Projet de loi sur l’autonomie de la Corse : l’exécutif reste flou
Le dernier Conseil des ministres, avant la pause estivale, était particulièrement long : trois heures de conversations avant de se quitter. Avec une large part consacrée à la Corse.
Le projet de réforme constitutionnelle, amorcé par Gérald Darmanin dès 2022 et présenté ce mercredi, prévoit de reconnaître un statut d’autonomie pour l’île au sein de la République, inscrit dans la Constitution française.
Le Conseil d’État écouté seulement à moitié
François Rebsamen, ministre de l’Aménagement du territoire, qui a ouvert le bal de la conférence de presse post-Conseil des ministres de ce mercredi 30 juillet, a assuré que « la consécration de cette autonomie ne heurte aucun des grands principes qui fondent la République ».
Il a toutefois ignoré certaines préconisations du Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative française. Ce dernier, à la relecture du texte négocié par Gérald Darmanin avec les élus corses quand il était encore ministre de l’Intérieur, en mars 2024, avait demandé des modifications significatives. Notamment de remplacer la notion de « communauté » corse par celle de « population », et retirer la phrase « en lien singulier avec sa terre ».
François Rebsamen, pour qui la Corse est un « pays », assume le maintien de ces termes tout en rappelant que la décision de modifier ou non le texte d’origine se fera à la rentrée au Parlement. Il prévoit une présentation au Sénat aux alentours du 17 octobre.
Laisser le Parlement prendre le mauvais rôle
Pierre Ouzoulias, sénateur communiste, questionne ainsi la sincérité de l’exécutif sur ce projet de loi. À ses yeux, faire fi des recommandations du Conseil d’État revient à faire examiner, sciemment, au Parlement, un texte potentiellement contraire au droit constitutionnel.
« Je pense que le gouvernement va laisser faire à d’autres, en l’occurrence le Sénat, le soin d’expliquer comment le dispositif qu’il présente est anticonstitutionnel », estime-t-il. Celui qui est aussi vice-président de la Chambre haute estime que « parler de « communauté » ou de « lien particulier à la terre », c’est affirmer une séparation » qui serait donc contraire au principe d’unité et d’indivisibilité de la République.
Au-delà même des termes utilisés, pour le constitutionnaliste Benjamin Morel ce texte « est absolument incompatible avec les principes de la République, de l’État de droit et de l’appartenance à l’UE. Ce gouvernement sera le premier à porter depuis 1945 de telles valeurs devant les Chambres ».
À la rentrée politique, les parlementaires hériteront de la mission d’arbitrer un texte flou qui ne règle pas totalement la question du statut futur de la Corse. « Soit le gouvernement corse va jusqu’au bout et demande une indépendance, et, dans ces cas-là, on peut en discuter comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, soit il reste dans le cadre de la Constitution française », s’agace le sénateur.
Autonomie mais c’est-à-dire ?
Cette autonomie permettrait à la Corse de s’arroger un pouvoir législatif sur son territoire. Mais le texte, pas encore publié, reste flou quant à la hiérarchie entre loi corse et loi française et le champ de compétences de pouvoir normatif.
Pour le politologue André Fazi, favorable à l’autonomie, « en l’état, le pouvoir politique national, le Parlement, pourrait refuser toute demande d’adaptations normatives de l’Assemblée de Corse », explique-t-il au micro de RCF. Pierre Ouzoulias redoute, lui, que le projet de loi constitutionnelle, tel que présenté par le gouvernement, n’aboutisse à un « pur imbroglio juridique » entre l’Assemblée corse et le Parlement français.
Le pouvoir fiscal qui serait aussi accordé à la Corse ne fait pas davantage consensus. « Ce n’est pas un statut fiscal différent qui permettra à la future collectivité autonome de mieux fonctionner, nuance le premier secrétaire du PCF en Corse, Michel Stefani. Car, en contrepartie, elle aurait l’obligation d’équilibrer son budget sur ses propres recettes, ce qui serait catastrophique quand on sait que la Corse est une des régions les plus chères. »
Il dénonce ainsi le fait que les textes et débats sur l’autonomie, depuis 2022, ignorent systématiquement la question sociale : « Depuis quarante ans, chaque décennie a eu son statut sans que cela ne se traduise par une amélioration de la situation sociale, au contraire. »
De nombreuses zones d’ombre subsistent donc dans ce texte qui devra pourtant, pour être adopté, être voté dans les mêmes termes au Sénat et à l’Assemblée nationale, avant en Congrès, à la majorité des trois cinquièmes. Les Corses pourraient aussi se prononcer via un référendum, a laissé entendre le gouvernement.
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