Violences policières : comment l’opinion publique se détourne du sujet

Selon les derniers chiffres communiqués par l’IGPN, 36 personnes sont décédées dans le cadre d’une mission de police en 2023. Les blessés, eux, ne sont pas officiellement recensés. Chaque année, le 20 mars marque la Journée internationale de lutte contre les violences policières.

Si l’édition 2025 de cet événement mondial visant à « dénoncer les exactions commises par les forces de l’ordre, à sensibiliser l’opinion publique et à exiger des réformes pour une justice équitable » est largement passée sous silence, ce n’est pourtant pas parce que les violences policières ont disparu.

Pour preuve, ce témoignage, recueilli par nos confrères de StreetPress le 17 mars dernier. Amira, 20 ans, dénonce avoir été « déshabillée de force, frappée et eu la tête cognée contre le sol » par une policière dans la salle de fouille du commissariat de Conflans-Sainte-Honorine, dans la nuit de 6 au 7 mars.

Une inversion de la culpabilité

Les blessures, constatées par le médecin alors qu’elle est transportée à l’hôpital au cours de la garde à vue pour ses douleurs à la tête, se caractérisent par un traumatisme crânien et plusieurs hématomes, notamment au cuir chevelu, ainsi qu’une « douleur du nez sans déformation ». En la forçant à rentrer dans la voiture de police, les policières lui auraient également frappé plusieurs fois la tête contre la carrosserie alors qu’elle était menottée dans le dos. L’étudiante en médecine, qui a déposé plainte, est elle-même accusée d’outrage par les policières.

Même accusation de violences de policiers de Clermont-Ferrand contre Raphaël, un jeune homme paraplégique à 90 % habitant le quartier populaire de Croix-de-Neyra. Le 11 mars, une vidéo circule sur les réseaux sociaux. On y voit l’homme en fauteuil roulant, maintenu par trois policiers et frappé en plein visage. Un coup de poing dans la tête, qui lui laissera un œil au beurre noir et le nez tuméfié.

Kaïs, étudiant de 18 ans, auteur de la vidéo, explique à France 3 : « Raphaël a juste avancé avec son pied levé et un policier l’a étranglé. Quand j’ai sorti mon téléphone, il a arrêté de l’étrangler et il lui a mis un coup de poing. Il s’en est réjoui ! Il s’en vantait après, auprès de ses collègues. (…) Mon réflexe a été de filmer, sinon, on ne m’aurait jamais cru. »

Marianne Maximi, députée de La France insoumise dans la 1ère circonscription du Puy-de-Dôme, a dénoncé un « insupportable acte de violence policière » et a saisi la procureure de la République et l’IGPN. Si une enquête administrative a été ouverte, la procureure estime qu’une expertise de la victime est « nécessaire avant toute réponse pénale ». La magistrate explique dans la presse que « l’état mental [de Raphaël] est très instable » – ce qui devrait être une circonstance aggravante pour les policiers. La députée s’insurge contre cette inversion de culpabilité, hélas monnaie courante dans ce genre d’affaire. Même quand les vidéos sont explicites. On n’ose imaginer ce qui peut se passer à l’abri des regards.

Une impunité organisée

Pourtant, l’opinion publique semble s’habituer à ce genre d’exactions. Comme le pointe Lucas levy-Lajeunesse, philosophe, membre de l’Observatoire parisien des libertés publiques et auteur de La police contre la démocratie, Politiques de la Brav-M, « certaines violences policières qui sont documentées ne suscitent plus autant d’indignation qu’il y a quelques années. Je pense par exemple à une vidéo récente (de violences commises fin juillet 2024, Ndlr), filmée à l’intérieur d’un commissariat parisien où on voit un policier casser le bras d’un gardé à vue sous le regard indifférent de collègues. Ces images très inquiétantes quant à la déontologie des policiers ont eu moins de retentissement que celles de Michel Zecler, tabassé par des policiers, quelques années avant. On a l’impression que les gens s’habituent. Or, le fait qu’il y en ait énormément ne rend pas moins scandaleuses ces transgressions manifestes de la loi par des fonctionnaires censés la faire respecter. »

Cette journée de 20 mars s’inscrit également dans une dynamique plus large de lutte contre le racisme systémique et les injustices judiciaires. Là encore, le bât blesse.

