Budget 2026 : pour préparer la guerre, Bayrou bombarde… les fonctionnaires
« Stop à la dette » et « en avant la production ! », les formules creuses employées par François Bayrou mardi 15 juillet pour exposer les deux volets de son plan de bataille visant à dénicher 43,8 milliards d’euros d’économies en 2026, faire passer le déficit de 5,4 % du PIB en 2025 à 4,6 % l’année prochaine et contribuer dans le même temps à armer le pays en vue d’une guerre hypothétique, prêteraient à sourire si elles n’étaient aussi lourdes de conséquences en termes de casse sociale.
À commencer pour les agents de la fonction publique d’État (exception faite du ministère de la Défense), sommés de « montrer l’exemple ». Comment ? Les propositions servies au premier ministre par les sénateurs de droite et du centre la semaine dernière, condensé de toutes les lubies ultralibérales, n’étant pas tombées dans l’oreille d’un sourd, les attaques visent à la fois les effectifs de la fonction publique et la rémunération de son personnel.
Le tout asséné dans un flou déroutant quant aux répercussions concrètes sur les 2,5 millions d’agents concernés, sur les ministères et les services publics, déjà aux abois au fil de plans sociaux déguisés, comme le rappelle l’ensemble des représentants syndicaux contactés, tous atterrés par ces mesures jugées aussi délétères que hors-sol.
Un départ à la retraite sur trois non remplacé
Bayrou appelle ça le « contrôle de la masse salariale de l’État », reprenant à son compte la formule glissée dans le rapport remis par le président LR de la Chambre haute Gérard Larcher. Concrètement, 3 000 postes de fonctionnaires seront supprimés dès l’année prochaine (les emplois d’élèves professeurs créés dans le cadre de la réforme de la formation des enseignants sont exemptés), auxquels s’ajoutent entre 1 000 et 1 500 emplois détruits parmi les opérateurs et agences de l’État. Une sorte de mise en bouche avant de sortir l’artillerie lourde puisque, à partir de 2027, un agent sur trois partant à la retraite ne sera pas remplacé.
Ce n’est pas un fonctionnaire sur deux, comme l’avaient préconisé les sénateurs de droite, mais l’esprit de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en place par Nicolas Sarkozy à partir de 2007 est bien là. Avec les effets que l’on connaît : « La décision de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux a conduit à la suppression de 85 000 postes (et) n’a rapporté au final, que 3 à 4 milliards d’euros par an. Sans pour autant résorber le déficit public », rappelle Natacha Pommet, secrétaire générale de la fédération CGT des services publics.
Christian Grolier, secrétaire général de la Fédération générale des fonctionnaires à Force ouvrière, a fait le calcul : « Si on se base sur le dernier rapport annuel de la direction générale de 2024, il y a eu 70 000 départs à la retraite, sur l’année 2022. Donc, si on ne remplace pas un agent sur 3, ce ne seront pas 3 000 emplois en moins, mais 24 000 postes à supprimer, dès 2027. » Un chiffre qui ne fera que s’amplifier les années passant, pointe le syndicaliste, au vu de la pyramide des âges très vieillissante dans la fonction publique.
« Le retour du rabot »
« Je ne vois même pas comment c’est possible. C’est vraiment le retour du rabot », s’émeut, le ton accablé, Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT fonction publique. Pour Stanislas Gaudon, président de la fédération des services publics de la CFE-CGC, « on est en train de donner un coup d’accélérateur à la dégradation des conditions de travail, car aujourd’hui, personne ne peut dire que dans les ministères, il y a pléthore d’effectifs. » Pour le syndicaliste, l’impact concret est prévisible : « Si on ne remplace pas des agents, cela veut dire moins de postes. Et s’il y a des baisses de postes, ça veut dire une surcharge de travail pour ceux qui restent. »
D’autant que ces mesures viennent se greffer sur une situation où « on est déjà à l’os », souligne Bruno Leveder, le secrétaire national de la FSU en charge de la fonction publique. Nombre de ministères ont en effet déjà fait les frais au cours des dernières années de plans sociaux déguisés, qui se traduisent notamment par des non-remplacements de contractuels et de vacataires, variables d’ajustement commodes, comme cela a été le cas notamment l’an dernier au ministère du Travail, dans le sillage des premières restrictions budgétaires décidées par Bercy, en avril 2024.
