"Deux millions de personnes sont à l'agonie" : on vous explique pourquoi la famine n'a jamais été aussi grave dans la bande de Gaza

Les photos d'enfants au visage émacié, voire cachectique, et les témoignages d'habitants rongés par la faim se multiplient à Gaza. La famine se propage dans l'enclave palestinienne, ravagée par vingt-et-un mois de guerre et soumise à un blocus par Israël qui prive la population d'une aide humanitaire vitale.

L'Etat hébreu s'est défendu, mercredi 23 juillet, d'être responsable de la pénurie de nourriture et a accusé le Hamas d'avoir provoqué cette crise. Mais face aux critiques internationales qui se multiplient, une proposition de trêve de 60 jours est à l'étude entre les deux camps. Voici ce que l'on sait de la situation.

Les enfants en sont les premières victimes

Les plus jeunes, dont les bébés, sont en première ligne face à cette famine. Et ce, dès la grossesse. "Le taux de malnutrition aiguë globale dépasse 10% et plus de 20% des femmes enceintes et allaitantes ayant fait l'objet d'un dépistage souffrent de malnutrition souvent sévère", a détaillé Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS, mercredi. Depuis le début de l'année, l'Organisation mondiale de la santé a recensé 21 décès d'enfants de moins de cinq ans liés à la malnutrition, mais l'organisation souligne que ce chiffre est bien en dessous de la réalité.

En seulement soixante-douze heures, 21 enfants sont morts de malnutrition ou de faim, a rapporté mardi un hôpital de Gaza. Or, les établissements hospitaliers sont saturés et manquent de tout. "Depuis le 17 juillet, les centres de malnutrition aiguë sévère sont pleins" et manquent d'aliments thérapeutiques, a souligné le chef de l'OMS.

"Les enfants tombent en marchant par manque de nourriture", illustre une journaliste vidéo de l'AFP, Salma Al-Qaddoumi, en évoquant ses trois neveux, âgés de 4 à 12 ans.

"Nous atteignons maintenant la situation la plus critique, celle sur laquelle nous alertons depuis un moment. Malheureusement, nous y sommes maintenant", explique le docteur Ahmed El Farah qui dirige l'hôpital Nasser à Khan Younès. 

La famine touche toute la population

Selon plusieurs organisations, dont l'OMS, "une grande partie" des 2 millions d'habitants de la bande de Gaza est frappée par la famine. "Je ne sais pas comment on pourrait appeler cela autrement que des gens mourant de faim en masse", a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus devant la presse.

"Les 2,1 millions de personnes piégées dans la zone de guerre qu'est Gaza sont confrontées à un autre tueur, en plus des bombes et des balles : ils meurent de faim. Nous assistons aujourd'hui à une hausse fatale des décès liés à la malnutrition."

Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS

lors d'une conférence de presse

"La situation est terrifiante, ce sont deux millions de personnes, véritablement, qui sont à l'agonie par défaut de nourriture, d'eau, de soins", confirme François Corty, président de Médecins du monde, sur franceinfo. Les humanitaires sont également touchés. "Ces acteurs-là, qui amènent une once d'humanité dans cette horreur, sont en train de dépérir", se désole-t-il, tout comme ses collègues de Médecins sans frontières, Caritas, Amnesty international et Oxfam international.

A New York, le Comité pour la protection des journalistes a joint sa voix à l'appel des ONG en accusant Israël "d'affamer les journalistes pour les réduire au silence". Mardi, la Société des journalistes de l'AFP a alerté sur le risque de "voir mourir" ses collaborateurs sur place : "Depuis des mois, nous assistons, impuissants, à la détérioration dramatique" des conditions de vie de plusieurs collaborateurs de l'AFP et "leur situation est aujourd'hui intenable". Dans ce contexte, les agences de presse AFP, Associated Press et Reuters, ainsi que la BBC, ont lancé jeudi un appel commun à Israël à "autoriser l'entrée et la sortie des journalistes à Gaza".

La France pointe le blocus israélien

Après avoir assiégé Gaza au début de la guerre contre le Hamas, déclenchée après les attaques du 7-Octobre, Israël a imposé au territoire un blocus total début mars. Très partiellement assoupli fin mai, il a entraîné de graves pénuries de nourriture, de médicaments et de carburant. Les images de dizaines de Palestiniens courant derrière les quelques camions qui transportant des sacs de farine sont devenues courantes. Des scènes chaotiques, où des hommes montent à bord et s'emparent de sacs ou se les arrachent.

