50e cérémonie des César : Emilia Perez rafle la mise, Abou Sangaré révélation masculine

Rien n’arrête Emilia Perez. Pas même la polémique visant son actrice principale, la comédienne transgenre Karla Sofia Gascon, dont des tweets racistes ont été exhumés, plombant les chances du film dans la course aux Oscars. Pourtant, vendredi soir, au terme d’une cérémonie de plus de trois heures présidée par Catherine Deneuve, le long métrage de Jacques Audiard, grand habitué des César, a raflé 7 statuettes : meilleure adaptation (d’un roman de Boris Razon), meilleure musique (Clément Ducol et Camille), meilleur son, meilleure photo, meilleurs effets visuels, meilleure réalisation et meilleur film, cette dernière catégorie récompensant les producteurs dont le cinéaste lui-même, qualifié de « couillu » (sic) par sa coproductrice. Vue par plus d’un million de spectateurs, cette comédie musicale sur la transition de genre d’un baron de la drogue mexicain a laissé sur le carreau ses deux concurrents les plus sérieux : l’Amour ouf de Gilles Lellouche, et le Comte de Monte Cristo de Mathieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, repartis chacun avec un lot de consolation, le César du second rôle masculin pour Alain Chabat dans le premier, ceux du meilleur décor et des meilleurs costumes pour le second. Quant aux excellents En Fanfare d’Emmanuel Courcol et Miséricorde d’Alain Guiraudie, ils sont repartis bredouille.

L’autre grand vainqueur de la soirée est l’Histoire de Souleymane de Boris Lojkine, qui a obtenu 4 récompenses : révélation masculine pour Abou Sangare, actrice dans un second rôle pour Nina Meurisse, scénario original et montage. Dans cette fiction aux allures de documentaire inspirée de sa propre vie, Abou Sangare joue le rôle d’un livreur à vélo sans papiers. « De 2017 jusqu’en avril 2023 je n’avais plus de vie, je vivais parmi les gens, mais je ne me considérais pas comme un être humain, a témoigné Abou Sangare, mécanicien à Amiens repéré lors d’un casting sauvage. Depuis que j’ai traversé la Méditerranée, j’ai connu la misère et tout ce qui est l’être humain, le bon comme le mauvais, j’étais coincé à l’intérieur de moi, j’étais en prison. »

César d’honneur, Costa Gavras toujours impeccable

Cette prise de parole émouvante, au tout début de la soirée, laissait espérer une cérémonie politique, les sujets d’indignation ne manquant pas, qu’il s’agisse des coupes dans le budget de la culture ou de la montée de l’extrême droite en France, en Europe et aux États-Unis. Sans parler de Gaza. Mais cette année, Rachida Dati, la ministre de la Culture, n’a pas eu de souci à se faire. À peine Josiane Balasko a-t-elle tenté une petite pique, appelant de ses vœux une « Europe de la culture » face au péril trumpiste. Salué par un César d’honneur, Costa Gavras, toujours impeccable, a salué « cette France résistante, solidaire » qui l’a accueilli alors qu’il était un jeune immigré grec, tout en rappelant le danger qui vient : « Un groupe cagoulé s’est attaqué à un groupe d’immigrés qui parlait de dictature et d’injustice. La France peut-elle accepter de tels actes qui semblent se préparer ? » Il faudra patienter jusqu’à plus de 23 heures pour qu’une autre parole forte jaillisse, dans la bouche de Gilles Perret, récompensé pour son documentaire la Ferme des Bertrand, qui suit sur plusieurs décennies une famille d’agriculteurs de Haute-Savoie, ses voisins : « Je dédie ce César à toutes celles et tous ceux qui veulent vivre dignement de leur travail. Le déterminisme social aurait dû m’empêcher d’être devant vous ce soir », a rappelé le cinéaste, coréalisateur avec François Ruffin de Debout les femmes et Au boulot !, rappelant l’importance de l’école et de l’hôpital public, des cotisations sociales, des structures collectives, et l’existence de « 10 millions de pauvres dans un pays où les dirigeants préfèrent s’allier à l’extrême droite fasciste plutôt que poser la question du partage des richesses et de la protection de la planète. Cette petite musique mortifère est celle des années 1930. Nous, gens du cinéma, ça serait bien d’y mettre un peu les pieds. La maison brûle et on filme ailleurs », a-t-il martelé.

Parmi les bonnes nouvelles, on saluera le prix d’interprétation masculine remis à l’excellent Karim Leklou pour son rôle dans le Roman de Jim des frères Larrieu, et le César de la révélation féminine attribué à Maïwène Barthélémy, étudiante en BTS agricole qui crève l’écran dans Vingt Dieux de Louise Courvoisier, sacré meilleur premier film. À part ça, il a fallu endurer les sketchs gênants (on sauve quand même Jean-Pascal Zadi), les textes insipides et autres chorégraphies ringardes, les hommages sirupeux aux chers disparus. Ce n’est pas à cinquante ans que les César vont faire la révolution.