Eviction de Jimmy Kimmel, fin du "Late Show", plaintes en série... Donald Trump met les médias américains sous pression

Un scandale de plus aux Etats-Unis, à l'heure où les grands groupes de médias américains hésitent de plus en plus à s'opposer frontalement à Donald Trump. L'humoriste Jimmy Kimmel, animateur d'un "late night show" très populaire, va être privé d'antenne, a confirmé la chaîne ABC, mercredi 17 septembre. Jimmy Kimmel est l'un des visages les plus célèbres de la télévision américaine, avec une émission qui offrait un regard humoristique sur l'actualité cinq soirs par semaine. Le président américain n'appréciait pas les critiques régulières de l'animateur de 57 ans, et s'est réjoui d'une "excellente nouvelle pour l'Amérique", sur son réseau Truth Social. La star du petit écran est la dernière victime en date des pressions exercées par le milliardaire conservateur sur la presse depuis son retour au pouvoir. 

Jimmy Kimmel éconduit de son très populaire "late night  show"

Les Etats-Unis se déchirent sur le profil de Tyler Robinson, poursuivi pour l'assassinat du jeune influenceur pro-Trump et ultraconservateur Charlie Kirk. L'animateur Jimmy Kimmel a commenté ces débats en cours, lundi, lors de son émission. "Nous avons atteint de nouveaux sommets ce week-end, avec la clique Maga [Make America Great Again, le slogan des partisans de Donald Trump], qui s'efforce désespérément de présenter ce jeune qui a assassiné Charlie Kirk comme quelqu'un d'autre qu'un des leurs, et qui fait tout son possible pour en tirer un avantage politique", avait-il déclaré.

Ces propos ont été critiqués mercredi par Brendan Carr, le patron du gendarme des télécoms et de l'audiovisuel américains, la Commission fédérale des communications (FCC). Ce dernier avait pointé un "comportement scandaleux" de Jimmy Kimmel, dans un message posté sur la plateforme X. Et dans un podcast, ce proche allié de Donald Trump avait menacé de retirer leur licence aux chaînes qui le diffusent. Nexstar, un groupe qui possède de nombreuses chaînes affiliées à ABC aux Etats-Unis, a annoncé quelques heures plus tard que ses antennes allaient arrêter la diffusion de "Jimmy Kimmel Live". Brendan Carr a publiquement remercié Nexstar. Or l'entreprise texane attend la validation, par la FCC, de l'acquisition de son concurrent Tegna, dévoilée en août. Le président américain, qui n'appréciait pas les critiques fréquentes de l'animateur, s'est réjoui d'une "excellente nouvelle pour l'Amérique", sur son réseau Truth Social.

ABC verse 15 millions de dollars pour éviter un procès en diffamation

Avant l'épisode Jimmy Kimmel, ABC avait déjà eu maille à partir avec le camp Trump. En décembre 2024, la chaîne américaine a accepté de verser 15 millions de dollars (12,7 millions d'euros) pour financer "une fondation et un musée" dédiés au président républicain, afin d'éviter un procès en diffamation. Neuf mois plus tôt, pendant la campagne électorale, le journaliste George Stephanopoulos avait affirmé à l'antenne que Donald Trump avait été jugé responsable de viol dans l'affaire de l'éditorialiste E. Jean Carroll, alors que le jury l'avait jugé coupable d'agression sexuelle. ABC, propriété de Disney, a accepté un accord à l'amiable après l'élection et présenté ses "regrets". Certains observateurs avaient qualifié cette concession d'inattendue.

CBS met fin au "Late Show" de Stephen Colbert

Les mésaventures de Jimmy Kimmel rappellent l'éviction de Stephen Colbert, présentateur du "Late Show", qui a appris mi-juillet l'annulation de son émission emblématique par CBS à partir de 2026. Trois jours plus tôt, Stephen Colbert avait critiqué sa propre chaîne, qualifiant de "bon gros pot-de-vin" l'indemnité de 16 millions de dollars (13,6 millions d'euros) versée par Paramount, maison mère de CBS, pour solder une procédure intentée par Donald Trump. "J'adore que Colbert ait été licencié", s'est réjoui le président américain.