Ainsi, on apprenait le 12 mars qu’alors que l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a conclu à un usage disproportionné de la force sur un étudiant lors d’une manifestation l’été dernier à Lille, la plainte de ce dernier avait néanmoins été classée sans suite.

Ce militant des Jeunes insoumis avait porté plainte pour avoir reçu deux coups de matraque, l’un à l’œil, l’autre à l’entrejambe, alors qu’il participait à une manifestation dans le centre-ville de Lille dans la soirée du 7 juillet, après les résultats des élections législatives.

Selon le rapport de l’IGPN, remis en septembre dernier et que l’AFP a pu consulter mercredi, ses blessures ont nécessité des points de suture au visage et une intervention chirurgicale pour un hématome testiculaire, entraînant en tout 30 jours d’ITT, liés à son état physique mais aussi à un « syndrome post-traumatique ». Et, toujours selon le rapport de la police des polices, le jeune homme a « bien été victime de violences qui (…) ne semblaient pas s’inscrire dans un contexte de riposte proportionnée à une atteinte injustifiée », car il « déambulait calmement avant de suivre le mouvement de foule provoqué par la manœuvre de dispersion des policiers, sans geste hostile ou d’opposition ».

Mais comme il est impossible d’identifier ces agents sur les images de vidéosurveillance et que, parmi les effectifs de la Brigade anticriminalité (Bac), « aucun (policier) ne se reconnaissait à la vidéo comme auteur des violences commises », la plainte de l’homme âgé aujourd’hui de 21 ans, a ensuite été classée sans suite en octobre pour auteur inconnu, un classement qui ne lui a pas été notifié et dont il n’a eu connaissance qu’en janvier. Déplorant que « l’institution (..) couvre tout le monde », l’avocat envisage aujourd’hui de contester ce classement auprès du parquet général et a demandé l’accès aux vidéos, sans résultat à ce stade.

« Cette impunité est organisée, dénonce Lucas Levy-Lajeunesse. La hiérarchie tolère le fait que les policiers ne portent pas leur Rio (numéro d’identification, pourtant obligatoire), mais portent des cagoules, ce qui interdit et qui empêche de les identifier, en plus des tous les effets d’intimidation que ça peut produire. Les policiers affichent ostensiblement le fait qu’ils ne respectent pas la loi. Ils le font aussi en allant manifester, toutes sirènes hurlantes et en uniforme. Très clairement, ils affichent une puissance supra légale. »

Le procès du policier ayant tiré sur Nahel comme symbole

Néanmoins, le 4 mars, on apprenait que le parquet de Nanterre avait requis un procès pour meurtre contre le policier ayant tiré sur Nahel, adolescent de 17 ans dont la mort en juin 2023 avait choqué l’opinion publique, devenant symbole des violences policières et à l’origine de plusieurs nuits d’émeutes à travers la France. Le parquet « a requis le 3 mars 2025 le renvoi du policier mis en examen (…) du chef de meurtre, et le non-lieu du chef de complicité de meurtre pour le second policier présent lors des faits », détaillait le ministère public dans un communiqué.

« Pour la mère de Nahel, c’est un soulagement. Cette femme n’avait qu’une crainte, c’est que dans le combat qu’elle menait pour établir que son fils avait été tué volontairement, on arrive par je ne sais pas quelle opération à éviter une comparution devant la cour d’assises des policiers », a indiqué Me Frank Berton, l’avocat de Mounia Merzouk, à l’AFP. L’auteur du coup de feu mortel, Florian M., a été mis en examen pour meurtre et incarcéré pendant cinq mois, avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire.

Un juge d’instruction doit désormais décider si un procès doit ou non se tenir, sous pression du très à droite syndicat de police Alliance, qui à l’annonce du procureur avait appelé « l’ensemble des policiers du pays à se réunir devant les services de police pour exprimer leur colère », et protester contre ce qu’il qualifie de « décision inacceptable » dans un communiqué.

Au regard de la pression policière, il semble qu’un contrôle citoyen sur les affaires de violences des agents soit plus que nécessaire pour éviter la totale impunité.

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