Pas encore élu par le Bundestag, Friedrich Merz annonce mesures anti-immigration, dérégulations et course à l’armement
Une fumée blanche est programmée mardi 6 mai au-dessus du Bundestag. Le chancelier Friedrich Merz va entrer en fonction. Sept semaines après les élections législatives remportées par son parti chrétien-démocrate, une courte majorité de députés des deux partis CDU-CSU et SPD, jadis ultradominants sur l’échiquier politique, va le porter au sommet de la République fédérale.
À l’examen du contrat de gouvernement passé entre les deux formations comme à celui des nominations ministérielles ou plus institutionnelles annoncées ces dernières heures, le moins qu’on puisse dire est que la nouvelle ère politique qui se dessine n’est pas franchement de bon augure et pour l’Allemagne et pour l’Europe.
Merz offre un surcroît de légitimité à l’AfD
L’Alternative pour l’Allemagne (AfD, arrivée en seconde position à plus de 20 % lors du scrutin du 23 février) vient certes d’être reconnue ce 2 mai « dans son ensemble » – et non plus « partiellement » comme jusqu’alors – par l’Office fédéral de protection de la Constitution (l’équivalent de nos renseignements généraux) comme un parti d’extrême droite, mettant en cause « l’ordre libéral et démocratique » et la dignité de certains groupes.
Cette classification in extremis va gêner l’accès de cette formation à des postes de responsabilités parlementaires et devrait freiner la banalisation souhaitée par ses dirigeants.
Il reste qu’à moins d’une improbable interdiction de ce parti on voit mal ce qui pourrait continuer d’empêcher sa progression. Le net durcissement de la politique migratoire, l’accroissement des obstacles au regroupement familial et la confirmation d’un rétablissement de contrôles stricts aux frontières, programmés par le gouvernement Merz dans l’espoir de contenir l’AfD, vont lui fournir en effet une fois encore un surcroît de légitimité. Comme le prouvent d’ailleurs des derniers sondages très préoccupants selon lesquels l’extrême droite talonne, voire dépasse désormais la CDU-CSU comme premier parti.
Flexibilisation du marché du travail
La désignation, ces dernières heures, de Jens Spahn, leader très droitier du parti, comme chef du groupe CDU-CSU au Bundestag ne donne pas vraiment de raison de se rassurer. Spahn qui a fait part de son souhait de traiter l’AfD « comme un parti ordinaire », quitte à l’intégrer pleinement dans le travail parlementaire, est l’homme d’une éventuelle coalition « alternative » entre droite et extrême droite. Même s’il est, pour l’heure, revenu sur ses propos à la suite du verdict de l’Office de protection de la Constitution.
Les dispositions antisociales adoptées par les deux partenaires du gouvernement Merz alimentent aussi tous les vecteurs de progression de l’AfD. Au point que Marcel Fratzscher, patron du DIW, l’institut de recherche économique de Berlin, classé pourtant au centre gauche, a voulu prendre date. Il prévient que le programme gouvernemental avec ses exonérations de prélèvements sociaux et fiscaux pour les plus fortunés et les entreprises va renforcer « la redistribution des richesses du bas vers le haut », et donc conforter encore l’immense malaise dont l’AfD tire le plus grand parti.
Parmi les mesures de flexibilisation du marché du travail, prétendument destinées à rendre aux entreprises allemandes leur compétitivité perdue, la fin de la règle de la journée de 8 heures, sous couvert d’alignement sur des normes européennes moins contraignantes, suscite les plus fortes critiques, jusqu’à la direction de la confédération syndicale DGB. Sa présidente, Yasmin Fahimi, a condamné, lors de la manifestation du 1er mai, cette mise en cause du Code du travail qui laisse entendre que les difficultés actuelles de l’économie viendraient, « comme le formule le patronat », dénonce-t-elle, de « la paresse des gens ou de leur propension à se faire porter pâle ».
L’aile la plus libérale du SPD aux manettes du gouvernement
De nouveaux coups pourraient être ainsi portés à un modèle social déjà très abîmé par les réformes structurelles de l’ex-chancelier SPD Gerhard Schröder. Sur le plan politique, l’aile la moins sociale et la plus libérale du SPD, regroupée au sein du Seeheimer Kreis, tient en effet à nouveau toutes les manettes. Lars Klingbeil, le coprésident du parti qui sera, au soir de ce 6 mai, vice-chancelier et ministre des Finances, est un pur produit de cette ligne.
Les six autres ministres fédéraux dont les noms ont été révélés le 5 mai, de Bärbel Bas (Travail) à Boris Pistorius (Défense), sont des proches du co-chef du SPD. Saskia Esken, ultime survivante de l’aile gauche à la direction du parti, et l’ex-ministre du Travail, Hubertus Heil, jugés incompatibles, ne joueront aucun rôle dans le futur cabinet. Quant à l’utilisation du budget exceptionnel de 500 milliards d’euros sur douze ans, prévus pour entretenir et moderniser des infrastructures défaillantes, elle fait encore, pour l’heure, l’objet de plus grand flou.
La générosité des dotations pour ce qui, selon l’élément de langage en vigueur, est présenté comme le « réarmement » de l’Allemagne est, elle, pleinement confirmée par le nouveau chancelier Merz. Le débranchement du frein à la dette sur ce dossier va permettre de relever tous les garde-fous pour augmenter rapidement les dépenses militaires vers 3 % à 4 % du PIB (contre 2 % aujourd’hui).
Mobilisation de Die Linke
Le maintien du social-démocrate Boris Pistorius à la Défense confirme cette fuite en avant dans une politique de puissance, prête aux plus dangereuses surenchères en matière de course aux armements. Le dirigeant du SPD, alors au même poste, l’an passé, dans le gouvernement Scholz, avait indiqué qu’il fallait faire de la Bundeswehr la plus puissante armée du continent et la mettre urgemment « en position de faire la guerre ».
Les ambitions vert-de-gris du nouveau pouvoir n’obéissent en aucun cas à une volonté de « renforcer la défense du pays contre la Russie », relève Jan Van Aken, coprésident de Die Linke. La visée essentielle, précise-t-il, est « de faire de l’Europe une grande puissance militaire à l’échelle mondiale ». Son parti, qui se réunit en congrès les 9 et 10 mai, a prévenu qu’il entendait se mobiliser « dans la rue comme au Bundestag » contre les projets du gouvernement Merz de dérégulation sociale, de nouveau creusement des inégalités et de surarmement.
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