REPORTAGE. "On veut y habiter, c'est comme ça" : à 10 km de Gaza, des sionistes d'extrême droite prêts à s'installer dans l'enclave palestinienne

Elle imagine la bande de Gaza comme "un paradis". Reut Ben Kemoun a emménagé depuis trois semaines avec son mari Eyal et ses cinq enfants dans un mobil-home à Shave Darom, avec l'espoir de s'installer dès que possible dans l'enclave palestinienne située à une dizaine de kilomètres. "Dès qu'on pourra passer, ils pourront prendre la caravane et la poser là-bas", se réjouit-elle, dimanche 21 septembre, en servant un plat de pâtes à ses enfants. Cette mère de 29 ans appartient au groupe sioniste religieux Nachala, une organisation d'extrême droite qui soutient l'expulsion des Palestiniens de Gaza. Cette idéologie prône l'établissement d'un "Grand Israël", où les Palestiniens et leurs territoires n'existeraient pas.

Avant l'annonce du plan de paix proposé par Donald Trump, la famille Ben Kemoun a quitté sa maison avec quatre chambres à coucher et un grand salon, située dans la ville de Zimrat, pour le confort précaire de ce mobil-home avec une chambre parentale et une autre pour les cinq enfants. Elle rêve désormais de Gaza, où actuellement le système de santé est à bout de souffle après deux ans de guerre, et où près de 200 000 bâtiments ont été détruits ou endommagés, selon les données de l'ONU. Alors pourquoi vouloir s'installer dans un territoire ravagé par les bombardements israéliens ? "Parce que c'est à nous. C'est un endroit qui manque à nos vies, on veut y habiter, c'est comme ça", sourit Reut, qui se réfugie souvent derrière la "volonté divine" dans ses réponses. "C'est comme quand tu aimes ton enfant ou ta femme, pourquoi tu les aimes ? Je les aime, c'est tout. Alors c'est comme ça", poursuit-elle avant de servir une portion à l'une de ses filles.

"Les Palestiniens vont partir de là-bas"

Reut n'est jamais vraiment allée à Gaza, même si elle a participé dans son enfance aux manifestations contre le démantèlement des colonies installées dans l'enclave en 2005. La Charte des Nations unies rappelle le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et 158 pays sur les 193 membres de l'ONU reconnaissent désormais l'Etat de Palestine, mais Reut reste concentrée sur son objectif et se sent soutenue par le gouvernement d'extrême droite de Benyamin Nétanyahou. Le sionisme religieux est d'ailleurs l'un des alliés du Premier ministre israélien. "Les Palestiniens vont partir de là-bas, soit par la force soit... enfin, ils partent déjà", estime la mère de famille, sans s'attarder sur les 65 000 morts palestiniens, en majorité des civils, depuis le début de l'offensive israélienne. L'ONU a déclaré officiellement fin août la famine à Gaza et la population civile est poussée à l'exode par l'opération militaire de l'armée israélienne, qui s'est intensifiée depuis une semaine.

"Les Palestiniens iront dans les pays arabes ou dans d’autres pays. Ce sont eux qui ont commencé cette guerre et ils partiront de là."

Reut Ben Kemoun

à franceinfo

Sur le terrain vague de Shave Darom, sept familles, soit un peu plus de cinquante personnes en comptant les enfants, ont pris place dans de grandes caravanes blanches climatisées. L'objectif annoncé par le groupe sioniste est d'arriver à 40 familles au moment de l'éventuelle implantation à Gaza. Et ils sont prêts à attendre longtemps s'il le faut. "Quand Dieu décidera, ça peut être dans deux mois, ça peut être dans deux ans, je n'ai pas envie d'attendre, mais c'est Dieu qui décide", explique Dvora, une autre mère de famille. Dans son mobil-home, elle cohabite avec son mari et cinq de ses dix enfants. Le week-end, ils sont parfois jusqu'à onze pour se partager les trois pièces.

Depuis les attaques meurrières du 7-Octobre, cette mère de famille est déterminée à poser sa caravane sur le territoire gazaoui. "Tant qu'on n'aura pas pris cette terre, le Hamas considère qu'il gagne", estime-t-elle. Elle aussi souhaite le départ des Palestiniens, mais envisage différents scénarios : "S'ils restent, ce sera comme dans les territoires en Cisjordanie. Il y aura les localités arabes et les localités juives." Au regard du droit international, les colonies israéliennes implantées dans les territoires palestiniens sont illégales. Un vaste projet de colonie, intitulé E1, vise d'ailleurs à couper la Cisjordanie en deux, éloignant encore la probabilité d'une solution à deux Etats défendue par une partie de la communauté internationale, mais rejetée par Israël.

"Ce qu'ils veulent faire est complètement fou"

Selon un récent sondage réalisé pour le Times of Israël, 38,9% d'Israéliens se disent favorables à l'annexion permanente d'une partie de la bande de Gaza, tandis qu'une courte majorité (53,2%) s'y oppose. Galit Mass-Adern, membre du mouvement pacifiste Standing Together, juge très durement les groupes religieux qui souhaitent prendre possession de l'enclave palestinienne : "Ce qu'ils veulent faire est complètement fou, il n'y a aucune justification à ce qu'ils veulent que l'armée ou le gouvernement fasse là-bas. Nous le voyons tous les jours. Quiconque sait ce qui se passe à Gaza ne peut pas faire partie de ce groupe."

"La loi juive ne vous autorise jamais à massacrer des enfants et ne vous autorise jamais à tuer quelqu'un d'innocent. Ils parlent beaucoup de Dieu, mais ils n'ont pas de Dieu."

Galit Mass-Adern, militant pacifiste israélien

à franceinfo

Parmi la population israélienne, tous ceux qui souhaitent s'implanter à Gaza n'adhèrent pas au sionisme religieux. Il existe aussi des nostalgiques de la vie à Gaza d'avant 2005, comme Laurence Beziz, qui travaille à Ashdod, au sein du petit musée du Gush Katif, lieu de mémoire des communautés juives implantées dans l'enclave à partir de la fin des années 1970. "On est tombé vraiment amoureux de cet endroit. En 35 ans, on a transformé une dune de sable avec la mer et les palmiers en un paradis", raconte cette franco-israélienne de 64 ans, arrivée en 1981 en Israël. "Mais au départ, il fallait vraiment un esprit très pionnier, parce qu'il n'y avait vraiment rien. Il n'y avait pas de banque, pas de magasin." 

Laurence Beziz fait visiter le musée du Gush Katif, le 21 septembre 2025, à Ashdod (Israël). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)
Laurence Beziz fait visiter le musée du Gush Katif, le 21 septembre 2025, à Ashdod (Israël). (CLEMENT PARROT / FRANCEINFO)

A son âge, Laurence ne se voit pas retourner et "galérer" dans une colonie à Gaza, mais elle souhaite pour son pays que cela soit possible. "Il faut que la société israélienne réalise que ce n'est pas aberrant de vouloir une terre, de vouloir une sécurité avec tous les peuples qui sont autour de nous", explique-t-elle. Laurence admet ne pas avoir la solution pour régler le conflit, mais veut à tout prix éviter qu'un 7-Octobre puisse un jour se reproduire : "Les choses doivent changer, c'est-à-dire qu'on ne peut pas tout le temps faire exactement les mêmes erreurs à chaque fois, et espérer avoir un autre résultat."