"Il ne supporte aucune critique" : pour faire adopter sa "grande et belle loi" budgétaire, Donald Trump accroît la pression sur le Parti républicain

La "grande et belle loi" en passe d'être promulguée ? Après avoir été approuvé de justesse au Sénat, le mégaprojet de loi budgétaire de Donald Trump continue d'être examiné à Chambre des représentants jeudi 3 juillet. Le président des Etats-Unis espère faire adopter son "One big beautiful bill" à temps pour le signer vendredi, jour de la fête nationale américaine. Cette échéance du 4-Juillet ne correspond à aucun impératif économique, constate la chaîne MSNBC. Mais elle est symbolique : préférant gouverner à coups de décrets présidentiels, Donald Trump n'a fait voter aucune législation majeure lors de ses premiers mois de mandat. A l'approche de la fête nationale, le milliardaire a donc cherché à forcer le Congrès, contrôlé par le Parti républicain, à lui offrir ce premier succès politique dans un timing très serré.

Le défi n'est pas simple à relever. Le vote au Sénat s'est étalé sur plus de vingt-six heures, de lundi à mardi, le temps d'examiner les dizaines d'amendements déposés. A la Chambre des représentants, les débats ont été ralentis par les réticences de cinq membres du Parti républicain, reportant un potentiel vote à jeudi, relate The Washington Post.

Une loi qui "ne contente personne"

Car la "grande et belle loi" de Donald Trump s'est heurtée à un obstacle : rejetée par l'ensemble de l'opposition démocrate, elle ne fait pas non plus l'unanimité dans le camp du président. Le texte comprend une vaste série de mesures, comme la pérennisation des réductions d'impôts datant du premier mandat du milliardaire et devant expirer cette année, une forte hausse du budget alloué aux expulsions de migrants ou encore des coupes dans les aides aux énergies renouvelables ou les programmes sociaux.

"Medicaid – la couverture santé pour les foyers à faibles revenus –, l'aide alimentaire fédérale et les aides aux étudiants vont notamment être affectés", précise l'historien Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine. Problème : ce projet budgétaire "ne contente personne" chez les républicains, constate l'auteur des Mots de Trump (éd. Dalloz).

Des assistants parlementaires se reposent sur les marches du Capitole à Washington (Etats-Unis), le 1er juillet 2025, pendant un marathon de 26 heures de vote au Sénat. (AL DRAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Des assistants parlementaires se reposent sur les marches du Capitole à Washington (Etats-Unis), le 1er juillet 2025, pendant un marathon de 26 heures de vote au Sénat. (AL DRAGO / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Au sein du parti, le courant des conservateurs fiscaux est favorable aux baisses d'impôts, mais opposé à la hausse du déficit public et à l'augmentation de la dette fédérale", explique l'historienne Ludivine Gilli, spécialistes des Etats-Unis. Or, la loi devrait ajouter 3 300 milliards de dollars à la dette américaine d'ici à 2034, selon une évaluation parlementaire citée par The New York Times. De quoi pousser le sénateur républicain du Kentucky, Rand Paul, à voter contre. Deux autres conservateurs siégeant à la chambre haute du Congrés, Susan Collins et Thom Tillis, s'y sont opposés en raison des coupes dans les programmes sociaux.

"Qu'est-ce que je vais dire aux 663 000 personnes de mon Etat qui, dans deux ou trois ans, vont être exclus de Medicaid parce qu'il n'y a plus de financement ?"

Thom Tillis, sénateur de Caroline du Nord

lors d'un débat au Sénat

Les mêmes préoccupations existent à la Chambre des représentants, où des conservateurs élus dans Etats majoritairement démocrates s'inquiètent des coupes budgétaires ajoutées dans la version du Sénat. Mais ces réfractaires restent très minoritaires. "De rares élus expriment leurs réticences, mais ils évitent de critiquer directement Donald Trump, pointe Ludividine Gilli. On est loin d'une fronde contre le président, qui tient encore bien son parti, à la Chambre des représentants et comme au Sénat."

Menaces politiques et physiques

Et pour cause : ceux qui ont osé émettre des réserves, comme Thom Tillis, se sont attiré les foudres présidentielles. Sur son réseau Truth Social, Donald Trump a menacé de présenter un autre candidat face au sénateur de Caroline du Nord lors des primaires républicaines pour les élections de mi-mandat en 2026, rapporte Politico. Mercredi, le milliardaire a aussi reçu plusieurs représentants à la Maison Blanche pour les convaincre de voter sa loi.

