Une "victoire diplomatique" encore "loin d'un succès politique" : Emmanuel Macron a-t-il réussi son pari en embarquant d'autres pays vers la reconnaissance de la Palestine ?
Ottawa emboîte le pas à Paris. Le Premier ministre canadien, Mark Carney, a annoncé mercredi 30 juillet son "intention" de reconnaître l'Etat de Palestine en septembre, lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Lors d'une conférence de presse, le dirigeant a dénoncé le caractère "intolérable" du "niveau de souffrance humaine à Gaza" et plaidé en faveur d'une solution à deux Etats pour justifier sa décision, rapidement saluée de l'autre côté de l'Atlantique. "Nous allons poursuivre nos efforts pour que d'autres rejoignent cette dynamique", a réagi l'Elysée auprès de France Télévisions.
Le Canada est le deuxième pays membre du G7 à se positionner aux côtés d'Emmanuel Macron, qui a annoncé le 24 juillet que la France reconnaîtrait officiellement l'Etat palestinien en septembre, comme 148 Etats membres de l'ONU l'ont déjà fait. Mardi, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a fait savoir qu'il en ferait de même, sauf si Israël mettait fin au blocus alimentaire dans la bande de Gaza. Jeudi, c'est le Portugal qui a fait un pas dans cette direction, lorsque le cabinet du Premier ministre Luis Montenegro a annoncé que le gouvernement allait consulter le président et le Parlement en vue d'une reconnaissance de l'Etat de Palestine, en septembre, à l'ONU.
"La France a enclenché un processus"
Mercredi, Paris et 14 capitales occidentales ont invité les autres pays du monde à exprimer leur volonté de reconnaître un Etat de Palestine. "Il y a le début d'un effet d'entraînement", décrypte auprès de franceinfo Nicolas Tenzer, spécialiste des relations internationales. "La France a enclenché un processus", abonde Bertrand Badie, enseignant émérite à Sciences Po. Aux yeux du politiste, "le leadership diplomatique dont rêve Emmanuel Macron depuis sa première mandature est effectif" avec cette séquence internationale.
"La diplomatie française a été proactive là où les autres sont dans une attitude suiviste."
Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Poà franceinfo
Ces annonces successives interviennent après plusieurs mois d'hésitations et de menaces. En mai, le président français et ses homologues Keir Starmer et Mark Carney s'étaient déclarés "déterminés à reconnaître un Etat palestinien en tant que contribution à la réalisation d'une solution à deux Etats", et "prêts à travailler avec d'autres à cette fin".
Au passage, "la politique étrangère française retrouve sa cohérence", insiste Bertrand Badie. "Elle est enfin, et c'est nouveau depuis plusieurs années, en accord avec elle-même au regard de la reconnaissance de l'Etat palestinien et de la solution à deux Etats. On ne pouvait pas être favorable à la solution à deux Etats sans reconnaître l'Etat palestinien."
Une légère inflexion de la position allemande
L'annonce de plusieurs capitales occidentales pousse par ailleurs d'autres Etats à se positionner, même si plusieurs pays ne suivront pas la France, le Royaume-Uni et le Canada. L'effet "boule de neige" sera-t-il limité ? Jeudi, l'Allemagne a certes réitéré sa position, selon laquelle "la reconnaissance d'un Etat palestinien doit intervenir à la fin d'un processus" de négociations, mais s'est fait plus pressante. "Un tel processus doit maintenant commencer. L'Allemagne ne déviera pas de cet objectif. Sinon, elle sera forcée de réagir à toute action unilatérale" de la part d'Israël, a mis en garde Johann Wadephul, le ministre des Affaires étrangères allemand. De son côté, l'Italienne Giorgia Meloni n'a pas formellement exclu de reconnaître la Palestine.
Moqué par Donald Trump, qui a estimé vendredi 25 juillet que les déclarations françaises n'avaient "pas d'importance", Emmanuel Macron a contribué à faire bouger les équilibres, avec désormais un Occident beaucoup plus favorable à la Palestine.
