REPORTAGE. Guerre en Ukraine : trois ans après le début de l'invasion russe, les habitants proches du front divisés sur la poursuite des combats
En plein rapprochement entre les États-Unis et la Russie au sujet de l'Ukraine, qu'en pensent les premiers concernés ? Alors que Donald Trump s'en prend ouvertement à Volodymyr Zelensky, qu'il a qualifié de "dictateur", le président ukrainien rencontre, jeudi 20 février, l'émissaire américain Keith Kellogg, à Kiev.
Mais loin de Kiev, près du front, comment les civils vivent-ils ces soubresauts diplomatiques ? Et cette perspective de cessez-le-feu, que Donald Trump semble vouloir négocier seul avec Vladimir Poutine ? Reportage dans le sud-est de l'Ukraine, à la rencontre de ces habitants.
À 12 kilomètres du front, tout près de Pokrovsk, Oleksandr rentre du travail, à vélo, peu avant la tombée de la nuit, dans ses habits d'ouvrier, entre l'usine de métallurgie et sa petite maison. "Ça va ! Rien de trop difficile", assure l'homme de 59 ans mais qui paraît en avoir 15 de plus. Il croit encore dur comme fer à une victoire militaire : "Nous avons confiance en notre armée, les Forces armées ukrainiennes ne vont pas se rendre et abandonner Pokrovsk. Si on n’y croyait pas, alors on partirait d'ici."
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Il commence à évoquer aussi ce qu'il pense des négociations entre Moscou et Washington, quand le son d'un drone devient perceptible. Il tombe non loin de là, de quoi sursauter mais ce n'est pas le cas d'Oleksandr, qui continue de trouver cela normal. "Il ne faut pas arrêter la guerre. On va encore tous se faire avoir par Poutine, et par Trump ! On ne peut pas arrêter la guerre, on a déjà fait ça en 2014 et voilà ce que ça a donné !", dit-il en référence à l'annexion de la Crimée en 2014. "Poutine a besoin d'une pause, pour reprendre des forces", veut croire Oleksandr
"On ne peut pas arrêter, on ne peut pas laisser tomber nos territoires."
Oleksandr, habitant de la région de Pokrovskà franceinfo
Il explique s'être présenté trois fois au centre de recrutement de l'armée. Mais âgé de 59 ans, il n'est pas pris. "Ils veulent des jeunes en bonne santé, selon lui. Pourquoi appeler des jeunes de 18 ans ? Ce sont des enfants. Nous devrions enrôler des adultes." Oleksandr fait partie de ceux qui s'accrochent à l'idée de tout récupérer, de revenir aux frontières de 1991. "La guerre a commencé en Crimée, dit-il, elle doit finir là-bas."
"Il faut que tout cela s'arrête !"
Mais tous les Ukrainiens ne sont pas d'accord. Un peu plus au sud-ouest, près d'Orikhiv, la neige, ce jour-là, brouille l'horizon et éloigne le danger des drones. Pacha a 58 ans et une petite épicerie dans le village de Tavriiske, à 15 km des combats. "Chaque jour, tu ne sais pas où ça va tomber, ni ce que ce sera ! Une bombe d'aviation guidée ou un autre projectile… Les gens ont tous très peur. Ils sont à bout, ça en devient hystérique. Tout est tellement tendu."
Avant, 3 000 habitants vivaient là. Les familles avec enfants, surtout, sont parties. Et l'an dernier, le magasin de Pacha a été détruit, une nuit, par l'un de ces bombardements. Il l'a réinstallé, juste devant, dans un genre de conteneur. "Nous, nous sommes des gens simples, vous savez, explique-t-il. Il faut juste que tout ça s'arrête. Tant pis, si cela veut dire figer les positions actuelles sur le front. Ce qu'il faut, c'est que l'on puisse prendre des décisions politiques pacifiquement, sans le son des obus et des frappes. Après, malheureusement, ces décisions ne dépendent pas de nous. En ce moment on nous propose de mettre en jeu nos terres rares. Peu importe, mais que tout s'arrête !"
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Dans son épicerie, on trouve du poisson séché, des barres chocolatées, du café… Tetiana, la vendeuse, a 60 ans et un fils porté disparu dans la région de Kharkiv. Prisonnier ou mort, elle ne sait pas ce qu'il est devenu. Tetiana, elle aussi, est prête à abandonner aux Russes une partie du pays : "Je pense qu'un mètre de terre ne vaut pas une vie humaine. Des millions de personnes se sont retrouvées sans maison, sans leurs biens. Des parents sans enfants, des enfants sans parents, des couples brisés. L'Ukraine a déjà beaucoup trop souffert à cause de cette guerre."
Tetiana réclame donc la seule option possible, à ses yeux : "Il faut enfermer dans une pièce les deux présidents, Zelensky et Poutine, jusqu'à ce qu'ils trouvent une forme de compromis !" Mais Pacha suit de près les derniers rapprochements entre Vladimir Poutine et Donald Trump. "J'ai l'impression que Trump veut renverser la table, estime-t-il, mais ça n'est pas comme ça qu'on fait ! Nous les Ukrainiens, ça fait trois ans qu'on est en guerre, ce n'est pas pour que quelqu'un comme lui nous parque comme du bétail, aujourd'hui. Pour lui, en finir avec cette guerre, oui, mais se faire complètement avoir, non. Pacha conclut : "On ne nous mettra pas à genoux."