"Il croit être le roi" : un an après la réélection de Donald Trump, les Etats-Unis face au risque d'une dérive autoritaire

"Nous sommes en plein moment autoritaire." La mise en garde a été lancée par le sénateur démocrate de l'Oregon, Jeff Merkley, lors d'un discours de plus de vingt-deux heures devant la chambre haute du Congrès, le 22 octobre. L'élu s'est efforcé de prouver que Donald Trump "réduit la Constitution en lambeaux", et "se croit le roi" des Etats-Unis, relate le New York Times. L'inquiétude gagne aussi de nombreux experts, alors que le milliardaire républicain fête, mercredi 5 novembre, le premier anniversaire de sa réélection à la Maison Blanche.

The Steady State, une organisation non partisane d'anciens membres du renseignement américain a ainsi publié, mi-octobre, un rapport affirmant que les Etats-Unis glissent "vers un autoritarisme compétitif : un système dans lequel les élections, les tribunaux et les autres institutions démocratiques existent toujours, mais sont manipulés pour renforcer le contrôle de l'exécutif". Pour arriver à cette conclusion, les auteurs ont "appliqué la même méthodologie que celle utilisée par les agences de renseignement pour les pays étrangers autoritaristes", détaille Steven Cash, directeur exécutif de The Steady State.

Le constat est, selon lui, sans appel. "Quand des dictateurs prennent le pouvoir, ils font presque toujours la même chose : s'attaquer aux médias, contraindre les universités et établissements à adopter le point de vue de l'exécutif, ou encore mettre la pression sur le système judiciaire", liste cet ancien procureur et ex-membre de la CIA. Sous Donald Trump, les Etats-Unis "cochent toutes ces cases", assure-t-il.

"Eliminer" toute contestation en interne

Depuis son investiture fin janvier, l'homme politique de 79 ans a multiplié les décrets, "s'attaquant aux institutions et normes démocratiques", abonde Brian Klaas, politologue au University College of London (Royaume-Uni). "Il semble violer toute sorte de lois, par exemple avec sa tentative de réallouer unilatéralement des fonds fédéraux – que le Congrès contrôle normalement – ou en bombardant des navires dans les Caraïbes et l'océan Pacifique, ce qui s'apparente à des exécutions", dans le cadre de sa guerre déclarée aux narcotraficquants. Donald Trump a aussi tenté de supprimer le droit du sol, ou encore imposé des tarifs douaniers à des dizaines de pays. Autant de prérogatives qui, selon la Constitution américaine, n'appartiennent pas au chef de l'Etat.

Donald Trump signe plusieurs dizaines de décrets présidentiels au premier jour de son deuxième mandat, le 20 janvier 2025, à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis). (ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Donald Trump signe plusieurs dizaines de décrets présidentiels au premier jour de son deuxième mandat, le 20 janvier 2025, à la Maison Blanche, à Washington (Etats-Unis). (ANNA MONEYMAKER / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Pour avoir les coudées franches, le président s'est assuré "d'éliminer" toute opposition au sein de l'administration, en organisant une purge massive dans les agences gouvernementales, constate Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. "Dès la première semaine de la présidence, une quinzaine d'inspecteurs généraux" et d'autres responsables "garants de l'éthique au sein du gouvernement" ont été renvoyés, rappelle l'historienne. Leurs postes, censés être indépendants du pouvoir politique, sont désormais occupés par des fonctionnaires loyaux au président. Ce dernier avait fait face, lors de son premier mandat, à une "résistance intérieure" qui avait notamment laissé fuiter des informations dans la presse, et même envisagé d'entamer une procédure de destitution contre Donald Trump.

Cette purge sert aussi à mieux contrôler l'image du chef de l'Etat. Ludivine Gilli cite un exemple "symbolique" : le licenciement de la commissaire à la tête du bureau des statistiques sur l'emploi, évincée après des chiffres décevants sur le chômage. "Le président empêche la publication de données neutres parce qu'elles viennent contredire son discours, explique Ludivine Gilli. Supprimer ou manipuler des statistiques qui n'arrangent pas le pouvoir est un trait caractéristique des régimes autoritaires."

