Guerre en Ukraine : trois questions sur les garanties de sécurité, au cœur des discussions entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky à Washington
C'est l'une des rares avancées apparentes du bref sommet d'Anchorage, entre Donald Trump et Vladimir Poutine, vendredi 15 août en Alaska. Le président américain et son homologue russe se sont accordés sur "des garanties de sécurité solides pour l'Ukraine", s'est félicité, dimanche, l'émissaire américain Steve Witkoff, sur CNN. Le chef d'Etat ukrainien réclame de longue date de telles assurances de la part des Occidentaux, en premier lieu son adhésion à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan).
Le contenu et la mise en œuvre de ces garanties restent néanmoins sujets à caution, et seront au cœur des discussions entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et les dirigeants européens réunis lundi à Washington. Vous n'avez pas tout compris ? Franceinfo vous explique de quoi il s'agit.
1 Quelles sont les garanties de sécurité évoquées ?
Lors de la rencontre en Alaska, "nous avons pu obtenir la concession suivante : que les Etats-Unis puissent offrir" à l'Ukraine "une protection similaire à l'article 5" du traité de l'Otan, a expliqué Steve Witkoff. Epine dorsale de l'Otan, l'article 5 stipule que toute attaque contre un des pays membres de l'alliance est considérée comme une attaque contre tous. Chaque Etat doit prendre "aussitôt (...) telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée". Il n'y a donc pas d'automaticité de l'engagement militaire direct. Et la réponse peut par exemple prendre la forme d'un soutien logistique ou de la fourniture de matériel militaire.
Une garantie inspirée de l'article 5 permettrait donc, en théorie, d'offrir à l'Ukraine un "soutien de tous ses partenaires, y compris des Etats-Unis, (...) dans le cas où elle serait attaquée à nouveau", a détaillé la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, qui a participé à un appel entre Donald Trump, Volodymyr Zelensky et plusieurs dirigeants européens après le sommet d'Anchorage. Cette solution offrirait l'avantage de ne pas consister en une adhésion formelle à l'Otan, considérée par Moscou comme une menace existentielle à sa sûreté, et rejetée par Donald Trump dès février.
2 A quoi pourraient ressembler ces garanties ?
Le plus grand flou demeure à ce sujet, entre improbable promesse d'engagement militaire direct en cas de reprise des hostilités par la Russie et simple soutien matériel et financier au profit de Kiev – que les Occidentaux apportent déjà depuis l'invasion russe de l'Ukraine en 2022. En mars, devant le Sénat italien, Giorgia Meloni avait insisté sur le fait qu'une réponse des alliés de Kiev en cas d'attaque n'impliquerait pas forcément d'entrer en guerre contre la Russie.
De son côté, Volodymyr Zelensky a salué dimanche sur X l'annonce de ces garanties, estimant qu'elles devaient être "très pratiques", citant notamment "une protection au sol et dans les airs, en mer". Le dirigeant ukrainien demande aussi à ce qu'elles soient mises en place "avec la participation de l'Europe".
La "Coalition des volontaires" d'une trentaine de pays, principalement européens, emmenés par Paris et Londres, se dit prête à soutenir l'Ukraine pour prévenir une reprise des hostilités. Un déploiement terrestre en Ukraine de "quelques milliers d'hommes" est même envisagé, selon Emmanuel Macron. "Ces forces-là n'ont pas vocation à tenir une ligne de front ni à être engagées sur un conflit chaud, mais à signer une solidarité d'un point de vue stratégique", a-t-il expliqué dimanche.
Chercheuse à la fondation Carnegie Europe, Rym Momtaz appelle toutefois auprès de l'AFP à "ne pas surestimer l'unité européenne" autour de ce plan. La France, le Royaume-Uni ou encore les pays baltes ont manifesté leur disponibilité ces derniers mois. Mais "ceux qui ont les gros bataillons au sol en Europe ne veulent pas y aller, Varsovie et Berlin pour l'instant disent non", observe le chercheur indépendant Stéphane Audrand auprès de l'AFP.
Nombre de pays européens exigent l'existence d'un "filet de sécurité" (backstop) américain comme condition à tout engagement de leur part. Hormis les Français, "il n'y a pas grand monde au sein de l'Alliance [atlantique] qui sait penser une action militaire sans les Américains, même pas les Britanniques", justifie Stéphane Audrand. L'un des enjeux de la rencontre, lundi, entre le président ukrainien, son homologue américain et les dirigeants européens est donc de savoir "jusqu'à quel point" les Etats-Unis se joindront aux garanties de sécurité offertes à Kiev, a souligné Emmanuel Macron.
3 Quelle pourrait être leur efficacité réelle ?
Les garanties de sécurité sont présentées comme un moyen d'empêcher une reprise du conflit. Les accords de Minsk conclus entre l'Ukraine et la Russie en 2014 et 2015 en étaient dépourvus. Mais leur existence n'offre pas de certitude : la Russie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni s'étaient formellement engagés à Budapest en 1994 à respecter l'intégrité territoriale de l'Ukraine, en échange de son renoncement à l'arme nucléaire. Ça n'a "pas marché", n'a pas manqué de rappeler Volodymyr Zelensky en arrivant à Washington. "Garantir la sécurité d'un pays signifie, à la fin des fins, une seule et unique chose : être prêt à se battre le cas échéant pour le sauver, selon Stéphane Audrand. Et c'est ce qui coince pour les Européens."
Pour le spécialiste de la Russie Dimitri Minic, "Moscou n'acceptera aucune garantie de sécurité solide pour l'Ukraine", que "Washington n'est de toute façon pas prêt à donner". "Pour Donald Trump, l'Ukraine, c'est un problème d'Européens, il ne veut pas investir du temps, de l'argent sur ce dossier", expliquait sur franceinfo Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur de France en Russie. Au bout du compte, "il n'y a pas de garantie crédible pour la sécurité de l'Ukraine en dehors de l'Otan", estime Janis Kluge, chercheur au centre allemand SWP, sur X. Et de prévenir : "Poutine n'acceptera jamais aucune issue à la guerre qui laisse l'Ukraine libre et fonctionnelle. (...) Si Poutine semble accepter cela, c'est un piège."
Si la proposition faite à l'Ukraine était prise "au pied de la lettre, elle pourrait fournir l'ingrédient essentiel à un accord de paix durable que les puissances européennes réclament", estime auprès de l'AFP Keir Giles, chercheur au sein du groupe de réflexion britannique Chatham House, qui juge cette idée "intrigante". Mais sans plus de détails, "il est impossible de dire pour l'instant s'il s'agit d'une contribution significative à un accord de paix ou d'une nouvelle formulation potentiellement trompeuse qui pourrait donner l'apparence d'une garantie de sécurité alors qu'elle n'offrirait en réalité aucune protection contre la Russie", a-t-il averti.