Accord UE-Mercosur : pourquoi la France assouplit-elle son discours ?

La France met de l'eau dans son vin. Alors que les commissaires européens ont validé, mercredi 3 septembre, le texte de l'accord controversé entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, le gouvernement français estime que la Commission européenne a "entendu les grandes réserves" de Paris en incluant des mesures de protection pour certaines filières, a déclaré la porte-parole de l'exécutif, Sophie Primas. 

Cela constitue "un élément nouveau, qui montre que la Commission a dû tenir compte des intérêts des agriculteurs français et européens", a salué la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard. "Cela va dans le bon sens", a réagi sur X Laurent Saint-Martin, le ministre chargé du Commerce extérieur. Un changement de ton par rapport à la ferme opposition affichée jusqu'alors. Voici pourquoi la France a infléchi sa position.

Parce que la Commission européenne a ajouté à l'accord des mécanismes de protection

Face aux critiques de plusieurs pays de l'UE, dont la France en première ligne, Bruxelles s'est efforcé d'ouvrir le dialogue et de négocier pour tenter de rassurer le gouvernement français. "Nous avons entendu les agriculteurs", a déclaré Maros Sefcovic, commissaire européen chargé du Commerce, martelant que le texte signé entre l'UE et les pays du Mercosur était "le plus grand accord commercial jamais conclu" et "sans doute l'accord qui a fait l'objet des plus longues négociations".

"L'accord est tel qu'il a été adopté à Montevideo", en Uruguay, en décembre 2024, a rappelé Maros Sefcovic, soulignant qu'il avait simplement fait l'objet d'ajouts de clauses de sauvegarde. Concrètement, ces mécanismes pourront être activés si "l'augmentation des importations en provenance du Mercosur cause – ou menace de causer – un préjudice grave aux secteurs concernés de l'UE", écrit la Commission dans un communiqué.

La France s'attache maintenant à les "analyser" pour en vérifier la solidité, a déclaré la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas. Deux points importants sont scrutés par Paris, selon elle. Il faut notamment qu'un mécanisme "puisse être actionné par un seul pays et non pas plusieurs" et puisse "s'appliquer de façon temporaire avant décision définitive", a-t-elle détaillé. Combien de temps faut-il aux juristes des ministères français pour examiner ces mesures ? "Ça prendra le temps qu'il faut pour bien analyser et s'assurer que les mesures sont assez robustes", a expliqué à franceinfo l'entourage de Laurent Saint-Martin, sans donner d'échéance.

En attendant les vérifications de l'exécutif français, les annonces de Bruxelles n'ont pas convaincu les opposants. "En validant en l'état, malgré la promesse de mesures de sauvegarde, la Commission tourne le dos à son agriculture", a réagi dans un communiqué la FNSEA, premier syndicat agricole de France. "On se sent trahis", a déclaré à franceinfo Véronique Le Floc'h, la présidente de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français. De son côté, la Confédération paysanne a dénoncé sur franceinfo "des rustines pour boucher les trous d'un système qui est structurellement défaillant"

Parce que la France peine à mobiliser une minorité de blocage

Avant de se prononcer sur son éventuel feu vert, le gouvernement français dit rester sur ses gardes. "Si jamais la copie finale ne répond pas à nos exigences, alors pas de raison de changer de stratégie et de position", explique l'entourage du ministre chargé du Commerce extérieur. En effet, la France affirme qu'elle n'a pas encore abandonné sa tentative de former une minorité de blocage pour essayer de faire barrage au texte. "Cela ne change pas", tranche l'entourage de la ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.

Pour constituer cette minorité de blocage, la France doit s'entendre avec trois autres pays qui représenteraient avec elle plus de 35% de la population de l’Union européenne. Cela signifie que pour faire trébucher le texte, la France et ses alliés devraient représenter au moins 157,86 millions d'Européens.

Mais la détermination française peine à trouver de l'écho. "Je n'y croyais pas beaucoup dès le départ parce que l'Italie n'allait pas s'opposer à l'Argentine : Georgia Meloni [présidente d'extrême droite du Conseil italien] n'allait pas tourner le dos à Javier Milei [le président d'extrême droite de l'Argentine]", remarque auprès de franceinfo Elvire Fabry, chercheuse et spécialiste du commerce à l'Institut Jacques-Delors. Pour la Pologne, qui avait exprimé ses doutes et était sollicitée par la France pour s'opposer au texte, "c'est moins le Mercosur que le dossier de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne qui l'inquiète et sur lequel Donald Tusk [le Premier ministre polonais] cherche à avoir des gages". Or, sans l'Italie et sans la Pologne, il s'avère presque impossible pour la France de former cette minorité de blocage.

Parce que Paris cherche de nouveaux débouchés pour ses produits

Surtout, la France et les pays européens font face à un "changement complet de contexte international, qui a beaucoup d'impact sur la façon dont cet accord est considéré", souligne Elvire Fabry. Elle fait notamment allusion aux droits de douane imposés par Donald Trump, qui vont affecter des filières importantes pour le commerce français comme les vins et spiritueux et les produits laitiers.

La nouvelle donne internationale "ne fait que valoriser" le traité commercial, selon la spécialiste. Elle remarque que les pays du Mercosur (l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et la Bolivie) "représentent quasiment un sous-continent sud-américain avec lequel l'UE passe un accord". Parmi eux, le Brésil et ses 212 millions d'habitants constituent un marché au potentiel immense. D'un point de vue stratégique, l'accès au Brésil est aussi capital car "c'est un pays dans lequel Chine a beaucoup investi au niveau des échanges commerciaux, et l'on voit les incidences sur le rapprochement géopolitique entre le Brésil et la Chine", explique encore Elvire Fabry. Des enjeux qui dépassent le seul cas de la France. C'est une "étape stratégique pour asseoir l'influence mondiale de l'Europe", a fait valoir Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, mercredi.

En France, l'opposition majeure à l'accord UE-Mercosur "s'est formée dans un contexte de politique interne à la veille de l'élection des chambres agricoles", relève également Elvire Fabry. Le timing a pu, de façon temporaire, accentuer certaines postures, d'après elle. En effet, elle dit avoir constaté "une évolution des débats au printemps". "Plus nous rentrions dans les détails de l'accord, plus les acteurs voyaient bien qu'il s'agissait d'un accord majeur qui méritait un débat pondéré et renseigné", relate la spécialiste, situant ce tournant lors des Assises du commerce extérieur, en mars dernier, qui ont rassemblé les représentants des grandes filières.

Face aux droits de douane américains et à la menace de nouvelles taxes chinoises, le gouvernement français, d'après Elvire Fabry, cherche de nouveaux débouchés pour les produits tricolores : les pays du Mercosur en font partie.