Les contrepouvoirs externes à l'administration sont, eux aussi, largement affaiblis. Le Congrès a "renoncé à son utilité", dénonçait le New York Times fin octobre. En cause : la majorité républicaine qui, au Sénat comme à la Chambre des représentants, refuse de s'opposer aux abus de pouvoir du président. Contrairement au premier mandat, peu d'élus conservateurs osent encore critiquer Donald Trump, de crainte de le voir soutenir d'autres candidats lors des prochaines élections.

Vendettas et atteintes à la liberté d'expression

Le président n'hésite pas à menacer tous ceux qui contestent le discours officiel. "Le ministère de la Justice est devenu l'outil des vendettas personnelles de Trump, avec une ministre [Pam Bondi] à qui il ordonne d'investiguer et d'emprisonner ses opposants politiques", constate Brian Klaas. L'ancien directeur du FBI James Comey, qui avait enquêté sur des soupçons d'ingérence russe dans la campagne présidentielle de 2016, et la procureure de New York Letitia James, qui a fait condamner le milliardaire pour fraudes financières, ont ainsi tous les deux été inculpés à la demande du républicain.

Donald Trump discute avec son ancienne avocate et désormais ministre de la Justice, Pam Bondi, le 23 octobre 2025, à Washington (Etats-Unis). (JIM WATSON / AFP)
Donald Trump discute avec son ancienne avocate et désormais ministre de la Justice, Pam Bondi, le 23 octobre 2025, à Washington (Etats-Unis). (JIM WATSON / AFP)

La liberté d'expression a été "redéfinie par Donald Trump", observe Ludivine Gilli. "Ce n'est plus la liberté d'exprimer son opinion quelle qu'elle soit, mais une liberté de dire qu'on est d'accord avec lui." En septembre, la ministre de la Justice a ainsi affirmé qu'elle "ciblerait" tout critique de Charlie Kirk, un influenceur d'ultradroite pro-Trump assassiné lors d'un meeting. Dans le même temps, le patron de l'agence des télécoms et de l'audiovisuel (FCC) a menacé de retirer leurs licences aux chaînes diffusant le talk-show de l'humoriste Jimmy Kimmel, qui s'était risqué à une pique sur les réactions des trumpistes à ce meurtre. Dans la foulée, la chaîne ABC a suspendu l'émission durant plusieurs jours.

Ce n'est qu'un des exemples des attaques répétées de l'administration contre les médias. "L'agence AP a été privée d'accès au Bureau ovale pour avoir refusé d'utiliser le nom 'golfe de l'Amérique' pour désigner le golfe du Mexique", comme décidé dans un décret présidentiel, rappelle Ludivine Gilli. Par ailleurs, le New York Times et le Washington Post "ont été visés par des plaintes de Donald Trump, qui les accuse d'avoir une couverture partisane".

"En usant de moyens financiers et politiques, l'administration fait pression sur les propriétaires des médias pour qu'ils musèlent, suspendent ou orientent leur couverture médiatique dans un sens favorable à l'administration."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

Selon Ludivine Gilli, Donald Trump donne au passage "un blanc-seing à des idéologues comme [son chef de cabinet adjoint] Stephen Miller", issu des milieux nationalistes xénophobes. Ces conseillers "se trouvent derrière les mesures comme la réécriture de l'histoire de l'esclavage dans les musées ou les attaques contre l'Etat fédéral", poursuit-t-elle. Ou les pressions exercées sur les universités, relève The New York Times. Ces derniers mois, le gouvernement Trump a en outre proposé des "financements préférentiels" ou, plus souvent, soumis les facultés à des enquêtes administratives ou judiciaires, pour les contraindre à renoncer à leurs politiques de diversité, pointe la radio publique américaine NPR.

