TEMOIGNAGE. "S'il y a un cas ici, je ne le déclarerai pas" : le désarroi d'un éleveur face aux abattages liés à la dermatose nodulaire

"Historia, c'est la plus vieille. Là-bas, il y a Nobe, celle qui a la corne un peu coupée. Et ça, c'est Jafna, la meneuse", pointe Daniel Carrié, face à son troupeau, en ce samedi 13 décembre. "Elles ont toutes un nom depuis la naissance", glisse l'éleveur de 60 ans. Sa voix se brise soudainement à l'évocation de la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). Le virus a été détecté, la veille, à quelques dizaines de kilomètres de son exploitation du Gers. Il retient un sanglot et lâche : "S'il y a un cas ici, je ne le déclarerai pas." "Je vais être hors-la-loi mais tant pis", souffle-t-il.

"Je préfère en perdre une, deux, trois à la rigueur. Mais ce n'est pas moi qui vais déclarer la maladie tant qu'il y aura l'abattage total des troupeaux, rumine-t-il. Hors de question." Les compensations financières annoncées par le gouvernement n'y feront rien. Selon Daniel Carrié, les sommes avancées ne correspondent d'ailleurs qu'à un peu plus de la moitié des prix actuels.

"Ce sont mes enfants !"

Comme lui, de nombreux éleveurs s'opposent à l'abattage total des cheptels dès la détection d'un seul cas de la maladie, comme le prévoit le protocole sanitaire français. Une stratégie néanmoins confirmée par la ministre de l'Agriculture au "13 Heures" de France 2, vendredi 12 décembre. "C'est la seule solution", a martelé Annie Genevard, avant de nouvelles mobilisations d'agriculteurs dans plusieurs régions françaises.

"Un ministre, on le remplace. Une vache, on ne la remplace pas. Et qu'est-ce que j'aimerais qu'on la remplace cette ministre !"

Daniel Carrié, éleveur dans le Gers

à franceinfo

"Mes vaches, ce sont mes enfants. Et on ne tue pas ses enfants, même s'il y a de l'argent en face", lance Daniel Carrié. L'éleveur pourrait passer des heures à parler de ses animaux, de leurs caractères et de leurs rôles dans son cheptel. "J'ai mis vingt ans à construire ce troupeau, explique-t-il, fourche en main. Je ne vais pas recommencer pendant encore vingt ans et rester au cul des vaches jusqu'à 80 piges."

"Arnaud Rousseau, ce n'est pas un paysan !"

Plus que la maladie elle-même, c'est la stratégie sanitaire française "insensée" que l'éleveur craint le plus. Il a décidé de la combattre avec son syndicat, la Confédération paysanne. Ils ont rencontré vendredi le préfet du Gers pour leur proposer un protocole expérimental qui prévoit notamment un abattage ciblé des animaux contaminés et une vaccination généralisée. "On a le vaccin depuis longtemps et il fonctionne, allons-y !", s'impatiente-t-il, alors que le syndicat réclame son déploiement national depuis plusieurs mois.

Au contraire, la puissante Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) estime que la vaccination complète mettrait "la France sous cloche" pendant de longs mois, la privant de son statut européen de pays "indemne", et donc de ses capacités d'export. "Arnaud Rousseau, ce n'est pas un paysan !", tacle l'éleveur bovin. Selon lui, le patron du principal syndicat agricole français "est dépassé par sa base". Il assure que des éleveurs membres de la fédération et des Jeunes Agriculteurs, alliés habituels de la FNSEA, étaient présents dans les manifestations qui prennent de l'ampleur dans le pays.

Dans le Gers, comme dans plusieurs départements d'Occitanie, la vaccination va finalement être élargie à tous les élevages bovins en raison de la détection de plusieurs cheptels contaminés. Une décision saluée par la Confédération paysanne, même si elle est "trop tardive", selon l'une de ses porte-parole. Daniel Carrié, lui, reste dubitatif. "C'est bien de vacciner, mais on pourrait le faire directement. Je ne sais pas comment les vétérinaires vont trouver le temps", souffle-t-il.

"Ça me fait penser à la ligne Maginot"

L'éleveur estime que la France va devoir se préparer à cohabiter avec la DNC. "Leur protocole, ça me fait penser à la ligne Maginot, souffle-t-il. Mais on ne va pas arrêter le virus, on va le freiner", estime le Gersois, qui pointe le rôle du réchauffement climatique et de la mondialisation. "Je suis sûr que ce sera une maladie courante dans cinq ans. Il y a en déjà des cas en Espagne, en Italie…", liste-t-il, alors que le thermomètre indique 15°C en plein mois de décembre.

"Je souhaite qu'il n'y ait aucun bovin au Salon de l'agriculture l'année prochaine, en soutien à tous les éleveurs que l'on a sacrifiés."

Daniel Carrié, éleveur dans le Gers

à franceinfo

Daniel Carrié appelle aussi l'Etat à laisser plus de place aux éleveurs dans la gestion de leurs troupeaux. "On est responsables, on n'est pas des gamins de 3 ans", souffle-t-il, en distribuant de la luzerne et du foin à ses vaches. Dans le cas contraire, il prédit que la mobilisation va se répandre comme une traînée de poudre. "La colère est naissante, analyse-t-il. Mais ça va être la révolution."