"Juste à l'extérieur de Gaza, dans des entrepôts, et même à l'intérieur, des tonnes de nourriture, d'eau potable, de fournitures médicales, de matériel d'hébergement et de carburant restent inutilisées, les organisations humanitaires étant empêchées d'y accéder ou de les livrer", ont déclaré conjointement une centaine d'ONG parmi lesquelles Médecins sans frontières et Médecins du monde. Dès le mois de mai, Médecins du monde mettait en évidence dans un rapport "la responsabilité humaine de la faim à Gaza", utilisée comme "arme de guerre".

Le gouvernement israélien s'est défendu, en affirmant qu'il n'était pas responsable de l'absence de nourriture dans la bande de Gaza. "Aujourd'hui, il n'y a pas de famine causée par Israël. Il s'agit d'une pénurie provoquée par le Hamas", a déclaré son porte-parole, David Mencer, en accusant le mouvement palestinien d'empêcher la distribution et de piller l'aide humanitaire. Le Hamas a toujours rejeté de telles accusations.

L'armée israélienne soutient par ailleurs que 950 camions se trouvent à Gaza et attendent que les agences internationales distribuent leurs cargaisons. Des affirmations rejetées notamment par la France. Pour la diplomatie française, le "risque de famine" à Gaza est bien "le résultat du blocus" imposé par Israël. Même en interne, la situation commence à être contestée. Des centaines d'Israéliens ont manifesté mardi à Tel Aviv pour protester contre les pénuries alimentaires.

Les distributions d'aide sont meurtrières

Non seulement la nourriture manque, mais il est désormais périlleux d'essayer de s'en procurer. L'ONU accuse ainsi l'armée israélienne d'avoir tué plus de 1 000 personnes qui cherchaient à obtenir des vivres, depuis la fin du mois de mai, en grande majorité près de centres de la Fondation humanitaire de Gaza (GHF), une organisation au financement opaque soutenue par les Etats-Unis et Israël.

"Des tanks nous ont encerclés. Ils ont commencé à nous tirer dessus et on ne pouvait plus bouger. On attendait juste de la farine. Nous sommes restés bloqués pendant une heure et demie, deux heures", a raconté un Gazaoui dimanche, après une distribution alimentaire qui s'est soldée par 93 morts, selon la défense civile palestinienne.

Selon la GHF, qui dément tout incident ou tirs mortels lors de ces distributions, plus de 18 000 colis de nourriture ont été distribués depuis le 27 mai dans la bande de Gaza. Suffisant pour préparer "un million de repas". Un calcul "relativement cynique, car il se base sur un nombre de calories minimum, mais ne prend pas en compte la réalité de la dénutrition, surtout chez les enfants", dénonce Pierre Motin, responsable du plaidoyer à la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine, auprès de franceinfo.

Israël veut concentrer les déplacés à Rafah

Selon un plan d'Israël Katz, le ministre israélien de la Défense, dévoilé début juillet notamment par le journal Haaretz(Nouvelle fenêtre), , le gouvernement veut établir à Rafah un immense camp décrit comme une "ville humanitaire". Objectif affiché : accueillir 600 000 déplacés de guerre. Pour être admis dans cette zone, les Palestiniens devraient subir un "contrôle de sécurité", dans le but de vérifier leur identité et d'évaluer leur profil. Une fois à l'intérieur, il leur sera interdit d'en ressortir, a déclaré Israël Katz face à la presse israélienne. Les affaires courantes et l'aide humanitaire seraient ensuite confiées à des "partenaires internationaux".

Le ministre de la Défense ne s'en cache pas : l'objectif de la zone d'accueil est de concentrer à terme "tous les habitants" de la bande de Gaza. Mais cette idée a provoqué un tollé, ses détracteurs y voyant une première étape vers le retour d'une administration israélienne dans le petit territoire palestinien. L'Unrwa, l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, a comparé cette installation à un "camp de concentration". "On voit bien comment la raison humanitaire est instrumentalisée au service d'une déportation massive de populations", martèle sur franceinfo Jean-François Corty, de Médecins du monde, appelant à "inonder le territoire" de Gaza d'aide humanitaire.