Un risque de "manipulation des élections" ?

Pour Steven Cash, le recours accru aux forces de police et militaires constitue l'un des signes les plus marquants de cette dérive. La police de l'immigration (ICE), chargée d'arrêter massivement des migrants en vue de leur expulsion, "agit largement en dehors du droit et de tout contrôle", fonctionnant "comme un groupe paramilitaire", estime l'expert. Depuis le début de l'été, le président a aussi déployé les réservistes de la garde nationale dans cinq villes démocrates : Los Angeles, Washington, Memphis, Chicago et Portland. Une mobilisation qu'il justifie "en évoquant des émeutes, un risque de guerre civile qui, en réalité, n'existe pas", souligne Ludivine Gilli. "Je ne suis pas un dictateur, je suis un homme de bon sens, une personne intelligente", a affirmé Donald Trump, fin août, répondant aux critiques sur le sujet.

La Maison Blanche semble prête à aller encore plus loin. Fin octobre, The Guardian a révélé une note interne du Pentagone, ordonnant à la garde nationale de créer des "forces d'intervention rapide" dans chaque Etat. Selon la présidente d'une association de vétérans citée par le quotidien britannique, il s'agit d'une "tentative par le président de normaliser une force de police militarisée", qui pourrait notamment être utilisée comme moyen de pression pour influencer les résultats des prochains scrutins.

La "meilleure chance de ralentir" cette dérive est une victoire des démocrates "dans l'une des chambres du Congrès lors des Midterms", les élections de mi-mandat en 2026, juge Brian Klaas. "Mais il y a des signes clairs que l'administration Trump et les républicains de plusieurs Etats se préparent à manipuler ces scrutins", avance-t-il. A la demande de la Maison Blanche, les autorités du Texas, de la Caroline du Nord ou du Missouri ont ainsi approuvé des redécoupages électoraux visant à assurer aux conservateurs de conserver la majorité au Congrès. Les démocrates ont depuis entrepris d'en faire de même pour compenser les potentielles pertes.

"Ces redécoupages sont éthiquement discutables, mais légaux", remarque Ludivine Gilli. Mais "on ne peut pas exclure d'autres actes, illégaux et antidémocratiques lors des élections", estime l'historienne. "Ça pourrait prendre la forme de votes non comptabilisés, d'un report du scrutin, d'un recours à l'état d'urgence ou tout simplement de menaces sur des électeurs", liste Steven Cash. L'ancien procureur s'inquiète par ailleurs de l'envoi annoncé d'"observateurs fédéraux" pour surveiller les scrutins dans certains Etats à majorité démocrate, comme la Californie ou le New Jersey. "S'il s'agit de militaires ou d'ICE, des électeurs hispanophones pourraient ne pas se rendre aux urnes, de peur d'être arrêtés."

"Je crois qu'il y a une chance sur deux que les Etats-Unis ne connaissent plus d'élections libres de mon vivant. (...) Les Midterms seront le moment clé pour déterminer dans quelle direction va le pays, et à quel rythme."

Steven Cash, directeur de The Steady State

à franceinfo

Face à ces tentatives du président d'accroître toujours plus son pouvoir, les décisions de la Cour suprême vont être particulièrement scrutées. La juridiction à majorité conservatrice, garante de l'Etat de droit, a déjà donné des signes "qu'elle ne compte pas s'opposer de manière très ferme" à Donald Trump, selon Ludivine Gilli. "Mais jusqu'où laissera-t-elle faire ?"

La société civile représente un autre garde-fou. Le 18 octobre, 7 millions de personnes ont manifesté à l'appel du mouvement "No Kings" ("Pas de roi" en français), lors de l'une des plus grandes mobilisations de l'histoire du pays. Mais l'optimisme reste limité. "L'avenir semble particulièrement lugubre parce que toutes ces détériorations de la démocratie se sont produites en moins d'un an, déplore Brian Klaas. Il leur reste plus de trois ans à tenir."