RECIT. Sommet sur l'Ukraine en Alaska : le jour où Donald Trump a permis à Vladimir Poutine de sortir de son isolement diplomatique

Donald Trump et Vladimir Poutine ont passé, en tout et pour tout, six heures ensemble en Alaska. Ce laps de temps a suffi pour permettre au président russe de s'offrir un retour retentissant sur la scène diplomatique. Vendredi 15 août, il a retrouvé son homologue américain à Anchorage pour discuter de l'avenir de l'Ukraine, lors d'un sommet où Donald Trump espérait arracher un cessez-le-feu. Si les contours d'un possible plan de paix n'ont pas été dévoilés par les deux hommes, les déclarations engageantes et nombreux gestes amicaux qu'ils ont échangés n'ont pas échappé aux observateurs internationaux.  

Il est environ 11 heures sur la base militaire Elmendorf-Richardson (21 heures à Paris), vendredi, quand chacun des deux hommes descend de son avion. L'ambiance est chaleureuse dès les premières minutes de ce sommet historique organisé dans le vaste territoire cédé par la Russie aux Etats-Unis au XIXe siècle. Donald Trump applaudit un Vladimir Poutine souriant qui s'avance vers son homologue, sur un tapis rouge déroulé en travers du tarmac.

Le président américain a pris soin de disposer autour du tapis des militaires en grande tenue et des avions de combat de pointe, dans une mise en scène visant à exposer toute la puissance militaire américaine. Un bombardier furtif B-2 survole même le tarmac. Les opposants de Donald Trump critiquent immédiatement une marque de déférence trop grande face au maître du Kremlin, tandis que les partisans du président américain y lisent une volonté d'impressionner le président russe, réputé expert de la pression psychologique.

Une rencontre "très productive"

Les deux hommes échangent une poignée de main énergique et de nombreux sourires, mais leurs paroles restent inaudibles pour les journalistes. Donald Trump n'hésite pas à tapoter la main de son invité pour renforcer cette impression de proximité. Alors que les deux présidents posent pour les photographes, Vladimir Poutine est interpellé par une journaliste : "Avez-vous sous-estimé l'Ukraine ? Allez-vous arrêter de tuer des civils ?" L'intéressé fait un signe indiquant qu'il n'arrive pas à entendre ce qu'on lui dit. Au même moment, Kiev dénonce de nouvelles attaques de drones sur le sol ukrainien.

Loin de la ligne de front, le président russe monte dans la voiture blindée de Donald Trump, une Cadillac surnommée "The Beast" ("La Bête") pour un premier court tête-à-tête, sans interprètes – un format assez inhabituel dans ce genre de sommet, note le New York Times. Sur des images relayées par la chaîne NBC, on aperçoit Vladimir Poutine rire de bon cœur à travers la vitre, au moment où la voiture présidentielle démarre.

Donald Trump accueille Vladimir Poutine à son arrivée à la base interarmées Elmendorf-Richardson, le 15 août 2025, à Anchorage, en Alaska (Etats-Unis). (ANDREW HARNIK / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Donald Trump accueille Vladimir Poutine à son arrivée à la base interarmées Elmendorf-Richardson, le 15 août 2025, à Anchorage, en Alaska (Etats-Unis). (ANDREW HARNIK / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Vers 11h30, les deux hommes s'attellent au sujet au menu du sommet : discuter de l'avenir de l'Ukraine. Alors qu'ils devaient initialement être accompagnés de leurs seuls interprètes, les deux chefs d'Etat sont finalement entourés de quelques conseillers. Côté américain se trouvent le secrétaire d'Etat, Marco Rubio, ainsi que Steve Witkoff, émissaire spécial auprès de la Russie. Du côté du Kremlin, la délégation se compose du conseiller diplomatique Iouri Ouchakov et du chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov. Un peu plus tôt, ce dernier s'est fait remarquer en débarquant en Alaska avec un sweatshirt floqué de l'inscription "CCCP" (le sigle cyrillique signifiant URSS), un signal peu rassurant envoyé aux voisins de la Russie qui composaient autrefois l'Union soviétique.   