L'épisode Colbert est intervenu alors que le régulateur américain des communications (FCC) devait statuer sur la fusion de Paramount avec le studio de cinéma Skydance, feu vert obtenu quelques jours plus tard. Fait sans précédent connu, la FCC a notamment obtenu de Skydance la promesse d'adopter "des mesures de nature à corriger les biais qui ont sapé la confiance (du public) dans les médias nationaux".

CBS News débourse 16 millions et deux cadres de la chaîne démissionnent

Tout comme ABC, CBS n'en est pas à sa première passe d'armes avec Donald Trump. Fin octobre 2024, le milliardaire avait attaqué en justice la célèbre émission d'investigation "60 Minutes" de CBS News. Il l'accusait d'avoir manipulé une interview de Kamala Harris, en pleine campagne électorale, afin de la faire apparaître sous un meilleur jour, et avait réclamé la somme astronomique de 20 milliards de dollars de dommages et intérêts. La chaîne a été contrainte de publier les transcriptions intégrales de l'interview de Kamala Harris, après une injonction du régulateur de l'audiovisuel. 

L'émission a continué de diffuser des sujets critiques sur l'administration Trump. Mais son producteur, Bill Owens, a fini par quitter la chaîne en avril, déplorant des atteintes à son indépendance. Et en mai, la patronne de CBS News, Wendy McMahon, a remis sa démission. Wendy McMahon avait pris la défense de Bill Owens en soulignant notamment son "intégrité inébranlable" et son "engagement profond envers la vérité". Elle a évoqué dans un message interne des "derniers mois (...) compliqués".

En juillet, la maison mère de CBS, Paramount, a finalement déboursé 16 millions de dollars (13,6 millions d'euros) pour mettre un terme aux poursuites judiciaires trumpiennes. Cette somme a été versée à la future bibliothèque présidentielle. Le tout déjà sur fond de projet de fusion contesté entre Paramount et Skydance.

Une plainte à 15 milliards de dollars contre le "New York Times"

Donald Trump a annoncé, dans la nuit de lundi à mardi, des poursuites en diffamation contre le New York Times, en exigeant la somme astronomique de 15 milliards de dollars (12,7 milliards d'euros) de dommages et intérêts. Ce journal "a été autorisé à mentir, calomnier et me diffamer librement pendant beaucoup trop longtemps, et cela s'arrête, MAINTENANT!", a écrit le président américain sur sa plateforme Truth Social, ajoutant que l'affaire serait jugée en Floride. Dans la plainte de 85 pages qui vise le quotidien et quatre de ses journalistes, ainsi qu'une maison d'édition qui a publié les livres de deux d'entre eux, Donald Trump attaque un "livre désobligeant" sur l'origine de sa fortune et "trois articles faux, malveillants, diffamatoires et désobligeants".

L'action en justice annoncée par Donald Trump "est dénuée de fondement", a réagi le plus célèbre des quotidiens américains. "Elle ne repose sur aucune revendication juridique légitime et vise uniquement à museler et à décourager le journalisme indépendant", écrit le journal.

Le "Wall Street Journal" poursuivi après un article sur l'affaire Epstein

Depuis mi-juillet, Donald Trump réclame également au moins 10 milliards de dollars (8,5 milliards d'euros) dans sa plainte pour diffamation déposée contre deux journalistes du Wall Street Journal et son patron Rupert Murdoch, après la publication d'un article lui attribuant une lettre salace adressée au délinquant sexuel Jeffrey Epstein. Les auteurs "ont inventé cette histoire pour ternir la réputation et l'intégrité du président Trump, et le présenter de manière trompeuse sous un jour mensonger", est-il écrit dans la plainte. Le quotidien affirme que, pour un livre d'or destiné à Jeffrey Epstein en 2003 à l'occasion de son 50e anniversaire, sa compagne Ghislaine Maxwell avait sollicité plusieurs dizaines de ses proches, dont l'actuel président républicain, alors magnat de l'immobilier.