Le sénateur républicain Thom Tillis répond aux questions des médias, le 30 juin 2025, à Washington (Etats-Unis). (ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Le sénateur républicain Thom Tillis répond aux questions des médias, le 30 juin 2025, à Washington (Etats-Unis). (ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Ce n'est pas la première fois que le milliardaire fait pression sur des membres du Parti républicain pour étouffer toute contestation interne. "Donald Trump ne supporte aucune critique : quiconque s'y risque peut devenir son ennemi potentiel", décrypte Jérôme Viala-Gaudefroy. "Il a recours à des vexations, comme désinviter Rand Paul du pique-nique des membres du Congrès à la Maison Blanche, pour rappeler aux élus qu'il a le pouvoir de leur empoisonner la vie", confirme Ludivine Gilli. Ou de mettre un terme à leur carrière politique. S'aliéner le milliardaire et ses 35% d'électeurs les plus fidèles est un risque que peu de républicains sortants sont prêts à prendre. "Ils savent qu'ils risquent de perdre si un candidat plus trumpiste se présente face à eux aux primaires", éclaire Jérôme Viala-Gaudefroy.

"Face à cette possibilité, les républicains n'ont que trois choix : voter dans le sens souhaité par Donald Trump, persister au risque de perdre [aux primaires], ou se retirer."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

La pression n'est pas seulement politique. "Ceux qui critiquent Donald Trump sont visés par des menaces de mort", souligne Jérôme Viala-Gaudefroy. "Au moment du vote pour la confirmation du ministre de la Défense Pete Hegseth, Thom Tillis avait été informé par le FBI de risques crédibles pour sa sécurité et celle de sa famille", illustre Ludivine Gilli. Des intimidations prises encore plus au sérieux depuis l'assassinat d'une élue locale du Parti démocrate et de son mari, mi-juin, dans le Minnesota. Exposé à cette double menace politique et physique, Thom Tillis a annoncé dimanche qu'il ne se représenterait pas lors des élections de mi-mandat en Caroline du Nord.

L'opposition peut-elle en profiter ?

Pour Donald Trump, le désistement des rares républicains qui osent encore lui tenir tête est une bonne nouvelle. "Il est probable qu'un candidat Maga [pour Make America Great Again, le slogan trumpiste] leur succède à l'issue des primaires", estime Ludivine Gilli. Mais cette "purge" au sein du camp conservateur, désormais totalement acquis au milliardaire, "est potentiellement une chance inespérée pour les démocrates", avance l'historienne. Dans les circonscriptions remportées de justesse par les républicains lors des dernières législatives, "il sera plus facile pour l'opposition de battre un candidat Maga qu'un élu comme Thom Tillis, moins radical", juge la spécialiste.

A un peu plus d'un an des élections de mi-mandat, qui avantagent généralement l'opposition, les démocrates ont "des chances de reprendre la majorité à la Chambre des représentants", assure Jérôme Viala-Gaudefroy. La tâche est plus complexe au Sénat, dont un tiers des sièges seront renouvelés en 2026. "La carte [électorale] est défavorable aux démocrates, mais dans les Etats clés, l'absence d'élus comme Thom Tillis pourrait faire la différence."

"Sans ces élus plus modérés, la très courte majorité républicaine au Sénat pourrait s'effriter. Les démocrates n'ont besoin que de trois sièges."

Jérôme Viala-Gaudefroy, historien

à franceinfo

L'adoption de la "grande et belle loi" pourrait, elle aussi, faire la différence. "Ce ne sont pas forcément les plus riches qui ont voté pour Donald Trump, et les coupes dans Medicaid et l'aide alimentaire auront des conséquences" sur les chances du Parti républicain en 2026, estime Jérôme Viala-Gaudefroy.

D'autant plus que le projet budgétaire est déjà impopulaire. Selon un sondage réalisé fin juin, seuls 29% des Américains sont favorables au texte, rapporte la chaîne ABC"Toutes ces coupes, ce recul sur la santé, pour accorder aux plus riches de notre pays une part disproportionnée des réductions d'impôts, ça ne semble pas juste", a martelé dimanche le sénateur démocrate Mark Warner, invité de CNN. Selon lui, si l'opposition parvient à "faire passer ce message" aux électeurs, la "grande et belle loi" de Donald Trump pourrait bien "devenir un boulet politique" aux pieds des républicains.