Les mots combatifs de Thomas Jolly, le sourire crispé de Rachida Dati… Ce qu’il fallait retenir de la 36e cérémonie des Molière

À quoi s’attendait donc la ministre de la Culture ? Enfoncée dans son fauteuil de velours rouge des Folies Bergères, entourée de Jean-Marc Dumontet, patron de la cérémonie, directeur du théâtre Antoine, du Point-Virgule, de Bobino et copain de Macron, et de Michel Field, monsieur culture de France Télévision, Rachida Dati affichait sa mine des mauvais jours. Il faut dire que dès les premières minutes, Caroline Vigneaux, la maîtresse de cérémonie, a déboulé sur scène avec une partie de la troupe des Misérables comme on grimpe sur une barricade.

En habits de Marianne, bonnet phrygien sur la tête, un sein à l’air, brandissant un drapeau bleu blanc rouge, elle a interpellé vivement la ministre de la Culture : « Le théâtre résiste à l’obscurantisme, au fanatisme, à l’intolérance, à la brutalité du monde, et bien sûr aux coupes budgétaires massives qui frappent le secteur culturel. (…) La culture ne peut pas être la variable d’ajustement de l’économie de guerre ».

Les huées à l’encontre du discours final de Jean-Marc Dumontet

Plus tard, le comédien Didier Brice, pour la CGT-Spectacle, a rappelé que quelques jours avant les Molière, a paru au Journal officiel l’annulation de près de 5,7 milliards d’euros de crédits dans le budget de l’État dont 94 millions d’euros concernent la culture, avec près de la moitié pris sur les crédits alloués au spectacle vivant et aux arts visuels. La ministre a alors beau crier « c’est faux ! » depuis son fauteuil, dans la salle, personne n’est dupe.

Et lorsque Didier Brice appelle la salle à se mettre « Debout pour la culture ! », à ce moment-là, les caméras de France Télévision balaient les travées du théâtre, filmant une salle debout, tout en évitant la rangée de la ministre. Question : Rachida Dati s’est-elle levée ? Les spectateurs n’en sauront rien. Mais ceux qui étaient là ont bien vu la ministre et Dumontet vissés sur leur fauteuil, mâchoires crispées. Diffusé en différé sur France 2, le montage/découpage de la soirée ne nous permettra pas d’entendre les huées à l’encontre du discours final de Jean-Marc Dumontet défendant mordicus la ministre…

La soirée s’est déroulée, mi plan-plan, mi-ridicule, avec des interstices dansés sans intérêt, un hommage justifié aux Ukrainiens mais rien pour le peuple Palestinien, le plus souvent des paroles un peu creuses dans une mise en scène kitch où le spectateur voyait des bulles se promener sur son écran à l’annonce d’un Molière. Un aquarium… Le réalisateur de la cérémonie n’a même pas eu la politesse de filmer correctement la liste des disparu.e.s dont les visages et les noms étaient à peine visibles, lisibles.

Marina Hands, lumineuse, poing levé

Censée être populaire, censée rivaliser avec les César, la cérémonie des Molière s’étire. Ennuyeuse. Rien ne marche dans cette mise en scène consacrée à l’art du théâtre. Alors qu’on voit tout au long de l’année des mises en scènes inventives, audacieuses, des salles pleines, quelle image du théâtre donnent les Molière ? Le côté promotion l’emporte sur l’idée même de création et la statuette devient alors un label, un sticker que l’on colle sur l’affiche du spectacle, parce que ça fait vendre.

On retiendra toutefois trois moments de cette cérémonie. Les Molière de Marina Hands, lumineuse, poing levé dans un geste de résistance revigorant et celui de Denis Lavant, clown céleste qui a soudain remis un peu de poésie dans cet univers aseptisé télévisuel. Enfin, le Molière d’honneur à Thomas Jolly dont les mots, combatifs et joyeux, ont remis les pendules à l’heure, défendant l’idée d’un service public de la culture et rendant hommage aux enseignants qui, à l’heure où les options théâtre dans les lycées sont menacées, travaillent dans l’ombre et permettent à des dizaines de milliers de jeunes d’aller au théâtre, d’apprendre à penser, à ne pas subir.

Une question demeure. À quoi servent les Molière ?

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