"Beaucoup ont considéré, peut-être un peu hâtivement, qu'aucun pays majeur n'allait s'inscrire dans la démarche d'Emmanuel Macron. Mais une dynamique semble initiée, certes diversifiée dans ses modalités d'annonce et de positionnements, et qui pose manifestement un problème à Israël", analyse David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur à l'Institut français d'analyse stratégique. "La France et le Royaume-Uni sont membres du G7 et du conseil de sécurité de l'ONU. Outre la Russie et la Chine qui, au sein de cette instance centrale du système onusien, ont déjà reconnu l'Etat palestinien, il ne resterait alors que les Etats-Unis avec leur droit de veto pour faire obstruction à cette reconnaissance."
Une reconnaissance qui "peut rester symbolique pendant un certain temps"
La première partie du pari d'Emmanuel Macron est donc plutôt réussie, selon les spécialistes interrogés par franceinfo. "C'est une victoire diplomatique pour Emmanuel Macron, qui a appliqué sa méthode : quand il y a un point de blocage, il faut essayer d'avancer", observe Nicolas Tenzer. "Mais on est encore très loin d'un succès politique. D'une part, car Benyamin Nétanyahou, totalement conforté par son allié américain, ne semble pas prêt à changer de politique. D'autre partn car les conditions fixées par Paris, à savoir la démilitarisation du Hamas et la reprise du contrôle par l'Autorité palestinienne, sont encore loin d'advenir".
La reconnaissance de l'Etat palestinien risque donc de ne pas apporter d'amélioration concrète et rapide dans la bande de Gaza, où la situation humanitaire est extrêmement critique. Mais les ralliements à la position française pourraient accentuer la pression sur les quelques pays qui n'ont pas encore reconnu l'Etat palestinien, et surtout sur le gouvernement israélien, estime Jean-Paul Chagnollaud, président d'honneur de l'Institut de recherche et d'études sur la Méditerranée Moyen-Orient.
"Le rapport de force change, cela contribue à isoler Benyamin Nétanyahou."
Jean-Paul Chagnollaud, spécialiste des relations internationalesà franceinfo
La question se pose d'autant plus à l'heure où les dirigeants israéliens multiplient les menaces contre les Palestiniens. Le 23 juillet, la Knesset, le Parlement de l'Etat hébreu, a adopté une décision non-contraignante sur l'annexion de la Cisjordanie, une revendication de longue date de l'extrême droite israélienne. Pour Bertrand Badie, "la reconnaissance de l'Etat de Palestine peut rester symbolique pendant un certain temps, seules des sanctions peuvent faire pression sur le gouvernement israélien". Une perspective qui n'est pour l'heure pas explicitement mise sur la table par Paris.
Un "risque de radicalisation" du gouvernement israélien ?
Pour Emmanuel Macron, l'objectif est aussi de stabiliser la région, notamment grâce à une éventuelle reconnaissance de l'Etat d'Israël par les pays du Proche-Orient et du Moyen-Orient. "Si cette dynamique devait se confirmer, cela mettrait les pays arabes n'ayant toujours pas reconnu l'existence de l'Etat hébreu dans une situation peu ou prou inconfortable", avance David Rigoulet-Roze.
En 2020, le Bahreïn et les Emirats arabes unis avaient reconnu l'Etat hébreu dans le cadre des accords d'Abraham, mais d'autres pays ne l'ont toujours pas fait, comme l'Arabie saoudite, qui coprésidera avec la France l'assemblée générale onusienne en septembre. Mais Riyad exclut pour le moment de faire un pas dans cette direction, tout comme l'Algérie, par exemple.
De ce point de vue, les fruits de l'initiative tricolore semblent encore maigres, et certains craignent qu'elle ne pousse le gouvernement de Benyamin Nétanyahou à durcir sa ligne politique. "Il y a un risque de radicalisation", avance Jean-Paul Chagnollaud, tandis que Nicolas Tenzer estime que "les dirigeants israéliens se sont déjà beaucoup radicalisés". Il faudra en tout cas attendre septembre et l'assemblée générale de l'ONU à New York pour voir combien de pays concrétisent leur promesse de reconnaître l'Etat palestinien, et quelles conséquences cela peut avoir sur le blocus humanitaire et les bombardements israéliens à Gaza.