Vider, sans tollé médiatique, un campement de mineurs non accompagnés (MNA), en jouant sur le traumatisme des violences subies lors de l’évacuation de la Gaîté Lyrique, à Paris, le 18 mars, c’est à ce à quoi est en partie parvenue la préfecture de Paris.
Ce vendredi 28 mars, au matin, Percy, Abdoul Kader, Amadou et une grande majorité des 250 autres jeunes qui dormaient sous des tentes, sur les quais de Seine au niveau de l’île Saint-Louis et de ses abords, ont quitté les lieux.
Trois jours plus tôt, le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, avait pris un arrêté d’expulsion à leur encontre. « Je leur ai laissé jusqu’à aujourd’hui pour évacuer les quais, a-t-il déclaré dans la matinée. Il y a un recours contre mon arrêté qui va être jugé (…) devant le tribunal administratif. Donc j’attends la décision du juge. »
« Une politique de l’accueil par le trottoir »
Qu’à cela ne tienne, les jeunes ont déguerpi. « Le coup de pression a marché, dénonce Yann Manzi de l’association Utopia 56. Mais ce n’est pas parce qu’ils ne sont plus là que ces jeunes sont en sécurité. Ils dormiront dans la rue cette nuit encore et les nuits suivantes. Mais ailleurs. »
Le militant associatif insiste, en outre, sur le fait que les 450 jeunes expulsés de la Gaîté Lyrique, la semaine précédente, ne représentent qu’une infime partie de tous les MNA contraints de vivre dans cette situation. « Tous les jours, entre 20 et 25 jeunes voient leur minorité contestée à Paris, précise-t-il. S’y ajoutent tous ceux qui vivent la même chose en province et qui rejoignent la capitale. Chaque jour, ce sont entre 150 et 200 jeunes qui sont balancés sur les trottoirs parisiens alors qu’une grande partie seront reconnus mineurs à l’issue des recours qu’ils ont entamés. » Et de fustiger « une politique de l’accueil par le trottoir pour les dissuader de venir ».
La peur et l’absence de perspective sont en tout cas déjà clairement visibles, ce mardi 25 mars, à la tombée de la nuit, dans le regard de Percy, 16 ans. « J’étais parmi les premiers à occuper la Gaîté lyrique, explique-t-il ce soir-là. J’ai tout perdu dans l’évacuation. On nous avait dit qu’il y aurait des bus pour nous conduire dans d’autres lieux d’hébergement. J’avais préparé mes affaires. Mais aucun bus n’est venu et lorsque les violences policières ont commencé, j’ai jeté mes sacs par-dessus une grille et me suis enfui. »
43 OQTF délivrées
Stoïque, le jeune Congolais marque une pause, les mains enfoncées dans son long manteau gris. « En 2019, après des massacres dans lesquels mon père a été tué, j’ai été emmené par une famille en Angola, reprend-il. J’étais leur esclave. C’étaient de grands propriétaires. Ils sont ensuite partis au Brésil où j’ai continué à travailler pour eux. J’ai réussi à m’enfuir en Espagne avec un adulte qui m’a emmené avec lui en octobre 2024 et m’a abandonné là-bas. J’ai choisi de venir à Paris parce que je parle français et j’ai rejoint le collectif de la Gaîté Lyrique. »
Après l’expulsion du 18 mars, Percy est parti dormir sous une tente au niveau du métro Pont Marie. « Les policiers sont venus le soir même et tous ceux qui n’ont pas pu montrer de récépissé de recours contre la contestation de leur minorité ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) », se souvient-il.
Ce même mardi, vers 7 heures du matin, Amadou, un jeune Camerounais du même âge se réveille à peine et évoque, lui aussi, ces fameuses OQTF. « Ils en ont distribué 43 », affirme-t-il, encore emmitouflé dans sa couverture orange. Autour de lui, une dizaine de ses compagnons d’infortune, tout aussi jeunes, sont déjà en train de plier leurs tentes et de rassembler leurs affaires pour quitter le préau où ils ont passé la nuit devant une galerie de commerces jouxtant la Cité internationale des arts.
« Je ne sais plus si je dois croire aux collectifs »
Hamadou conserve beaucoup d’amertume à propos de l’évacuation de la Gaieté Lyrique. « Je ne suis pas sûr que la police aurait chargé comme elle l’a fait s’il y avait eu moins de monde pour nous soutenir, analyse-t-il. C’est la répression contre nos soutiens qui a généré autant de violence. Je ne sais plus si je dois croire aux collectifs. Je vais me débrouiller tout seul. J’attends l’original de mon acte de naissance qui doit arriver dans la semaine. Ça me permettra d’être reconnu mineur et d’être protégé par l’aide sociale à l’enfance (ASE). »
À quelques mètres de là, en contrebas, le long de la seine, les Parisiens font leur footing. La centaine de nouvelles tentes installées ne semble pas perturber leur rituel matinal. Abdoul Kader, un MNA burkinabè passé, lui aussi, par la Gaieté Lyrique, se brosse les dents à l’un des points d’eau installés sur le parcours des joggers.
De retour dans sa tente, il sort le fameux récépissé de son recours contre la décision de sa non-prise en charge par l’ASE. « Je suis parti de la Gaieté avant que les violences éclatent, explique-t-il. Je veux m’installer ici pour poursuivre des études. Je ne veux pas de problème. »
Luc Vigier, un autre militant d’Utopia 56, est inquiet pour des jeunes comme Abdoul Kader, qui serait resté sur place faute de refuge. Il craint que ces MNA soient de nouveau confrontés à une opération de police dans la semaine qui vient.
« Même si la justice annule le dernier arrêté préfectoral, Laurent Nunez en prendra un autre, anticipe-t-il. Nous avons identifié une dizaine d’autres lieux où les jeunes pourraient s’installer. Nous tentons de les leur proposer mais leur situation sera toujours aussi précaire. Ils éviteront juste le risque, pour cette fois, de brutalité policière. » Le tribunal administratif de Paris doit, quoi qu’il en soit, se prononcer, ce samedi 30 mars, sur le dernier arrêté contesté.
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