Avec le meurtre de cinq journalistes d’Al-Jazeera, l’armée israélienne tente de plonger Gaza dans l’obscurité

Lorsque nous avions rencontré Nasser Abou Baker, secrétaire général du Syndicat des journalistes palestiniens, en septembre 2024, ce dernier résumait : « Tu as tout le temps en tête le sentiment que tu vas finir par prendre une balle ou te faire arrêter parce que tu es Palestinien. » Près d’un an plus tard, et alors que des dizaines de journalistes gazaouis avaient déjà été tués pour avoir poursuivi leur métier comme pour leur nationalité, son sentiment s’est confirmé.

Pire, il paraît, fin 2025, minime au vu des dégâts causés par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. La chaîne Al-Jazeera, rare chaîne encore présente quotidiennement à Gaza, a ainsi annoncé que cinq de ses journalistes avaient été tués dans un bombardement israélien sur leur tente, dimanche 10 août. Leurs noms : Anas Al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, Ibrahim Zaher, Mohammed Noufal et Moamen Aliwa. En une nuit, Tel-Aviv a tué l’intégralité des reporters employés par la chaîne présents dans la ville de Gaza.

Près de 200 à avoir péri sous les bombes et les tirs

Les journalistes présents sur place étaient environ 200 dans la bande de Gaza, avant que Tel-Aviv ne lance les massacres à partir du 8 octobre 2023. Ils sont, selon la Fédération internationale des journalistes (IFJ) et l’ONG Reporters sans frontières (RSF), près de 200 à avoir péri sous les bombes et les tirs de l’armée israélienne en août 2025. La plateforme Stop murdering journalists parle quant à elle de 298 journalistes tués par l’armée israélienne. Entre-temps, seul le sentiment d’abandon a rythmé ces mois de massacres, de famine, d’un génocide dont la communauté internationale a détourné le regard. ​​

Anas Al-Sharif, correspondant âgé de 28 ans, était l’un des visages les plus connus parmi les derniers journalistes à couvrir le génocide en cours dans une bande de Gaza, dont la vie et l’histoire ont été rasées. L’armée israélienne, plus à une horreur près, a confirmé l’avoir ciblé. Elle n’a pas hésité non plus à bafouer son engagement en le qualifiant de « chef d’une cellule terroriste au sein du Hamas » qui « se faisait passer pour un journaliste ». Tel-Aviv a ainsi affirmé, pour justifier son attaque, qu’Anas Al-Sharif « était responsable de la préparation d’attaques de roquettes contre des civils israéliens et les troupes (israéliennes) ».

L’armée israélienne a ainsi lancé une véritable opération de discrédit à son encontre pour justifier son crime. Par exemple au travers d’une vidéo postée par le porte-parole des forces d’occupation Avichay Adraee, postée lundi 11 août sur X. Ce dernier y attaque frontalement le journaliste palestinien : « Tu parles du cessez-le-feu et des souffrances des habitants de Gaza, alors que tu fais en réalité partie de la machine médiatique mensongère qui diffuse la propagande et déforme les faits. »

Toujours la même rhétorique, doublée d’un opportunisme lancé à la face du monde. Quelques heures avant de bombarder la tente où s’étaient réfugiés les cinq journalistes d’Al-Jazeera, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou annonçait, lors d’une conférence de presse organisée dimanche 10 août, avoir « donné l’ordre aux militaires d’inviter des journalistes étrangers » lors de leur opération de conquête de la ville de Gaza.

« Une tentative désespérée de faire taire les voix qui dénoncent »

Tel-Aviv a tué les dernières voix ayant alerté sur le génocide en cours, puis invite les médias internationaux à visiter une région désolée, vidée de sa population et vouée à être colonisée. Un sentiment résumé par la chaîne Al-Jazeera, qui estime que le meurtre de ses journalistes présents à Gaza « est une tentative désespérée de faire taire les voix qui dénoncent la prise et l’occupation imminentes » de l’enclave palestinienne.

La députée états-unienne démocrate Pramila Jayapal a réagi en intimant aux « États-Unis de cesser de fournir des armes pour ce génocide ». Ken Roth, ancien directeur exécutif de Human Rights Watch, a quant à lui fustigé, auprès d’Al-Jazeera, « un assassinat ciblé ». Selon ce dernier, la mort de ces cinq journalistes « n’est pas un meurtre accidentel. Il ne s’agit pas d’un journaliste pris par hasard dans les bombardements israéliens systématiques de civils palestiniens. Lorsque vous ajoutez à cela le harcèlement systématique dont (Anas Al-Sharif) a fait l’objet, les efforts pour le faire taire, vous comprenez clairement ce qui se passe ».

Dans un texte posthume, posté suite à l’annonce de sa mort, Anas Al-Sharif demande à ce que la communauté internationale n’oublie pas Gaza. « Je vous confie la Palestine, le joyau de la couronne du monde musulman, le cœur battant de chaque personne libre dans ce monde, lance-t-il dans ce texte rédigé au cas où l’armée israélienne ne le tue. Je vous confie son peuple, ses enfants innocents et victimes d’injustice qui n’ont jamais eu le temps de rêver ou de vivre en sécurité et en paix. Leurs corps purs ont été écrasés sous des milliers de tonnes de bombes et de missiles israéliens, déchiquetés et dispersés sur les murs. Je vous exhorte à ne pas laisser les chaînes vous réduire au silence, ni les frontières vous immobiliser. »

Pour une information libre sur la Palestine

Nous avons été l’un des premiers médias français à défendre le droit des Palestiniens à disposer d’un État viable dans le respect des résolutions de l’ONU. Et nous avons inlassablement défendu la paix au Proche-Orient. Aidez-nous à continuer de vous informer sur ce qui se passe là-bas. Grâce à vos dons.
Je veux en savoir plus !