Turquie : à Istanbul, un 1er mai sous le signe de la résistance à Erdogan

« Un jour viendra, la roue tournera, l’AKP rendra des comptes au peuple ! » scandent les avocats du barreau d’Istanbul – dont le président est visé par une procédure de destitution – dans le cortège du 1er mai. Sous une pluie battante, la foule converge vers Kadiköy, sur la rive asiatique, à l’est de la métropole turque.

C’est peu dire que ce 1er mai a une coloration très politique, après l’arrestation d’Ekrem Imamoglu, le maire d’Istanbul, le 23 mars dernier, et les vagues d’incarcérations qui ont suivi. L’AKP, le Parti de la justice et du développement du président turc Recep Tayyip Erdogan, est particulièrement contesté dans les rangs de cette marche à l’appel de la Confédération révolutionnaire des syndicats de Turquie (Disk), de la Confédération des fonctionnaires (Kesk), de l’Union des chambres d’architectures de Turquie (TMMOB) et de l’ordre des médecins (TTB), autour du mot d’ordre « Nous gagnerons ».

Depuis l’arrestation d’Imamoglu, Özgur Özel, le secrétaire général de son parti, le CHP (le Parti républicain du peuple, social-démocrate), a tenu deux meetings par semaine. Lors du dernier, à Basaksehir, à l’ouest d’Istanbul, la veille de la fête des droits des travailleurs, il y a salué d’une voix éraillée tous les « démocrates » réunis et a appelé à se rendre au rassemblement du 1er mai, à la fois avec le syndicat Disk à Kadiköy, et à Kartal avec le syndicat Türk-Is. Les autres partis de gauche, notamment le DEM (Parti de l’égalité et de la démocratie des peuples), représentation politique des Kurdes, le Parti des travailleurs (TIP), le Parti de gauche (SOL) et le Parti communiste (TKP) avaient également appelé à se rendre à Kadiköy.

« Une des plus grandes manifestations d’Istanbul »

Avant même la manifestation, dans le train urbain Marmaray, à l’approche du point de rendez-vous, Ali Ercan Akpolat, maire CHP d’un arrondissement, interpelle les passagers, rappelant la situation d’Imamoglu qu’il affirme avoir vu la veille. Autour de lui, des slogans fusent : « Tous ou aucun, seul on ne peut se sauver ! » – un emprunt à Brecht –, certains entonnent déjà la chanson turque traditionnelle du 1er mai. Quelques instants plus tard, elle résonne dans les rues où les manifestants chantent, dansent et s’époumonent, agitant leurs banderoles et leurs drapeaux, abrités sous des casquettes floquées de leur logo syndical. Certains sont venus de loin pour manifester, parfois jusqu’à 100 kilomètres alentour.

Dans le cortège, Turgut Dedeoglu, le président de la Disk journalisme, annonce « une des plus grandes manifestations d’Istanbul », rappelant que les arrestations vont au-delà des responsables politiques : « Plus de 30 journalistes ont été arrêtés » depuis le 23 mars. Mais la forte inflation que traverse le pays et le chômage ont aussi leur part dans cette affluence. « Les chiffres réels du chômage atteignent 28,8 % de la population active, soit 11 730 000 personnes, un record », indiquait le quotidien de gauche Bir Gün, dans son édition du 30 avril.

« Un programme a été mis en œuvre par la bourgeoisie nationale et internationale pour reprendre les droits des travailleurs », analyse Özkan Atar, le président de la branche métallurgie de la Disk. Et le pays subit des privations de libertés syndicales : « Il y a eu de nombreuses interdictions de grèves, mais aussi de former des syndicats, et des licenciements. » Un recul qui provoque, selon Özkan Atar, « de nombreuses protestations des travailleurs ». « L’arrestation du maire d’Istanbul et d’autres élus, pour les remplacer par des administrateurs, a ouvert la voie à une résistance sociale et démocratique, et c’est ce qui converge aujourd’hui », conclut-il.

Plus de 400 arrestations

Le bleu de la Disk textile vient trouer le rouge omniprésent de la confédération. Juste devant les partis politiques, les étudiants d’Istanbul réclament une « université gratuite et universelle ». Sur la place de Kadiköy où se rejoignent les cortèges partis de l’ancienne gare d’Haydarpasa et de la gare de Sögütlücesme, les manifestants tiennent bon, sautillant au rythme des slogans, des refrains de Bella Ciao, engoncés dans des ponchos de plastique pour se préserver des averses.

Depuis la scène où se tient le meeting syndical, une déclaration de Selahattin Demirtas, leader de la gauche pro-Kurdes emprisonné par le régime d’Erdogan, est lue : « Nous résisterons jusqu’à bâtir ensemble un système démocratique. » En ce 1er mai, plus de 400 personnes ont été arrêtées à proximité de la place Taksim, interdite aux manifestations depuis le 1er mai sanglant de 1977, selon le quotidien Cumhuriyet. La mobilisation populaire est au rendez-vous, mais il reste encore du chemin à parcourir.

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