Droits de douane : accusée par Trump « d’alimenter la machine de guerre » russe, l’Inde écrasée par des taxes à 50 %
Même aux côtés de Xi Jinping et Vladimir Poutine, il sera le plus remarqué. Ce dernier week-end d’août, le Premier ministre indien, Narendra Modi, se rendra au sommet annuel de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), à Tianjin, l’une des plus importantes villes portuaires au monde. C’est la première fois en sept ans que le nationaliste se rend en terres chinoises.
Les deux événements n’ont peut-être rien à voir, mais il est difficile de ne pas relier ce pas de côté aux taxes états-uniennes qui frappent les exportations indiennes depuis le 27 août. Donald Trump, après avoir promis 26 % de tarifs douaniers à New Delhi lors du « jour de la libération » le 2 avril dernier, en était finalement arrivé à 25 %, ce que semblait tolérer le gouvernement indien.
Jusqu’à ce décret signé le 6 août par le président états-unien qui impose 25 % de taxes supplémentaires. Une « sanction » pour l’Inde, accusée « d’alimenter la machine de guerre » russe en lui achetant des hydrocarbures. « Je me fiche de ce que l’Inde fait avec la Russie, ajoutait Trump sur les réseaux sociaux. Ils peuvent bien couler leurs économies moribondes ensemble, ça m’est égal. »
L’administration Trump, qui veut un cessez-le-feu en Ukraine, est même allée jusqu’à parler de « la guerre de Modi » par la voix de son conseiller au commerce, Peter Navarro, « parce que la route vers la paix passe en partie par New Delhi ».
Effectivement, Moscou fournit entre 18 et 20 % du pétrole indien, ainsi qu’un peu de gaz. « Face aux risques de sanctions, le gouvernement avait diminué ses importations d’hydrocarbures russes, observe l’ancien ambassadeur de France en Russie Jean de Gliniasty. Malgré tout, les États-Unis ont acté une nouvelle hausse des droits de douane. Pour des raisons nationalistes, les autorités indiennes refusent de céder, en tout cas en parole, aux menaces américaines. »
« Les travailleurs de certains secteurs seront vraiment exposés »
Washington est pourtant le premier client de New Delhi, dont les exportations sont vitales pour maintenir la forte croissance du pays le plus peuplé – et inégalitaire – du monde. « D’un point de vue macroéconomique, ce ne sera pas si dévastateur, mais les travailleurs de certains secteurs seront vraiment exposés, comme le textile, la bijouterie, l’ingénierie et d’autres », pondère C. P. Chandrasekhar, professeur émérite au Centre d’études économiques et de planification de l’université Jawaharlal Nehru.
De nombreuses exceptions échappent en effet à ces 50 % qui devraient toucher à divers degrés environ deux tiers des biens indiens. « Et, continue l’économiste, ces dommages ne seront pas aussi forts que dans d’autres pays, puisque l’Inde demeure une grande puissance et une destination privilégiée pour les investissements. »
Le suprémaciste hindou Narendra Modi n’a pas attendu mercredi pour s’exprimer. Lors de son discours à la nation pour l’anniversaire de l’indépendance, le 15 août, devant le fort Rouge, il a promis « d’alléger le fardeau fiscal du citoyen ordinaire ». Pas encore de riposter avec d’autres taxes.
Après plusieurs mois infructueux de négociations, un tournant s’opère donc dans la relation entre les deux puissances alliées. Ces dernières décennies, aider l’Inde à émerger était l’une des tactiques des États-Unis pour freiner la croissance de la Chine en Asie.
« Cependant, l’imprévisibilité et le mépris de Donald Trump pourraient mettre la pression à l’Inde pour qu’elle change de stratégie économique, affirme C. P. Chandrasekhar. Par exemple, elle pourrait se concentrer sur le marché intérieur, ou diversifier ses exportations. »
Cela nécessiterait tout de même un changement complet des « Modinomics », les politiques économiques de Narendra Modi. Ultralibérales, ces dernières sont fondées sur des privatisations, un désintérêt des services publics, de la recherche et de l’innovation et le soutien inconditionnel à des capitalistes indiens tels que Mukesh Ambani et Gautam Adani, deux des hommes les plus riches d’Asie.
L’alliance du tigre et du dragon ?
Une autre piste qui paraissait longtemps infranchissable pourrait se dessiner par-delà l’Himalaya. « Pire que la résistance du gouvernement, la diplomatie américaine assiste à un rapprochement entre l’Inde et la Chine qui est opéré à la suite des menaces de sanctions », explique Jean de Gliniasty.
Les puissants voisins que sont le tigre et le dragon pourraient alors tenter d’oublier leur adversité lors du prochain sommet de l’OCS. « Avec la Chine, les relations ont longtemps été complètement gelées, admet C. P. Chandrasekhar. Mais ces derniers mois, le dialogue reprend sur le plan militaire, sur la reprise des vols, des visas commerciaux, la fin des restrictions sur les échanges sino-indiens… C’est en cours. »
Les vols directs entre Pékin et Delhi sont inexistants depuis la crise sanitaire de 2020. Mais depuis quelques semaines, les autorités des deux pays réouvrent petit à petit la liaison qui pourrait amener à une explosion du nombre de passagers entre les deux nations les plus peuplées du globe.
En octobre 2024, elles signaient un accord inattendu sur leur frontière commune, émaillée d’affrontements entre les deux armées. Et la prochaine rencontre entre Xi Jinping et Narendra Modi (ainsi que Vladimir Poutine) pourrait bien relancer leurs échanges économiques, même si les deux pays sont très tournés vers l’exportation.
« Tout dépendra des bénéfices que pourra tirer l’Inde de la Chine en termes de balance commerciale, prédit C. P. Chandrasekhar. Il faudra que les échanges augmentent sans que le déficit commercial indien ne se creuse trop. Un tel réalignement commercial pousserait aussi l’Inde à repenser sa position diplomatique, sur Gaza et ses relations avec Israël par exemple. »
Première importatrice d’armes israéliennes, l’Inde, qui prône officiellement le « multilatéralisme », s’aligne largement sur les positions des États-Unis. « Cela peut tout à fait changer si l’on ne tire plus de bénéfices de Washington », continue l’économiste. New Delhi s’ancrerait alors encore plus au pays du Sud global, qui, malgré l’hétérogénéité de ses dirigeants, est de plus en plus puissant et structuré.
À Tianjin, il n’y aura pas que les 10 pays membres de l’OCS, créée en 2021 par la Chine et la Russie. Quinze autres nations seront présentes, dont des invités de poids tels que le Vietnam, la Turquie, l’Indonésie ou encore l’Égypte, membre des Brics + depuis l’année dernière.
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