par Paris et Berlin, les dirigeants ont tous "rappelé leurs lignes rouges" et réaffirmé qu'il "ne peut y avoir un plan prévoyant comment ils doivent utiliser les avoirs russes gelés" ou "imposant à l'Ukraine de réduire son armée (...) sans qu'on discute avec eux", confirme Jana Kobzova.

"Du point de vue européen, l'approche américaine est problématique parce qu'elle revient à avoir deux puissances extérieures, la Russie et les Etats-Unis, qui négocient sans eux l'avenir de l'Ukraine et de l'Europe."

Gesine Weber, chercheuse à l'ETH de Zurich

à franceinfo

La stratégie semble avoir payé. Dimanche, Européens, Ukrainiens et Américains se sont retrouvés en urgence à Genève, en Suisse, pour discuter de ce plan en 28 points. A l'issue de la rencontre, tous ont salué des "progrès". L'ultimatum fixé au 27 novembre par Donald Trump n'a plus été évoqué. Le président américain a, en quelque sorte, "lui-même donné les consignes pour repousser l'échéance, lorsqu'il a déclaré qu'il laisserait les négociations se poursuivre si elles étaient 'constructives'", pointe Jana Kobzova.

"Obtenir une réponse favorable de Moscou"

Pour la chercheuse, les Européens ont "plusieurs cartes à jouer" dans ces échanges. "Le point de vue américain est que l'Ukraine est en train de perdre la guerre. En réalité, les deux camps s'épuisent, même si cela va plus vite du côté ukrainien", souligne Jana Kobzova. L'enjeu pour les plus proches alliés de Kiev est donc de changer la vision américaine de la situation. "Cela implique par exemple d'accroître la pression économique sur la Russie, notamment en s'attaquant aux flottes fantômes et à ses revenus tirés du pétrole", détaille-t-elle. Gesine Weber évoque aussi "les garanties de sécurité que les Européens" et les autres pays alliés de la coalition des volontaires sont prêts à apporter à l'Ukraine, après un potentiel accord de cessez-le-feu avec la Russie.

Ces arguments ont-ils été entendus ? Selon plusieurs médias, dont le Washington Post, les discussions avec les Etats-Unis ont en tout cas abouti lundi à une nouvelle version du texte, réduite à 19 points. D'après le quotidien américain, l'Ukraine est parvenue à en retirer le veto à de nouvelles adhésions à l'Otan, ainsi que plusieurs éléments sur la sécurité européenne. "Ce cadre est sur la table et nous sommes prêts à aller de l'avant ensemble, avec les Etats-Unis (...) et avec l'Europe", a assuré mardi le président ukrainien. Volodymyr Zelensky souhaite organiser au plus vite une rencontre avec Donald Trump pour évoquer les questions les plus épineuses, dont celle des frontières.

Volodymyr Zelensky rencontre le secrétaire à l'Armée de terre des Etats-Unis, Daniel Driscoll, le 20 novembre 2025 à Kiev (Ukraine). (SERVICE DE PRESSE DE LA PRÉSIDENCE UKRAINIENNE / AFP)
Volodymyr Zelensky rencontre le secrétaire à l'Armée de terre des Etats-Unis, Daniel Driscoll, le 20 novembre 2025 à Kiev (Ukraine). (SERVICE DE PRESSE DE LA PRÉSIDENCE UKRAINIENNE / AFP)

"Le plus grand défi est d'obtenir une réponse favorable de Moscou à une proposition d'accord de paix", rappelle toutefois Gesine Weber. Une mission que Donald Trump a confiée à son émissaire Steve Witkoff, qui doit se rendre au Kremlin pour discuter avec Vladimir Poutine des "quelques points de désaccord" qui subsistent sur son plan.

Dès lundi soir, le secrétaire à l'Armée de terre des Etats-Unis, Daniel Driscoll, a aussi entamé des discussions sur une nouvelle mouture avec des délégations ukrainiennes et russes, à Abou Dabi (Emirats arabes unis). "Les pourparlers se déroulent bien et nous restons optimistes", a assuré l'un de ses porte-paroles, mardi. La Russie avait toutefois donné un tout autre point de vue, la veille, par la voix d'un conseiller diplomatique de Vladimir Poutine : "Nous avons appris l'existence d'un plan européen qui, à première vue, n'est pas du tout constructif et ne nous convient pas".