Au ministère des Finances, frappé récemment par une vague de suicides d’agents sur leur lieu de travail, plus de 30 000 emplois ont été supprimés entre 2008 à 2024, représentant un quart des effectifs totaux de la Direction générale des finances publiques (DGFiP), auxquels s’ajoute la perte de 550 postes prévue dans le budget 2025.
Les conséquences de ces suppressions de postes sur l’Education nationale soulèvent aussi les plus grandes inquiétudes parmi les syndicats, qui s’interrogent sur la contribution du ministère aux 43,8 milliards d’euros d’économies – les 700 000 professeurs de l’enseignement public représentant à eux seuls environ 30 % de la fonction publique d’État.
Interrogée par Le Monde, Caroline Chevé, secrétaire générale de la FSU, dresse ce constat : « Concrètement, cela se traduira par une augmentation du nombre de classes par enseignants et du nombre d’élèves par classe », ainsi que par une « augmentation du recrutement de contractuels » qui « impactera l’accompagnement des élèves ». Sans compter les effets sur l’attractivité, alors que la multiplication d’année en année de classes sans enseignants s’est désormais imposée comme une normalité.
Année blanche
L’annonce, par ailleurs, d’une nouvelle année blanche, la troisième après deux ans de gel salarial, ne sera sans doute pas plus de nature à attirer des candidats aux concours de la fonction publique. Le point d’indice, qui s’élève à un peu moins de 5 euros selon les syndicats, n’a connu, malgré l’inflation, « qu’un petit coup de pouce en 2023 » – soit une augmentation d’1,5 %.
Les propos de Bayrou se vantant de ne pas baisser les salaires des fonctionnaires, ont dès lors fait bondir Mylène Jacquot : « On nous explique qu’il n’y aura « pas de baisse ». Ça veut dire quoi, pas de baisse ? Il faudrait qu’on soit content ? » La syndicaliste décrypte la réalité derrière l’enfumage du premier ministre : « Pas de baisse, en fait, ça veut dire pas de hausse. Et pas de hausse, c’est une baisse ! »
Car, selon la syndicaliste, l’absence de mesure générale face à l’inflation très élevée des années 2022-2023 et 2023-2024, a déjà abouti à des pertes de pouvoir d’achat pour les agents publics, qui ont par ailleurs dû renoncer à la Gipa (Garantie individuelle de pouvoir d’achat) depuis l’année dernière, une prime justement destinée à amortir les effets de l’inflation.
Absence d’expertise et de projection de Bercy
« Et cette situation-là, on nous promet en plus qu’elle va durer ! », s’enflamme Mylène Jacquot, tandis que son homologue de la FSU estime « qu’on va droit dans le mur ». « Les experts déployés autour de ce projet en ont-ils même conscience ? », interroge pour sa part Stanislas Gaudon, qui confie sa perplexité face à « l’absence d’expertise, de projection et de précision de Bercy », telle qu’elle est apparue lors de cette conférence de presse. À l’unisson, son homologue de la CFDT déplore qu’à aucun moment ne s’est posée « la question des politiques publiques à mettre en œuvre ».
Les rencontres bilatérales prévues entre les syndicats et le ministre de la Fonction publique Laurent Marcangeli, destinées à mettre en musique les annonces de Bayrou, promettent en tout cas d’être animées, à défaut de convaincre sur le réalisme de ces mesures, dont la concrétisation dépend des débats parlementaires de l’automne.
Avant de partir, une dernière chose…
Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :
- nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
- nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.
L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.
Je veux en savoir plus