Crimée, garanties de sécurité, sanctions... Les points de divergence autour d’un accord de paix en Ukraine
Un accord de paix en Ukraine, mais lequel ? Alors que Donald Trump exerce une pression toujours plus forte - quitte à tordre le bras des Ukrainiens et des Européens, et à tendre la main aux Russes - pour accélérer la cessation des hostilités, des divergences demeurent entre les différents protagonistes en présence. Preuve en est : Reuters a mis la main sur deux textes constituant des ébauches de «plan de paix», et ils divergent substantiellement.
Le premier texte auquel l’agence britannique a eu accès est le texte américain communiqué par l’envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, aux responsables européens qu’il a rencontrés à Paris le 16 avril dernier et qui a ensuite été transmis aux Ukrainiens. Ces propositions, les plus favorables aux Russes, a été qualifié par Marco Rubio, le secrétaire d’État américain, de «cadre général», précise Reuters.
Le second texte constitue en quelque sorte la version corrigée par les Ukrainiens et les Européens, qui se sont retrouvés à Londres ce mercredi 23 avril. La réunion s’est simplement tenue au niveau des «conseillers» après l’annulation de la venue des ministres des différents pays, sur fond de grogne des Américains, qui ont fait défection lors de cette rencontre. Mais le texte leur a malgré tout était transmis, révèle Reuters. D’ailleurs, dès le lendemain, jeudi, Volodymyr Zelensky a déclaré qu’il croyait qu’un ensemble de propositions était désormais sur le bureau du président des États-Unis, Donald Trump, à la Maison-Blanche.
Quelles différences observe-t-on entre les deux textes ?
Crimée et territoires contrôlés par la Russie
Le plan de Witkoff était assez simple : les États-Unis reconnaîtraient légalement le contrôle par la Russie de la péninsule de Crimée, annexée dès 2014. Ils reconnaîtraient non pas de jure mais de facto l’emprise de la Russie dans les quatre oblasts (Donetsk, Lougansk, Zaporijjia, Kherson) que Moscou contrôle en partie en Ukraine et qui ont été annexés à l’automne 2022.
Le texte revu et corrigé par les Européens et les Ukrainiens, et consulté par Reuters, diffère largement puisqu’il «reporte toute discussion détaillée» concernant les questions territoriales «jusqu’à la conclusion d’un cessez-le-feu, sans mentionner dans le document la reconnaissance du contrôle russe sur un quelconque territoire ukrainien». Volodymyr Zelensky s’oppose fermement à une reconnaissance légale d’une Crimée russe.
Otan
Sans surprise, le plan «Witkoff» exclut clairement que Kiev cherche à adhérer à l’Otan, une antienne reprise depuis plusieurs mois par Donald Trump. Le texte numéro 2 ne retoque pas cette demande américaine formellement, mais introduit l’idée d’un « accord de type Article 5 », référence claire et explicite à la clause de défense mutuelle de l’Alliance atlantique. Si l’Ukraine ne faisait pas partie de l’Otan, elle pourrait malgré tout être protégée comme si elle en faisait partie.
Garanties de sécurité
De là découle directement une question pratique : en cas d’accord de paix, quelles garanties de sécurité l’Ukraine obtiendra-t-elle pour veiller à ce qu’il soit respecté ? Le document de Steve Witkoff est elliptique, selon Reuters : il se contente de proclamer que l’Ukraine bénéficiera d’«une garantie de sécurité solide», avec les États européens amis qui joueraient le rôle de «garants», sans plus de détails.
Le texte revu et corrigé par les Européens et les Ukrainiens introduit des détails en faveur de l’Ukraine : «il n’y aura aucune limite aux forces ukrainiennes et aucune restriction aux alliés de l’Ukraine stationnant leurs forces militaires sur le sol ukrainien », explique Reuters.
Sanctions russes
Symbole de la main tendue des Américains aux Russes, le plan «Witkoff», prévoit de lever les sanctions économiques en vigueur contre la Russie - toutes, y compris celles prises en 2014 lors de l’annexion de la Crimée, et non seulement celles prises à partir de 2022 et de l’invasion complète de l’Ukraine - dans le cadre de l’accord de paix.
Du côté européen, on envisage sans surprise un « assouplissement progressif des sanctions après l’instauration d’une paix durable », précise le texte consulté par l’agence de presse qui précise que les sanctions pourront être rétablies si la Russie viole les termes de l’accord de paix. Le document européen et ukrainien propose également que l’Ukraine reçoive une compensation financière pour les dommages causés pendant la guerre, provenant des avoirs russes gelés à l’étranger. Le texte de Steve Witkoff se borne à indiquer que l’Ukraine sera indemnisée financièrement, sans préciser la provenance des fonds.
Et la Russie ?
Alors que Steve Witkoff est reçu ce vendredi après-midi au Kremlin par Vladimir Poutine, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a déclaré lors d’une interview à la chaîne américaine CBS que «nous sommes prêts à conclure un accord, mais certains éléments spécifiques doivent encore être peaufinés». «Il y a plusieurs signes qui montrent que nous allons dans la bonne direction», a précisé le chef de la diplomatie russe, qui a décrit le président américain comme «probablement le seul dirigeant de la planète qui reconnaît le besoin de s’attaquer aux causes profondes de la situation». Donald Trump a indiqué cette semaine être «très proche» d’un compromis avec la Russie, indiquant que les blocages venaient plutôt de la partie ukrainienne.
Le plan «Witkoff» répond sans aucun doute à plusieurs demandes russes, à commencer par une reconnaissance légale de la Crimée. Mais la version corrigée par les Européens et les Ukrainiens risque, elle, de se heurter en revanche aux «lignes rouges» du Kremlin, auxquelles le président Trump semble être sensible. Dans le jargon russe, notamment, on ne veut envisager qu’une «paix durable» : en d’autres termes, les avancées territoriales russes en Ukraine devront être reconnues dans le cadre de l’accord, au moins de facto. Ensuite, les Russes ne veulent pas de troupes de l’Otan en Ukraine. La formule russe n’a pas changé d’un iota depuis 2014 : «pas d’Ukraine dans l’Otan, mais pas d’Otan dans l’Ukraine». La mention de l’équivalent de l’article 5 risque d’être considérée comme inadmissible par le Kremlin. Donald Trump le sait : les Russes ne sont pas pressés d’en finir, lui, qui s’était d’abord engagé à clore la guerre en Ukraine «en 24 heures», l’est. Il fera tout, sans doute, pour continuer de tordre le bras des Européens et des Ukrainiens et se rapprocher d’un «deal» acceptable par les Russes. Ce samedi, à l’occasion des funérailles du pape François, Donald Trump et Volodymyr Zelensky seront tous les deux présents au Vatican, au milieu des dirigeants européens. Par-delà le deuil, le bras de fer diplomatique s’y prolongera sans doute.