Les deux puissances mènent des discussions à huis clos. A l'extérieur de la salle. Les échanges durent finalement moins longtemps qu'escompté. Après trois heures de réunion, Donald Trump et Vladimir Poutine prennent la parole dans la salle de presse de la base militaire, devant un fond bleu portant l'inscription "Pursuing Peace" ("Œuvrer pour la paix"). Le président russe s'avance vers le micro en premier et évoque un entretien "constructif", et fait l'éloge de son interlocuteur.

"Je voudrais remercier le président Trump pour le travail que nous avons réalisé en commun, pour le ton bienveillant de nos conversations."

Vladimir Poutine, président de la Russie

devant la presse

Donald Trump renchérit en qualifiant la rencontre de "très productive". Pour autant, aucune trêve n'est annoncée. Dans l'avion présidentiel l'amenant à Anchorage, quelques heures plus tôt, le républicain a pourtant assuré aux journalistes, dont ceux du New York Times"Je ne vais pas être content s'il n'y a pas de cessez-le-feu aujourd'hui." Plus tôt dans la semaine, il avait même affirmé être prêt à quitter la table rapidement si les discussions n'allaient pas dans le bon sens.

A l'issue du sommet, le ton n'est plus le même. Donald Trump, qui court après le prix Nobel de la paix, assure qu'il reste "très peu" de points à régler pour trouver une issue à la guerre déclenchée par la Russie. Quels sont-ils ? Il ne le précise pas. 

Donald Trump et Vladimir Poutine prennent la parole devant la presse, après un entretien à Anchorage, en Alaska, le 15 août 2025. (KREMLIN PRESS OFFICE / ANADOLU)
Donald Trump et Vladimir Poutine prennent la parole devant la presse, après un entretien à Anchorage, en Alaska, le 15 août 2025. (KREMLIN PRESS OFFICE / ANADOLU)

Contrairement à ce qui était convenu, les deux dirigeants en restent là et ne répondent pas aux journalistes présents. Ils se serrent la main après avoir fini leurs discours et quittent la salle. Les responsables américains ne débriefent même pas la presse, comme c'est traditionnellement le cas après de tels sommets. En partant, le président russe prend quand même le temps de plaisanter et d'inviter son homologue à le rencontrer "la prochaine fois à Moscou". Donald Trump se montre ouvert à l'idée : "C'est intéressant. (...) Je peux imaginer que cela puisse arriver".

Donald Trump met la pression sur l'Ukraine

Le service après-vente de la rencontre est assuré par le président américain lui-même. Juste après ses déclarations à la presse, il enregistre un entretien avec la chaîne ultraconservatrice Fox News. Donald Trump met alors la pression sur... Volodymyr Zelensky, en estimant qu'un accord pour mettre fin à la guerre "dépend vraiment du président" ukrainien.

Alors qu'il avait menacé la Russie de "conséquences très graves" si elle n'acceptait pas de mettre un terme à la guerre, Donald Trump s'adoucit. "Vu comme cela s'est passé aujourd'hui, je ne pense pas que je doive penser à cela maintenant", explique-t-il, se montrant toujours admiratif envers Vladimir Poutine, "un homme fort (…), dur comme l'acier". Quelques heures plus tard, il ajoute même sur son réseau Truth Social que "le meilleur moyen d'arrêter cette guerre horrible entre la Russie et l'Ukraine est d'aller directement à un accord de paix, qui arrêterait la guerre, et non un simple cessez-le-feu".

De son côté, Vladimir Poutine peut se féliciter d'avoir mis fin à son isolement diplomatique, alors que le conflit le plus meurtrier en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale continue en Ukraine. La presse russe crie victoire. Côté ukrainien, le média en ligne The Kyiv Independent parle d'une séquence "écœurante". L'ancien officier du KGB a "gagné la guerre de l'information. Il a utilisé Trump pour montrer qu'il n'était pas isolé", commente dans le New York Times Oleksandr Merejko, président de la commission des affaires étrangères du Parlement ukrainien.

Le président russe, sous mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, a dit espérer que "l'entente" trouvée en Alaska apporterait "la paix" en Ukraine. Son objectif demeure d'acter le contrôle russe de territoires ukrainiens. Jusqu'à présent, la Russie réclame que Kiev lui cède quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Lougansk, Zaporijjia et Kherson), en plus de la Crimée annexée en 2014.