« Toi, je t’aurais bien pété les jambes (…). La prochaine fois qu’on vient, tu monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu’on appelle ambulance pour aller à l’hôpital », « Tu la fermes ou t’en veux une autre ». Des menaces, insultes, remarques humiliantes à caractère sexuel, bruits de coups, visant Souleyman Adoum Souleyman, le seul homme noir parmi les sept personnes arrêtées par une brigade de répression de l’action violente motorisée (Brav-M) dans une rue du cœur de Paris.
L’enregistrement de 23 minutes, capté dans la soirée du 20 mars 2023 par l’un des interpellés, soupçonnés de faire partie d’un « cortège sauvage » en marge du mouvement de contestation contre la réforme des retraites, a été déterminant pour que les victimes de ces violences policières puissent se pourvoir en justice. Ce document audio dont des extraits avaient été diffusés dans les médias trois jours après les faits et qui l’a été devant le tribunal lors du premier jour d’audience du procès le 3 avril est bien le témoignage d’un déferlement de haine et de violences gratuites.
D’autant qu’à l’issue de la garde à vue qui leur a été imposée, les personnes arrêtées ont été libérées sans qu’aucune poursuite ne soit engagée contre eux. Dans leurs rapports administratifs et à l’audience, les policiers de la Brav-M indiquent qu’ils avaient pour objectif d’interpeller des manifestants qui auraient mis le feu à des poubelles, mais aucune preuve de dégradations à proximité du lieu d’interpellation n’a été versée au dossier ou présentée à l’audience.
Balayette, agression sexuelle et insultes
Jeudi, devant le tribunal correctionnel de Bobigny a donc été le théâtre d’une seconde journée d’audience fleuve au cours de laquelle comparaissaient les deux agents de la Brav-M renvoyés devant la justice par le parquet pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique » et « menaces de violences réitérées » envers un étudiant tchadien. Ils avaient été rejoints sur le banc des accusés par huit autres policiers de la brigade, qui comparaissaient sur demande de Souleyman Adoum Souleyman et d’une autre étudiante, via le mécanisme de citation directe qui permet à un plaignant de saisir directement le tribunal.
« À l’origine, la justice avait accusé seulement deux policiers. Et ça m’a pas du tout fait plaisir parce que toute l’unité a participé à mon agression. J’avais ressenti beaucoup d’impunité chez les policiers ce soir-là et je voulais qu’ils répondent de leurs actes », avait déclaré Souleyman au micro de Mouv’ à l’issue de la première journée d’audience. Lui qui a toujours nié avoir participé au cortège sauvage avait expliqué au tribunal, en avril, avoir subi une « balayette » et avoir été mis au sol par un agent de la Brav-M avant même qu’un mot ne lui soit adressé, alors que dans la foulée, un policier effectuait une palpation, lui touchant fermement les parties génitales en lui disant : « Tu n’as pas de couilles, toi. » Pour ce geste, l’étudiant tchadien accuse le gardien de la paix d’agression sexuelle et les dix agents de cette brigade de complicité d’agression sexuelle.
Alors que les deux agents, celui qui a insulté et menacé Souleyman mais aussi celui qui lui a porté des coups au visage alors qu’il était assis, dos au mur sur les lieux de son interpellation, avaient reconnu les faits lors de la première audience, peinant à les justifier, il n’en a pas été de même en ce qui concerne l’étudiante, également partie civile. Elle a témoigné jeudi 12 juin dans la matinée. « Ils me balayaient, je tombe la tête contre le sol », a témoigné l’étudiante qu’un policier aurait ensuite traitée de « connasse ». « Je me sentais un peu démunie face à ce groupe de mecs qui parlaient, blaguaient sur moi », a-t-elle poursuivi à la barre. Interrogé, un policier a donné une autre version des faits. Selon lui, la jeune fille aurait « percuté le bouclier du collègue », serait alors tombée. Bon prince l’homme interrogé l’aurait « relevée ».
Amende, quatre mois de prison avec sursis et interdiction d’exercer
Pour l’avocat des parties civiles, Me Arié Alimi, les policiers se portent volontaires pour composer une unité de Brav-M avec « un objectif particulier » : « pour taper, pour casser, pour interpeller », a-t-il asséné en claquant ses mains à chacun des verbes prononcés. « Pourquoi on se comporte comme ça devant des jeunes qui n’ont rien demandé d’autre qu’à être dans la rue ? », a-t-il questionné en regardant la dizaine d’agents assis sur les bancs opposés.
Nul ne sait encore sur quelle version le tribunal basera sa décision. Mais le parquet n’a pas semblé les prendre en compte dans ses réquisitions. Il a requis une peine d’amende de 450 euros contre l’agent qui a insulté et menacé le jeune homme. Et qui à l’audience a présenté des excuses à l’étudiant tchadien. Quatre mois de prison avec sursis ainsi qu’une interdiction d’exercer la profession de policier pendant un an ont été requis contre le policier qui a porté les coups.
Dans son réquisitoire, la représentante du parquet Fanny Bussac a battu en brèche le concept de « scène unique de violences » plaidée par la partie civile. Elle a déploré ces citations directes et dénoncé des « poursuites purement caricaturales » et demandé la relaxe de ces huit policiers contre lesquels le parquet n’avait retenu aucune charge à l’issue de l’enquête de l’IGPN. Les avocats de ces agents ont quant à eux demandé le versement de dommages et intérêts pour procédures abusives. Le tribunal rendra sa décision le 10 juillet.
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