La lettre au nom de Donald Trump comporte plusieurs lignes de texte dactylographié entourées d'un croquis de femme nue avec sa signature évoquant une toison pubienne, selon le journal. La lettre, sur laquelle figure le dessin, a été publiée début septembre par des parlementaires démocrates, qui l'avaient obtenue en commission. La Maison Blanche nie toujours l'authenticité de la signature.

Un reporter d'Associated Press banni par la Maison Blanche

En février, la célèbre agence de presse américaine Associated Press avait perdu son accès au Bureau ovale et à l'avion présidentiel Air Force One. En cause : son refus de se conformer à la nouvelle appellation du golfe du Mexique, rebaptisé "golfe d'Amérique" depuis un décret signé par Donald Trump. "Il est alarmant que l'administration Trump punisse AP et l'indépendance de son journalisme", avait réagi Julie Pace, rédactrice en chef. La journaliste avait déjà dénoncé une "violation flagrante du Premier amendement" de la Constitution américaine, qui garantit la liberté de la presse et la liberté d'expression. La décision de l'administration Trump "entrave l'accès du public à une information indépendante et viole également le premier amendement" sur la liberté d'expression.

Donald Trump n'a pas hésité à qualifier ce pilier de la presse aux Etats-Unis d'"organisation de gauche radicale". Par la suite, en avril, un juge fédéral a obligé l'administration à rétablir l'accès de l'agence de presse. La Maison Blanche a ensuite annoncé de nouvelles règles, en regroupant notamment des journalistes des principales agences de presse, qui alternent sur des créneaux horaires dédiés.

Des coupes claires dans le financement des médias publics

Sous l'impulsion du président républicain, le Congrès a approuvé en juillet la suppression de 1,1 milliard de dollars (935 milliards d'euros) en financements déjà alloués pour les deux prochaines années à la Corporation for Public Broadcasting (CPB). Créé en 1967 par le président Lyndon Johnson, cet organisme finance une part minoritaire des budgets des radio et télévision nationales NPR et PBS. Mais aussi, et de manière plus importante, quelque 1 500 radios et télés locales partenaires qui diffusent une partie de leurs contenus, de New York à l'Alaska. La directrice de l'information de la radio publique américaine NPR avait annoncé son départ dans la foulée. L'administration cherche également à couper les dépenses au sein de l'audiovisuel public extérieur des Etats-Unis, avec ses radios Voice of America, Radio Free Asia et Radio Free Europe/Radio Liberty.

Plusieurs autres atteintes dénoncées par Reporters sans frontières 

Au mois d'avril, Reporters sans frontières (RSF) avait dénoncé une "attaque massive contre la liberté de la presse", qualifiée de "nouvelle norme" pendant les cent premiers jours de Donald Trump à la Maison Blanche. L'ONG rappelait notamment que "six enquêtes à motivation politique" avaient été lancées par Brendan Carr contre des entreprises de médias. Elle soulignait également que le président américain avait gracié 13 personnes accusées ou reconnues de crimes violents contre des journalistes lors de l'assaut au Capitole du 6 janvier 2021. Et que le président américain utilisait régulièrement son réseau Truth Social pour écrire des invectives et des insultes contre les journalistes jugés critiques de son action.

En 2024, les Etats-Unis ont chuté de la 45e à la 55e place dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF. Et le pays a encore perdu deux places dans le dernier classement. "Le président Donald Trump a été élu pour un second mandat, à l'issue d'une campagne au cours de laquelle il a quotidiennement dénigré la presse et menacé explicitement d'armer le gouvernement fédéral contre les médias."